La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/03/2003 | LUXEMBOURG | N°15186

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 mars 2003, 15186


Tribunal administratif N° 15186 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 juillet 2002 Audience publique du 10 mars 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre trois décisions de la ministre des Affaires étrangères, du Commerce extérieur, de la Coopération et de la Défense en matière de statut d’apatride

------------------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15186 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 29 juillet 2002 par Maître François MOYSE,

avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur...

Tribunal administratif N° 15186 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 juillet 2002 Audience publique du 10 mars 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre trois décisions de la ministre des Affaires étrangères, du Commerce extérieur, de la Coopération et de la Défense en matière de statut d’apatride

------------------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15186 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 29 juillet 2002 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision de la ministre des Affaires étrangères, du Commerce extérieur, de la Coopération et de la Défense du 30 avril 2001 portant refus du statut d’apatride, ainsi que des décisions confirmatives des 3 août et 19 octobre 2001 subséquentes ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 13 décembre 2002 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 9 janvier 2003 par Maître François MOYSE au nom de Monsieur … ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 30 janvier 2003 ;

Vu les pièces versées et notamment les décisions ministérielles critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître François MOYSE et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 février 2003.

Considérant que Monsieur …, né le … en Afrique du Sud, à Johannesbourg, déclare n’avoir actuellement aucune nationalité ;

Qu’il relate avoir quitté son pays d’origine pour s’installer en compagnie de ses parents au Zimbabwe (ancienne Rhodésie) ;

Que d’après une déclaration de l’ambassadeur de l’Afrique du Sud en Espagne du 29 novembre 1994, Monsieur … « ceased to be a South African citizen on 8 June 1971 in terms of Section 16 (2) of the South African Citizenship Act no. 44 of 1949 » ;

Qu’il déclare avoir fait l’objet de persécutions et de menaces au Zimbabwe vers 1982, de sorte à avoir été contraint de quitter ce pays entraînant qu’il a actuellement perdu également cette nationalité ;

Qu’il résulte d’un document émanant du « central registry for passeports, citizenship, national and voters registration, brands, births, deaths and marriages » adressé à Monsieur … en date du 4 mars 1996 que “ it appears you have not visited Zimbabwe from October 1981. You are therefore deemed to have lost your Zimbabwe Citizenship by absence in terms of Section 13 of the Citizenship of Zimbabwe Act No. 23 of 1984” y mentionné comme portant que “a citizen of Zimbabwe by registration shall cease to be a citizen of Zimbabwe if, after he has become of full age and while of sound mind, he is or has been absent from Zimbabwe for a continuous period of seven years”;

Que s’étant retrouvé sans nationalité depuis lors, Monsieur … déclare s’être installé en Espagne en 1984 et y avoir bénéficié du statut d’apatride sur base du droit interne espagnol pour vivre dans ce pays européen jusqu’en septembre 1998 ;

Qu’il y aurait été en possession d’un certificat de résidence ainsi que d’un titre de voyage, documents périmés à la date d’aujourd’hui ;

Qu’au cours de l’année 1998 il déclare avoir fait plusieurs voyages en Asie pour arriver au Luxembourg en juillet 2000 ;

Que par crainte d’être renvoyé, il déclare ne pas s’être manifesté directement auprès des autorités luxembourgeoises jusqu’au 12 octobre 2000, date à laquelle il a sollicité auprès du ministre de la Justice l’admission au statut d’apatride sur base de la Convention de New York du 28 septembre 1954 ;

Que le 17 octobre 2000 le ministre de la Justice a continué la demande à la ministre des Affaires étrangères pour attribution ;

Que cette demande a été rejetée par décision de la ministre des Affaires étrangères, du Commerce extérieur, de la Coopération et de la Défense du 30 avril 2001, confirmée par décisions subséquentes des 3 août et 19 octobre 2001 répondant, la première, à un courrier du mandataire de Monsieur … du 27 juillet 2001, la seconde, à une demande d’assistance adressée au Grand-Duc le 8 octobre 2001 ;

Considérant que par requête déposée en date du 29 juillet 2002, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation dirigé contre les trois décisions précitées de la ministre des Affaires étrangères du Commerce extérieur, de la Coopération et de la Défense des 30 avril, 3 août et 19 octobre 2001 ;

Considérant que le délégué du Gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation à défaut de texte légal en prévoyant l’existence ;

Considérant que dans la mesure où aucune disposition légale ne prévoit un recours de pleine juridiction en la matière, le tribunal est amené à se déclarer incompétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre principal ;

Considérant que le représentant étatique ne prend pas autrement position concernant la recevabilité du recours en annulation ;

Considérant que dans la mesure où les décisions ministérielles déférées ne sont point assorties d’indication des voies de recours conformément aux dispositions de l’article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, le recours est recevable pour avoir été pour le surplus introduit suivant les formes prévues par la loi ;

Considérant qu’au fond le demandeur conclut en premier lieu à l’annulation des décisions déférées pour être entâchées d’illégalité pour violation des dispositions de l’article 1er de l’arrêté grand-ducal du 11 août 1999 portant constitution des ministères entraînant l’incompétence de l’auteur des décisions déférées ;

Qu’il souligne avoir posé sa demande initiale auprès du ministère de la Justice, lequel a fait suivre sa demande au ministère des Affaires étrangères estimé compétent en la matière ;

Que le demandeur de faire valoir que suivant l’article 1er du règlement grand-ducal du 11 août 1999 précité, le ministère de la Justice a dans ses compétences la matière de l’indigénat et celle de l’entrée et du séjour des étrangers, alors que le ministère des Affaires étrangères ne serait compétent que pour la délivrance de titres de voyage aux apatrides ;

Que vu le fait pour la loi d’énoncer spécialement la compétence du ministère des Affaires étrangères dans le domaine de la délivrance des titres de voyage pour apatrides, cette dernière plage de compétence ne saurait être étendue au domaine de la délivrance des pièces d’identité aux apatrides ;

Qu’en l’espèce le demandeur affirme avoir sollicité la délivrance d’une pièce d’identité et non point d’un titre de voyage, de sorte que conformément à une jurisprudence constante émanant du Conseil d’Etat, la ministre des Affaires étrangères n’aurait pas été habilitée à prendre une décision en dehors de son domaine de compétence tel que ci-avant dégagé ;

Que dès lors ces décisions encourraient l’annulation pour raison d’incompétence ;

Que le délégué du Gouvernement de faire valoir que l’argumentaire du demandeur suivant lequel le ministre de la Justice serait en charge « de la délivrance des pièces d’identité aux apatrides », ne reposerait sur aucun argument de texte et serait dès lors erroné ;

Que si le ministre de la Justice était compétent pour autoriser l’entrée et le séjour des étrangers, il n’aurait cependant aucune compétence pour délivrer des pièces d’identité ;

Qu’ainsi ni un apatride, ni un réfugié reconnu au sens de la Convention de Genève ne saurait obtenir du ministre de la Justice « une pièce d’identité », aucun texte légal ne lui conférant pareille compétence ;

Que le ministre de la Justice serait amené à examiner, sur base des dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant notamment l’entrée et le séjour des étrangers, si une autorisation de séjour pouvait être délivrée, c’est-à-dire si les conditions auxquelles l’octroi d’une telle autorisation est subordonné étaient remplies ;

Que dans l’affirmative, le ministre accorderait l’autorisation de séjour qui serait délivrée par le ministre des Affaires étrangères sur base d’une vignette apposée dans le passeport national valable, étant donné que le ministre de la Justice ne serait pas habilité à ce faire, ni a fortiori à délivrer des pièces d’identité ;

Que le délégué du Gouvernement de souligner qu’en l’espèce une autorisation de séjour a été sollicitée, mais n’aurait pas été délivrée, faute de réponse aux questions posées, de sorte qu’il serait faux de prétendre que le ministre de la Justice n’aurait pas rempli l’exigence d’une motivation légale inscrite dans les textes ;

Que dans la mesure où le ministre de la Justice n’aurait aucune compétence pour assurer l’exécution de la Convention de New York du 28 septembre 1954 précitée, il aurait limité sa réponse aux questions relevant de ses attributions ;

Que ce serait le ministre des Affaires étrangères, ayant par ailleurs contresigné la loi du 13 janvier 1960 portant approbation de ladite Convention de New York, dans les attributions duquel tomberait l’exécution de cette Convention ;

Que le demandeur de répliquer que la compétence du ministre de la Justice se dégagerait encore du fait que celui-ci aurait dans ses attributions l’indigénat, ainsi que la délivrance des autorisations de séjour pour les étrangers, entraînant que ce serait bien ce ministre qui serait chargé de toutes les questions relatives aux étrangers, sauf la délivrance de titres de voyage, laquelle dernière ressortirait de la compétence du ministre des Affaires étrangères, en vertu d’une disposition expresses de l’arrêté grand-ducal du 11 août 1999 précité ;

Que les apatrides seraient des étrangers pouvant demander un titre de séjour, à l’instar de tout autre étranger, suivant une demande à formuler auprès du ministère de la Justice ;

Que cette matière n’impliquerait aucune interférence possible avec un pays étranger, de sorte qu’elle se trouverait soustraite à la compétence du ministre des Affaires étrangères ;

Que le demandeur de faire valoir qu’en cours de procédure la ministre des Affaires étrangères aurait transmis le dossier au ministre de la Justice et que malgré cette transmission, ce serait elle qui aurait statué à travers les décisions déférées pour lui refuser le statut d’apatride ;

Que Monsieur … de critiquer l’application selon lui illogique faite à la fois par les deux ministres des dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, alors que celle-ci ne serait pas appelée, au fond, à conditionner l’accès au statut d’apatride tel que prévu par la Convention de New York du 28 septembre 1954 ;

Que tout comme ce serait à tort que les dispositions de ladite loi du 28 mars 1972 auraient été appliquées en l’espèce, ce serait de façon illégale que la ministre des Affaires étrangères aurait statué à travers les décisions déférées ;

Considérant qu’au fond le premier moyen, tenant à l’incompétence de la ministre des Affaires étrangères ayant statué, appelle une analyse de l’arrêté grand-ducal portant constitution des ministères en vigueur au moment où les décisions déférées ont été prises ;

Considérant qu’au titre de l’article 1er de l’arrêté grand-ducal du 11 août 1999 précité, figure sous le point 2.I. intitulé « attributions relevant des compétences en matière d’Affaires Etrangères et de Commerce Extérieur », un point 1. libellé comme suit « Relations internationales – Coordination entre départements ministériels dans le domaine des relations internationales – Organisations et conférences internationales – Traités et accords internationaux – Administration générale du ministère – Service diplomatique et consulaire :

passeports, visas et légalisations – Protocole du Gouvernement » ;

Qu’au titre du point 13 intitulé « ministère de la Justice » figurent sous le point 2 notamment les attributions suivantes : « … Extradition - … Entrée et séjour des étrangers – Statut du réfugié – Procédures en matière d’asile … », tandis que le point 5, par référence au dispositif communautaire en place, énonce la « Coopération européenne en matière de justice – Affaires intérieures » ;

Considérant qu’il résulte de la demande initiale de Monsieur …, formulée par son mandataire de l’époque en date du 12 octobre 2000 que le demandeur sollicite son admission au statut d’apatride, de sorte qu’il n’y a pas lieu de s’arrêter autrement sur les distinctions faites par les parties entre une demande de pièces d’identité et celle d’un titre de voyage en l’espèce ;

Qu’il s’ensuit que la compétence du ministère des Affaires étrangères ne saurait être déduite de ses attributions, en matière de passeports, visas et légalisations ayant trait au service diplomatique et consulaire ;

Considérant que si le ministre des Affaires étrangères intervient dans le cadre du processus d’introduction des traités et accords internationaux en droit national, expliquant la présence de son contreseing, notamment sous la loi du 13 janvier 1960 précitée, cette circonstance n’est point suffisante pour fonder actuellement la compétence de la ministre des Affaires étrangères en la matière, même si d’un point de vue historique elle a suffi pour que les questions de statut d’apatride, pareillement à celles du statut de réfugié, fussent jadis traitées au niveau du ministère des Affaires étrangères ;

Considérant que la question de l’admission au statut d’apatride au sens de la Convention de New York est à entrevoir de façon sensiblement parallèle avec celle de l’admission au statut de réfugié, vu la filiation rapprochée des Conventions de Genève de New York ayant vu le jour dans l’enceinte des Nations Unies sous des auspices et considérants sinon analogues, du moins parallèles dans la période immédiate de l’après-

guerre ;

Considérant que force est encore de constater que la matière du statut d’apatride n’est pas nommément énoncée sous les attributions du ministère des Affaires étrangères, pas plus que sous celles du ministère de la Justice, encore que ratione materiae l’admission au statut d’apatride comporte moultes questions ayant trait directement aux compétences énoncées du ministère de la Justice ;

Qu’ainsi, la question de l’admission au statut d’apatride touche au domaine énoncé de l’« entrée et séjour des étrangers » ne fût-ce qu’à travers la question actuellement litigieuse au fond consistant à savoir si pour accéder audit statut d’apatride le candidat doit se trouver régulièrement sur le territoire du pays d’accueil, de même qu’elle a trait à l’indigénat et à celle des « procédures en matière d’asile » prise au sens large, étant donné que le candidat apatride, par définition, n’a point de protection nationale en l’absence de lien de nationalité vérifié dans son chef et cherche la forme de protection internationalement prévue dans le pays d’accueil suivant la Convention de New York ;

Considérant que dans la mesure où à travers la constitution des ministères la volonté du chef d’Etat de répartir les compétences ministérielles suivant les contingences d’appartenance matérielle relevant des impératifs d’organisation logique et opérationnelle, plutôt que des considérations historiques actuellement dépassées, le tribunal est amené à retenir, sur base des développements qui précèdent, la compétence du ministre de la Justice en matière d’admission au statut d’apatride au sens de la Convention de New York du 28 septembre 1954 ;

Qu’il s’ensuit que le recours est fondé en son premier moyen tenant à l’incompétence de l’autorité ministérielle ayant statué, de sorte qu’il devient surabondant de toiser les autres moyens proposés ;

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

déclare le recours en annulation recevable ;

au fond le dit justifié ;

partant annule les décisions ministérielles déférées ;

renvoie le dossier devant le ministre de la Justice en prosécution de cause ;

condamne l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 mars 2003 par :

M. Delaporte, premier vice-président, Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Delaporte 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15186
Date de la décision : 10/03/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-03-10;15186 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award