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05/03/2003 | LUXEMBOURG | N°15410

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 mars 2003, 15410


Tribunal administratif N° 15410 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 septembre 2002 Audience publique du 5 mars 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15410 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 septembre 2002 par Maître Jean KAUFFMAN, avocat à la Cour, assisté de Maître

Mike SCHWEBAG, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mo...

Tribunal administratif N° 15410 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 septembre 2002 Audience publique du 5 mars 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15410 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 septembre 2002 par Maître Jean KAUFFMAN, avocat à la Cour, assisté de Maître Mike SCHWEBAG, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Vitomirica/Pec (Kosovo/ex-Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 8 juillet 2002, lui notifiée le 24 juillet 2002, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 27 août 2002 intervenue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 décembre 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport et Maître Mike SCHWEBAG, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 24 mai 2002, Monsieur … introduisit oralement une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-

ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut ensuite entendu en date du 13 juin 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 8 juillet 2002, notifiée le 24 juillet 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre domicile le 11 mai 2002 dans la voiture d’un passeur. Vous avez traversé la Hongrie, l’Autriche et l’Allemagne.

Vous êtes arrivé au Luxembourg environ une semaine avant le dépôt de votre demande d’asile.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 24 mai 2002.

Vous exposez que vous n’avez pas fait votre service militaire, car vous n’y auriez pas été convoqué.

Vous expliquez que vous avez quitté le Kosovo pour la Bosnie en 1999. Vous y auriez vécu, chez un ami, jusqu’en 2002. Vous seriez alors retourné au Kosovo .Vous vous seriez alors rendu compte que les Albanais reprochaient à vos frères d’avoir servi dans l’armée serbe. Vous ajoutez que des individus masqués auraient tiré dans les fenêtres de la maison de vos parents. Vous auriez peur des Albanais.

Vous n’auriez été membre d’aucun parti politique.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je constate que vous éprouvez surtout un sentiment général d’insécurité qui ne saurait fonder une persécution au sens de la Convention de Genève. Vous n’auriez, en effet, jamais été personnellement maltraité. Quant aux Albanais du Kosovo, ils ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la prédite Convention. De plus, l’accomplissement éventuel de votre service militaire, si tant est que vous y soyez un jour appelé, n’entraîne plus la participation à des actes que la conscience pourrait dicter de refuser.

Enfin, il ne ressort pas du dossier qu’il vous aurait été impossible de retourner vivre en Bosnie, pays dans lequel vous avez vécu sans problèmes pendant trois ans, pour ainsi profiter d’une possibilité de protection appropriée.

De toutes façons, force est de constater qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo et qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. Après les élections du 18 novembre 2001, Ibrahim RUGOVA a formé un gouvernement de coalition à majorité albanaise. La présence de non-Albanais au sein de ce gouvernement constitue une garantie pour les minorités ethniques.

Je dois donc constater qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A, 2 de la Convention de Genève, c’est-à-

dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par courrier de son mandataire du 19 août 2002, Monsieur … fit introduire un recours gracieux à l’encontre de la prédite décision du 8 juillet 2002. Par décision du 27 août 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision du 8 juillet 2002.

Par requête déposée le 30 septembre 2002, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des prédites décisions des 8 juillet et 27 août 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que seul un recours en réformation a pu être dirigé contre les décisions ministérielles déférées.

Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours subsidiaire en annulation est par voie de conséquence irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire du Kosovo, de confession musulmane, qu’il ferait partie de la minorité des « bochniaques » et qu’il aurait quitté son pays d’origine en 1999 pour la Bosnie, de peur de devoir servir dans l’armée serbe pendant la guerre au Kosovo. Le demandeur expose encore que ses deux frères auraient été mobilisés par l’armée serbe, qu’ils auraient quitté le Kosovo ensemble avec l’armée serbe à la fin de la guerre et que depuis la fin de la guerre, ses parents auraient été agressés et menacés à plusieurs reprises par des Albanais qui considéreraient la famille … comme des collaborateurs de l’armée serbe. Suite à son retour au Kosovo le jour du Nouvel An 2002, le demandeur expose avoir été contraint de repartir de nouveau quelques mois plus tard, étant donné qu’il ne pourrait pas vivre en sécurité dans son pays d’origine à cause des craintes de représailles de la part des Albanais.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9, p. 519).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 13 juin 2002, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de prime abord de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile. - En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

Il convient d’ajouter que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113, nos. 73-s).

En ce qui concerne la situation des membres des minorités au Kosovo, notamment de celle des « bochniaques », s’il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, notamment du groupe majoritaire des Albanais, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires.

Il y a lieu d’ajouter dans ce contexte, qu’une situation de conflit interne violent ou généralisé ne peut, à elle seule, justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié, étant donné que la crainte de persécution, outre de devoir toujours être fondée sur l’un des motifs de l’article 1er A de la Convention de Genève, doit avoir un caractère personnalisé.

Or, en l’espèce, les craintes exprimées par le demandeur en raison de la prétendue hostilité des Albanais à son égard en raison de la participation de ses frères à la guerre du Kosovo, de son appartenance à la minorité « bochniaque » et de la situation générale tendue dans sa région d’origine, s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

En effet, le demandeur fait essentiellement état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre de la part de membres de la population albanaise, mais il ne démontre point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo, étant entendu qu’il n’a pas fait état de l’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités actuellement en place.

Finalement, l’invocation de la Déclaration universelle des droits de l’homme ainsi que du Pacte international relatif aux droits civils et politiques n’est pas pertinente, étant donné que le simple fait de tomber dans le champ d’application de ces instruments juridiques internationaux n’autorise pas une personne à se voir reconnaître le statut de réfugié politique, l’examen du statut de réfugié politique faisant l’objet d’une appréciation au cas par cas à la lumière des normes juridiques existantes régissant les conditions d’octroi du droit d’asile, à savoir la Convention de Genève.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 5 mars 2003, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15410
Date de la décision : 05/03/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-03-05;15410 ?

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