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05/03/2003 | LUXEMBOURG | N°15508

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 mars 2003, 15508


Tribunal administratif N° 15508 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 octobre 2002 Audience publique du 5 mars 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15508 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 octobre 2002 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité turque, demeurant actuellement à L-â

€¦, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 16 mai 2002, lui ...

Tribunal administratif N° 15508 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 octobre 2002 Audience publique du 5 mars 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15508 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 octobre 2002 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité turque, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 16 mai 2002, lui notifiée en date du 4 juin 2002, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié ainsi que d’une décision implicite confirmative se dégageant du silence observé par le prédit ministre à la suite de son recours gracieux introduit en date du 27 juin 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 décembre 2002;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 février 2003.

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Le 2 octobre 2001, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en date du 26 mars 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice l’informa, par lettre du 16 mai 2002, lui notifiée par courrier recommandé expédié en date du 4 juin 2002, de ce que sa demande avait été rejetée aux motifs que la crainte par lui alléguée de peines du chef d’insoumission ne serait pas, à elle seule, de nature à fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève et que pour le surplus ses déclarations s’analyseraient en l’expression d’un sentiment général d’insécurité, commun à la minorité kurde, non suffisamment individualisé pour entraîner d’office l’application de la prédite Convention. Le ministre a relevé en outre que la situation politique et celle des droits de l’homme serait en train de s’améliorer considérablement en Turquie et que le tableau dressé par le demandeur de la situation en Turquie ne correspondrait donc pas à la réalité.

Le recours gracieux introduit par Monsieur … à l’encontre de la décision ministérielle prévisée par courrier de son mandataire datant du 27 juin 2002 n’ayant pas fait l’objet d’une réponse dans les trois mois, il a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 16 mai 2002 ainsi que de celle implicite confirmative se dégageant du silence observé par le ministre par rapport à son recours gracieux par requête déposée en date du 28 octobre 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation de sa situation de fait, étant donné que sa situation spécifique serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte légitime de persécution dans son pays d’origine au sens de la Convention de Genève.

Il fait exposer qu’il serait originaire de la Turquie, qu’il appartiendrait à la minorité des Kurdes, et que le départ de son pays d’origine aurait notamment été motivé par le fait que lui-même et sa famille auraient fait l’objet de discriminations par les autorités étatiques en raison de leur appartenance à la minorité ethnique des Kurdes et de leurs opinions politiques.

Il souligne plus particulièrement ne pas avoir souhaité, pour des raisons de conscience, servir dans l’armée turque de manière à s’être mis dans une situation d’insoumission totale l’exposant à l’heure actuelle au risque de subir une peine de prison d’une gravité disproportionnelle par rapport à l’infraction commise et de subir le même sort que son frère qui aurait été contraint de combattre les militants pro-kurdes pendant l’accomplissement de son service militaire. Le demandeur relève en outre avoir aidé les membres du groupement PKK (parti des travailleurs du Kurdistan) en leur faisant parvenir des vivres et en les hébergeant, de sorte qu’il éprouverait désormais une crainte raisonnable au sens de la Convention de Genève de faire l’objet de persécutions à cause de ces activités. Quant à la situation générale des Kurdes en Turquie, le demandeur insiste que leur droits minimaux dans différents domaines, à savoir l’accès à l’enseignement kurde, le droit de s’exprimer dans la langue kurde, seraient quotidiennement bafoués par les autorités au nom de la suprématie du peuple turque sur la minorité kurde, de sorte qu’il serait établi qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il serait exposé à des traitements discriminatoires en raison de son origine ethnique.

Le demandeur conclut partant à la réformation des décisions déférées en faisant valoir que sa situation particulière établirait une crainte raisonnable de persécution au sens de la Convention de Genève au regard de son insoumission pour des raisons de conscience valables, son appartenance à une minorité vulnérable actuellement malmenée par les autorités turques, son arrestation arbitraire et les mauvais traitements et tortures subis en raison de son appartenance ethnique indiqués au cours de son audition, les multiples gardes à vue liées à son appartenance ethnique dont il aurait fait l’objet, l’obligation imposée par les autorités turques de combattre les militants du groupement PKK, l’existence d’un mandat d’arrêt lancé à son encontre par la police militaire, ainsi que les mauvais traitements dont sa famille aurait fait l’objet depuis son départ à l’étranger.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, n°9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n°9).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition en date du 26 mars 2002, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Concernant d’abord le motif fondé sur l’insoumission de Monsieur …, il y a lieu de constater que les déclarations afférentes du demandeur sont extrêmement vagues pour ne pas être situées dans le temps, de sorte que l’affirmation que dans le cadre de l’exercice de son service miliaire, Monsieur … aurait été amené à participer à des actions que des raisons de consciences valables auraient pu justifier de refuser laissent d’être établies. Il convient en effet de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En l’espèce, outre le fait qu’il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur … risquait ou risque encore à l’heure actuelle de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, il y a lieu de constater encore que ses déclarations relatives à l’existence d’un mandat d’arrêt à son encontre, outre de ne pas être documentées par la moindre pièce, ne permettent pas non plus de situer l’insoumission alléguée de Monsieur …, ainsi que les poursuites s’en étant suivies, dans leur contexte temporel, de même qu’aucune précision tangible ayant trait à la législation applicable, voire aux pratiques en la matière, de nature à établir la gravité de la sanction encourue le cas échéant et par voie de conséquence le caractère disproportionné allégué par rapport à l’infraction concernée n’a été fournie en cause.

Eu égard aux considérations qui précèdent le premier motif fondé sur l’insoumission alléguée de Monsieur … laisse d’être fondé.

En ce qui concerne la situation du demandeur en tant que membre de la minorité kurde de la Turquie, il y a lieu de constater qu’au-delà des événements relatés certes condamnables s’étant déroulés en 1996 et en 1998, le demandeur ne fait plus état d’éléments de persécution personnels s’étant déroulés dans un passé récent. Pour le surplus les raisons ayant motivé son départ ont trait largement à la mauvaise situation générale dans son pays d’origine en tant que villageois vivant dans les montagnes, le demandeur ayant déclaré à cet égard ne pas avoir les moyens d’aller vivre en ville et que les gens ayant déménagé dans les villes y vivraient dans la misère et sans travail.

Il se dégage des considérations qui précèdent qu’au-delà de son moyen basé sur sa situation d’insoumis ci-avant toisé, les craintes de persécution invoquées par le demandeur basées sur son appartenance à la minorité kurde ont trait essentiellement à la mauvaise situation générale de cette minorité dans son pays d’origine sans pour autant être suffisantes pour établir un état de persécution personnelle récent ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à l’heure actuelle et à raison, intolérable dans son pays d’origine, voire pour établir que les autorités qui sont au pouvoir en Turquie ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant à leurs habitants ou tolèrent ou encouragent des agressions notamment à l’encontre des Kurdes.

Le recours en réformation est partant à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 5 mars 2003 par:

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15508
Date de la décision : 05/03/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-03-05;15508 ?

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