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05/03/2003 | LUXEMBOURG | N°15493

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 mars 2003, 15493


Tribunal administratif Numéro 15493 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 octobre 2002 Audience publique du 5 mars 2003 Recours formé par Monsieur … et Madame … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15493 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 octobre 2002 par Maître Ardavan FATHOLAZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg. au nom de Monsieur …, né le …, et de son épouse, Mada

me …, née le… , agissant pour eux-mêmes, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants ...

Tribunal administratif Numéro 15493 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 octobre 2002 Audience publique du 5 mars 2003 Recours formé par Monsieur … et Madame … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15493 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 octobre 2002 par Maître Ardavan FATHOLAZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg. au nom de Monsieur …, né le …, et de son épouse, Madame …, née le… , agissant pour eux-mêmes, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et … …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 14 mai 2002, rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision implicite de confirmation dudit ministre se dégageant de son silence observé pendant plus de trois mois par rapport au recours gracieux par eux introduit en date du 24 juin 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 décembre 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 février 2003.

Le 2 septembre 1999, Monsieur … et son épouse Madame …, agissant en leur nom personnel, ainsi qu’en celui de leurs enfants mineurs … et …, introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour les époux …-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 3 septembre 1999, les époux …-… furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur leurs motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 14 mai 2002, leur notifiée en date du 3 juin 2002, le ministre de la Justice informa les consorts …-… de ce que leur demande avait été refusée aux motifs que la situation des minorités ethniques du Kosovo se serait améliorée par rapport à l’année 1999, que les Serbes et les Albanais du Kosovo ne sauraient plus être considérés comme étant des agents de persécution au sens de la Convention de Genève à l’heure actuelle et qu’il ressortirait de leur déclaration qu’ils éprouveraient un sentiment général d’insécurité non constitutif en tant que tel d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Le ministre a relevé en outre qu’il se dégagerait des déclarations des consorts …-… qu’ils sont restés à Rozaje au Monténégro du 9 mai au 28 août 1999, ce qui démontrerait qu’ils auraient eu une possibilité d’une fuite interne, étant donné que les problèmes par eux allégués rencontrés au Monténégro ne seraient pas d’une gravité telle à justifier l’octroi du statut de réfugié.

Par courrier de leur mandataire datant du 24 juin 2002, les consorts …-… firent introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 14 mai 2002. Celui-ci n’ayant pas fait l’objet d’une décision du ministre dans les trois mois qui s’en suivirent, les consorts …-… ont fait déposer, tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs, un recours en réformation contre la décision ministérielle de refus du 14 mai 2002 et celle implicite confirmative se dégageant du silence observé par le ministre par rapport à leur recours gracieux, par requête datant du 24 octobre 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, les demandeurs font exposer qu’ils sont originaires du Kosovo, de nationalité yougoslave, de confession musulmane et qu’ils appartiennent à la minorité ethnique des Bosniaques. Ils font valoir que leur départ de leur pays d’origine aurait été motivé par le fait que Monsieur … aurait reçu l’ordre de quitter le Kosovo, étant donné que leur maison familiale aurait été détruite par l’armée serbe. Ils font valoir qu’en cas de retour dans leur pays d’origine, Monsieur … risquerait d’être attrapé et maltraité par des militants extrémistes de l’UCK, lesquels considéreraient la minorité bosniaque comme ayant trahi la cause albanaise et collaboré avec les Serbes pendant la proclamation de l’état de guerre. Dans la mesure où des actes de persécution seraient régulièrement perpétrés par des Albanais à l’égard de non-albanais du seul fait de leur origine ethnique, les demandeurs estiment que face à l’impuissance de l’administration civile mise en place au Kosovo par rapport aux nombreuses exactions de la part de la communauté albanaise, ce serait à tort que le ministre a refusé de faire droit à leur demande d’asile.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures non contentieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er , section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant les persécutions commises par des tiers et non par les autorités étatiques, elles ne sauraient être retenues que si les autorités étatiques tolèrent ces actes ou si elles sont incapables d’offrir une protection suffisante contre ces actes. Ce défaut de protection doit être mis suffisamment en évidence par les demandeurs d’asile.

En l’espèce, les demandeurs font état de leur crainte de persécution de la part d’Albanais du Kosovo à leur encontre en raison de leur appartenance à la minorité des Bosniaques. Force est de constater à cet égard que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Bosniaques, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions.

Il convient en outre de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ. En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

A cet égard, il y a lieu de constater en plus que suivant un rapport récent de l’UNHCR sur la situation des minorités au Kosovo datant de janvier 2003, auquel s’est référé le mandataire des demandeurs en termes de plaidoiries, la situation de sécurité générale des bosniaques du Kosovo est restée stable et n’a pas été marquée par des incidents d’une violence sérieuse (« the general security situation of Kosovo Bosniaques remains stable with no incidents of serious violence »), de même qu’il est relevé dans ledit rapport que dans la période entre avril et octobre 2002 la situation des minorités au Kosovo au regard de leur sécurité a continué à s’améliorer, certes non pas de manière uniforme sur tout le territoire du Kosovo, mais de manière plus ou moins accélérée suivant les différentes régions passées sous revue, de sorte que les considérations avancées dans ledit rapport au sujet de l’organisation de retours forcés au Kosovo ne permettent pas pour autant de conclure que la situation générale des Bosniaques au Kosovo serait à l’heure actuelle grave au point que la seule appartenance à la dite minorité justifierait l’octroi du statut de réfugié dans leur chef.

En l’espèce, les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit une crainte personnelle de persécution, voire une incapacité des autorités en place d’assurer leur protection, de sorte que le recours laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs au frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 5 mars 2003 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15493
Date de la décision : 05/03/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-03-05;15493 ?

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