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05/03/2003 | LUXEMBOURG | N°15265

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 mars 2003, 15265


Numéro 15265 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 août 2002 Audience publique du 5 mars 2003 Recours formé par les époux … et … …-…, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15265 du rôle, déposée le 19 août 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscri

t au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, et de son épouse...

Numéro 15265 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 août 2002 Audience publique du 5 mars 2003 Recours formé par les époux … et … …-…, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15265 du rôle, déposée le 19 août 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, et de son épouse, Madame …, née le …, agissant tant en leur nom propre qu’en nom et pour compte de leurs enfants communs …, …, …, … et … …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 24 mai 2002 portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 26 juillet 2002 prise sur recours gracieux;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 novembre 2002;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 janvier 2003.

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Le 20 mai 1999, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom propre qu’en nom et pour compte de leurs enfants communs …, …, …, … et … …, tous préqualifiés, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, ils furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Les époux …-… ainsi que leurs enfants …, … et … … furent entendus séparément en date du 22 septembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile, l’audition de Madame … … ayant eu lieu le 15 mai 2002.

Le ministre de la Justice informa les consorts …-… par décision du 24 mai 2002, notifiée par courrier recommandé du 6 juin 2002, de ce que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans leur chef.

Le recours gracieux introduit par les consorts …-… suivant courrier de leur mandataire du 4 juillet 2002 s’étant soldé par une décision confirmative du même ministre du 26 juillet 2002, ils ont fait introduire un recours en réformation à l’encontre des deux décisions ministérielles des 24 mai et 26 juillet 2002 par requête déposée le 19 août 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs reprochent au ministre une appréciation erronée des faits et de ne pas avoir tiré les conséquences qui se seraient imposées du fait que les problèmes par eux rencontrés trouveraient leur source dans leur appartenance à la communauté musulmane et dans l’insoumission de Monsieur … …. Ils font exposer à cet égard que ce dernier n’aurait pas pu accepter de participer au sein des forces militaires yougoslaves à des actions militaires constitutives d’une forme d’épuration ethnique dans la province du Kosovo, de sorte qu’il se serait soustrait à son enrôlement dans la réserve de l’armée yougoslave, et qu’il risquerait, en cas de retour au Monténégro, de faire l’objet d’une condamnation de portée disproportionnée du fait de son insoumission. Ils font valoir que toute condamnation prononcée contre des insoumis ayant évité de participer à des actions militaires par après qualifiées de crimes contre l’humanité devrait être assimilée à une forme de persécution au sens de la Convention de Genève et que celle-ci serait encore accentuée par le fait que la condamnation que Monsieur … risquerait d’encourir serait aggravée par son appartenance à la communauté musulmane. Les demandeurs soutiennent que des poursuites judiciaires seraient actuellement diligentées par les autorités yougoslaves à l’égard d’insoumis se trouvant dans la même situation que Monsieur … et affirment plus particulièrement, en renvoyant à des documents afférents versés en cause, que la loi d’amnistie ne s’appliquerait qu’aux individus ayant réintégré leur unité militaire avant le 7 octobre 2000 et que d’autres insoumis auraient fait l’objet de poursuites malgré la promulgation de la loi d’amnistie. En considération de ces éléments, les demandeurs estiment pouvoir se prévaloir d’une crainte justifiée de persécution et concluent à la réformation des décisions ministérielles déférées.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2002, v° Recours en réformation, n° 9).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Concernant le moyen fondé sur l’insoumission de Monsieur … …, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que l’insoumission n’est pas, en elle-

même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En outre, il n’est établi à suffisance de droit ni qu’actuellement Monsieur … risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni qu’il subsiste encore à l’heure actuelle un risque de poursuites en raison de son insoumission, ni encore qu’une condamnation d’ores et déjà prononcée de ce chef serait encore effectivement exécutée. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur … n’établit pas que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées ni, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées, ceci compte tenu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du parlement de la République fédérale yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, dont également ceux qui ont quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées par les demandeurs tenant au fait que l’amnistie ne trouverait application qu’aux déserteurs et insoumis ayant réintégré leur unité avant le 7 octobre 2000, étant donné que cette interprétation reviendrait à vider la loi d’amnistie de sa substance en ce sens qu’au moment où une demande d’application de ladite loi est présentée après sa promulgation aucun déserteur ou insoumis qui s’était éloigné vers l’étranger ne serait susceptible d’en bénéficier, hypothèse pourtant contredite par une large application que cette loi connaît d’ores et déjà. Par ailleurs l’affirmation que d’autres insoumis feraient l’objet de poursuites judiciaires malgré la promulgation de la loi d’amnistie est démentie par le Haut Commissariat pour les réfugiés qui est au contraire d’avis que les termes de cette loi témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et qui n’a pas encore eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs, n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000, qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi, de manière à ne pas entrevoir de raisons de penser que celle-ci ne serait pas appliquée aux dites personnes (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13854C du rôle, Pas. adm. 2002, v° Etrangers, n° 48).

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 5 mars 2003 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, Mme THOMÉ, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15265
Date de la décision : 05/03/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-03-05;15265 ?

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