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05/03/2003 | LUXEMBOURG | N°15390

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 mars 2003, 15390


Tribunal administratif N° 15390 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 septembre 2002 Audience publique du 5 mars 2003

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Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision prise par le ministre de la Justice en matière de carte d’identité d’étranger

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15390 du rôle, déposée au greffe du tribunal administratif le 25 septembre 2002 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats

à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bizerte (Tunisie), de nationalité tunisienne, sans domic...

Tribunal administratif N° 15390 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 septembre 2002 Audience publique du 5 mars 2003

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Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision prise par le ministre de la Justice en matière de carte d’identité d’étranger

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15390 du rôle, déposée au greffe du tribunal administratif le 25 septembre 2002 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bizerte (Tunisie), de nationalité tunisienne, sans domicile connu, actuellement détenu au Centre pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision prise par le ministre de la Justice le 24 juin 2002, par laquelle ledit ministre lui a retiré sa carte d’identité d’étranger ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 décembre 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en ses plaidoiries.

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Par arrêté du 24 juin 2002, le ministre de la Justice retira la carte d’identité d’étranger de M. …, aux motifs suivants :

« - a été verbalisé pour injures, coups et blessurers, menaces de meurtre, intention d’enlèvement de mineur ;

- démuni de moyens d’existence personnels ;

- sans domicile ni résidence connus ;

- constitue par son comportement personnel un danger grave pour l’ordre et la sécurité publics ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 septembre 2002, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la susdite décision ministérielle.

Il convient de prime abord de relever que malgré le fait que l’avocat constitué pour le demandeur n’a ni été présent, ni représenté à l’audience de plaidoiries, le jugement est néanmoins rendu contradictoirement entre parties, étant donné que la procédure devant les juridictions administratives est essentiellement écrite et que le demandeur a pris position par écrit par le fait de déposer sa requête introductive d’instance.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation, introduit en ordre principal, au motif qu’un tel recours n’est pas prévu en la matière.

Si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour connaître du recours (trib. adm. 28 mai 1997, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 4, et autres références y citées).

Aucune disposition légale ne conférant compétence à la juridiction administrative pour statuer comme juge du fond en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître de la demande principale en réformation de la décision critiquée.

Le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Le demandeur soutient en premier lieu que la décision ministérielle litigieuse n’énoncerait pas une motivation suffisante en droit et en fait.

Ledit moyen d’annulation est cependant à écarter, étant donné que, même en admettant que le reproche soit justifié, le défaut d’indication des motifs ne constitue pas une cause d’annulation de la décision ministérielle prise, pareille omission d’indiquer les motifs dans le corps même de la décision que l’autorité administrative a prise entraînant uniquement que les délais impartis pour l’introduction des recours ne commencent pas à courir. En effet, au vœu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, la motivation expresse d’une décision administrative peut se limiter à un énoncé sommaire de son contenu et il suffit, pour qu’un acte de refus soit valable, que les motifs aient existé au moment de la prise de décision, quitte à ce que l’administration concernée les fournisse a posteriori sur demande de l’administré, le cas échéant au cours de la procédure contentieuse, ce qui a été le cas en l’espèce, étant donné que les motifs énoncés dans la décision ministérielle, ensemble les compléments apportés par le représentant étatique au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause ont permis au demandeur d’assurer la défense de ses intérêts en connaissance de cause, c’est-

à-dire sans qu’il ait pu se méprendre sur la portée de la décision ministérielle querellée.

En second lieu, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir décidé le retrait de sa carte d’identité d’étranger sans l’avoir, conformément à l’article 9 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, informé de son intention et ainsi, sans l’avoir mis en mesure de présenter ses observations préalablement à la prise de la décision critiquée.

Il convient de rapprocher de ce moyen, le moyen d’annulation que le demandeur a exposé en troisième lieu, basé sur ce que le ministre aurait omis de solliciter l’avis de la commission consultative en matière de police des étrangers. Dans ce contexte, le demandeur estime que l’administration ne saurait faire valoir une prétendue urgence, au motif qu’il n’aurait pas encore subi de condamnation, de sorte qu’il devrait toujours bénéficier de la présomption d’innocence.

Au sujet de ces deux moyens d’annulation, le délégué du gouvernement expose que le demandeur a épousé le 18 février 1997 Mme F.V., de nationalité belge, qu’il a obtenu une première autorisation de séjour valable jusqu’au 26 mai 1998 et, ensuite, une carte d’identité d’étranger valable jusqu’au 27 octobre 2003, qu’entre décembre 2000 et juin 2002, il a fait l’objet de 11 procès-verbaux pour des infractions d’injures, de menaces d’attentat, de coups et blessures volontaires, de violence, de harcèlement téléphonique, d’abandon de famille, de rébellion et d’infractions à la loi sur les stupéfiants, que par jugement du 7 février 2002, le demandeur a été divorcé de son épouse et que par arrêt du 29 mai 2002, son droit de visite pour l’enfant commun a été supprimé, que des rapports, dont notamment un rapport de la section de la protection de la jeunesse du 3 juin 2002 renseigneraient sur le caractère particulièrement dangereux de l’intéressé et qu’informé de ces différents éléments et de ce que le demandeur avait fait l’objet d’une mesure de détention, laquelle risquait d’être élargie, le ministre de la Justice a pris, dans l’urgence, la décision de retrait de sa carte d’identité d’étranger « alors que tout retard de cette décision était susceptible de compromettre les intérêts de l’ex-épouse et de l’enfant commun ».

Aux termes de l’alinéa 1er de l’article 9 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, « sauf s’il y a péril en la demeure, l’autorité qui se propose de révoquer ou de modifier d’office pour l’avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou qui se propose de prendre une décision en dehors d’une initiative de la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir. Cette communication se fait par lettre recommandée. Un délai d’au moins 8 jours doit être accordé à la partie concernée pour présenter ses observations ».

Selon l’article 1er du règlement grand-ducal modifié du 28 mars 1972 relatif à la composition, l’organisation et le fonctionnement de la commission consultative en matière de police des étrangers, l’avis de la commission consultative en matière de police des étrangers doit être sollicité, « sauf urgence » avant la prise d’une décision de retrait d’une carte d’identité d’étranger.

Force est de constater qu’il se dégage des deux dispositions sus-énoncées que l’autorité administrative n’est pas soumise aux formalités prévisées lorsqu’il y a urgence à prendre une décision et que tout retard serait susceptible de compromettre des intérêts publics ou privés.

Or, eu égard à la situation de droit et de fait ayant existé au jour où le ministre de la Justice a été appelé à statuer, notamment au regard des faits retracés par un nombre impressionnant de procès-verbaux dressés à charge du demandeur, faits que le ministre de la Justice était appelé à prendre en considération dans le cadre de l’appréciation de la célérité qu’il convenait de réserver à la prise de décision, le ministre de la Justice pouvait légalement retenir l’existence d’une urgence particulière en vue de la mise en œuvre de l’éloignement d’un étranger qui constitue une menace permanente pour la sécurité des habitants et spécialement pour celle de son ex-épouse et de son enfant.

Il s’ensuit que les deux moyens d’annulations invoqués par le demandeur relativement à une contravention aux règles relatives à la saisine de la commission consultative en matière de police des étrangers et au caractère contradictoire de la procédure ayant abouti au retrait de sa carte d’identité d’étranger sont à écarter.

C’est encore à tort que, concernant le bien fondé de la décision ministérielle querellée, le demandeur critique le motif basé sur un risque d’atteinte à la sécurité et l’ordre publics, qu’il estime non établi à suffisance de droit, étant donné qu’il se dégage des éléments d’appréciation soumis au tribunal que le demandeur de par son comportement a d’ores et déjà gravement contrevenu à l’ordre public et il se dégage de son comportement passé qu’il est susceptible de constituer une menace grave pour la sécurité, la santé et l’ordre publics. Dans ce contexte, concernant l’argumentation développée par le demandeur sur base de la présomption d’innocence, il convient de préciser que le ministre de la Justice est appelé à qualifier - sans préjudice quant à leur qualification pénale – les faits qui lui sont soumis dans le cadre des dispositions applicables en la présente matière, et de retenir qu’ils dénotent à suffisance un comportement sinon un risque de comportement compromettant sérieusement l’ordre et la sécurité publics et qu’on ne saurait reprocher au ministre de la Justice d’avoir méconnu les dispositions légales applicables en la matière, ni d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation des circonstances de fait.

Par voie de conséquence, l’arrêté ministériel déféré est légalement justifié par ce seul motif, abstraction faite du caractère pertinent ou non des autres motifs invoqués à sa base, tirés notamment du défaut d’existence de moyens de subsistance, entraînant que l’analyse des moyens proposés y relativement devient surabondante.

Cette conclusion n’est pas ébranlée par le moyen tiré de la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en ce que la décision ministérielle empêcherait le demandeur de voir son enfant, étant donné qu’au moment de la décision ministérielle, tout comme au jour du présent jugement, le demandeur n’a pas de droit de visite à l’égard de son enfant, ce droit lui ayant été supprimé par arrêt de la Cour d’appel du 29 mai 2002, au motif que M. … « est actuellement toujours sujet à des accès de violence incontrôlés et que l’enfant âgée de 2 ans et demi, vivant auprès de sa mère est certainement affecté par les actes d’agressions que le père continue d’exercer contre la mère » mais encore et surtout, que la mesure litigieuse, compte tenu des circonstances de l’espèce, constitue en tout état de cause une mesure justifiée et proportionnée.

Enfin, c’est à tort que le demandeur soutient que l’arrêté litigieux serait vicié, au motif qu’il omettrait de lui reconnaître un délai pour quitter le territoire et qu’il ne pourrait ainsi pas prendre « les dispositions élémentaires ». En effet, cette conclusion se dégage des dispositions de l’article 7 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, au titre duquel le refus de l’autorisation de séjour entraîne pour l’étranger « l’obligation de quitter le territoire luxembourgeois endéans le délai imparti, qui commencera à courir à partir de la notification de la décision », et de la considération que contrairement aux ressortissants communautaires pour lesquels un délai minimal a été fixé par l’article 12 du règlement grand-ducal modifié du 28 mars 1972 relatif aux conditions d’entrée et de séjour de certaines catégories d’étrangers faisant l’objet de conventions internationales, ledit article 7 n’a pas prévu de délai minimal, de sorte qu’il y a lieu de retenir que le délai exigé par l’article 7 peut être égal à zéro, tel étant le cas en l’espèce en présence d’une invitation à quitter le territoire dès la notification de l’arrêté litigieux, voire en cas de détention, immédiatement après la mise en liberté, l’essentiel étant qu’un délai ait été formulé de manière déterminée (cf.

Cour adm. 21 novembre 2000, n° 12156C du rôle, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, n° 116 et autre référence y citée).

Il suit des considérations qui précèdent que le recours laisse d’être fondé et que le demandeur doit en être débouté.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 5 mars 2003, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15390
Date de la décision : 05/03/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-03-05;15390 ?

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