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05/03/2003 | LUXEMBOURG | N°15092

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 mars 2003, 15092


Tribunal administratif N° 15092 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 juillet 2002 Audience publique du 5 mars 2003

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Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … et consorts contre une décision conjointe prise par les ministres de la Justice et du Travail et de l’Emploi en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15092 du rôle et déposée au greffe du tribunal administrat

if le 8 juillet 2002 par Maître Gilles DAUPHIN, avocat à la Cour, assisté de Maître Glenn MEYER, avoc...

Tribunal administratif N° 15092 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 juillet 2002 Audience publique du 5 mars 2003

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Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … et consorts contre une décision conjointe prise par les ministres de la Justice et du Travail et de l’Emploi en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15092 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 juillet 2002 par Maître Gilles DAUPHIN, avocat à la Cour, assisté de Maître Glenn MEYER, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … et de son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, tous de nationalité yougoslave, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision conjointe des ministres de la Justice et du Travail et de l’Emploi du 26 avril 2002, par laquelle leur demande tendant à l’obtention d’une autorisation de séjour fut refusée ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Glenn MEYER en ses plaidoiries.

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En date du 2 juillet 2001, Monsieur … introduisit une demande en obtention d’une autorisation de séjour auprès du service commun des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille, dénommé ci-après « le service commun », en précisant être arrivé au Grand-Duché de Luxembourg en date du 22 février 1999 et que la demande de régularisation en question vaut aussi pour son épouse, Madame … et leurs enfants communs …, née le … à Ettelbruck et …, née le … à Ettelbruck. En outre, Monsieur … a déclaré appartenir à la « catégorie D », telle que décrite dans la brochure intitulée « régularisation du 15.3 au 13.7.2001 de certaines catégories d’étrangers séjournant sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg », éditée par le service commun, dénommée ci-après « la brochure », en ce qu’il résiderait au Grand-Duché de Luxembourg depuis le 1er janvier 2000 au moins et qu’il serait atteint d’une maladie d’une gravité exceptionnelle ne lui permettant pas de retourner, dans un délai d’un an, dans son pays d’origine ou dans un autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner. Il échet toutefois de constater à la lecture des pièces jointes à la demande en question, ainsi que des autres pièces figurant au dossier administratif tel que soumis au tribunal, que la maladie en rapport avec laquelle la délivrance d’une autorisation de séjour a été sollicitée par Monsieur … ne concerne pas Monsieur … lui-même, mais sa fille … …, ayant subi de multiples traitements médicaux au Luxembourg en raison du « syndrome de Kawasaki ».

Par lettre du 26 avril 2002, notifiée le 16 mai 2002, le ministre de la Justice et le ministre du Travail et de l’Emploi informèrent Monsieur … de ce qui suit :

« Suite à l’examen de la demande en obtention d’une autorisation de séjour que vous avez déposée en date du 2 juillet 2001 auprès du service commun des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille, de la Solidarité sociale et de la Jeunesse, nous sommes au regret de vous informer que nous ne sommes pas en mesure de faire droit à votre demande.

En effet, selon l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1.

l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, la délivrance d’une autorisation de séjour est subordonnée à la possession de moyens d’existence personnels suffisants légalement acquis permettant à l’étranger de supporter ses frais de séjour au Luxembourg, indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir.

Comme vous ne remplissez pas cette condition, une autorisation de séjour ne saurait vous être délivrée.

Par ailleurs, le dossier tel qu’il a été soumis au service commun ne permet pas au Gouvernement de vous accorder la faveur d’une autorisation de séjour.

En conséquence, vous êtes invités à quitter le Luxembourg ensemble avec votre famille au plus tard pour le 15 juillet 2002. A défaut de départ volontaire, la police sera chargée de vous éloigner du territoire luxembourgeois ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 8 juillet 2002, Monsieur …, ainsi que son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 26 avril 2002.

Il convient de relever que l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, quoique valablement informé par une notification par la voie du greffe du dépôt de la requête introductive d’instance des demandeurs, n’a pas fait déposer de mémoire en réponse.

Nonobstant ce fait, l’affaire est néanmoins réputée jugée contradictoirement, en vertu de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

En l’absence d’un recours en réformation prévu par les dispositions légales applicables en matière de recours introduits contre des décisions rendues en matière d’autorisation de séjour, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision déférée. Le recours en annulation, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Concernant le fond de l’affaire, il convient encore de rappeler que, bien que les demandeurs ne se trouvent pas confrontés à un contradicteur, il n’en reste pas moins que le tribunal doit examiner les mérites des différents moyens soulevés, cet examen comportant entre autre, le cas échéant, un contrôle de l’applicabilité de la disposition légale invoquée par les ministres aux données factuelles apparentes de l’espèce.

A l’appui de leur recours, les demandeurs reprochent aux ministres ayant pris la décision sous analyse du 26 avril 2002 d’avoir violé leur obligation de motiver la décision administrative ainsi prise, en ne prenant pas position par rapport au motif présenté par eux et tendant à l’obtention d’une autorisation de séjour en raison de la maladie de leur fille …, en soutenant que les conditions exigées en vue de la délivrance d’une telle autorisation de séjour seraient remplies en l’espèce. A ce titre, ils font valoir qu’à partir des mois de février et mars 2001, leur fille … aurait commencé à souffrir de fièvre, de toux, ainsi que de divers autres problèmes médicaux ayant entraîné son hospitalisation, pendant quelques jours, dans le service de pédiatrie et de néonatologie du Centre hospitalier de Luxembourg du 19 au 22 mars 2001, « pour suspicion du syndrome de Kawasaki », qui fut effectivement établi par le médecin traitant du Centre hospitalier.

Le lendemain de sa sortie de l’hôpital, à savoir le 23 mars 2001, … aurait à nouveau dû être hospitalisée auprès dudit service de pédiatrie en raison d’une rechute. Cette nouvelle hospitalisation aurait perduré jusqu’au 30 mars 2001 inclus et le rapport médical dressé à cette occasion ferait état « d’un syndrome de Kawasaki sous forme prolongée, accompagné de fièvre et de toux persistantes, d’éruptions cutanées ainsi que de toute une série d’infections ou de déficiences » nécessitant plusieurs prises d’immunoglobulines. Ils font encore état de ce que cette maladie entraînerait fréquemment l’inflammation des coronaires avec formation d’anévrismes et un risque élevé d’infarctus myocardiaque, nécessitant un suivi médical régulier de leur fille … par le service de cardiologie du Centre hospitalier de Luxembourg.

Cet état de santé « plus que préoccupant de leur enfant », aurait motivé leur introduction, en date du 2 juillet 2001, d’une demande tendant à la délivrance d’autorisations de séjour en faveur des membres de leur famille, par référence à la « catégorie D » de la brochure, en raison de la maladie d’…, en soutenant que la maladie d’une gravité exceptionnelle d’… ne leur permettrait pas de rentrer dans leur pays d’origine.

Ils soutiennent que dans la mesure où la décision déférée fait exclusivement référence au fait que les demandeurs ne disposeraient pas de moyens personnels suffisants légalement acquis afin de supporter leurs frais de séjour au Luxembourg, elle aurait répondu par des moyens « erronés » à la demande telle que présentée par eux, en violant ainsi l’obligation de motivation à laquelle devrait satisfaire tout acte administratif à caractère individuel.

Afin d’établir la gravité de la maladie de leur fille …, ils font encore référence à un rapport médical établi en date du 20 juin 2002 par le docteur K.W.-S., suivant lequel la maladie de Kawasaki, dont souffrirait leur fille … depuis mars 2001, constituerait une maladie encore mal connue à l’heure actuelle en ce qui concerne l’étiologie, ainsi que l’incidence des séquelles à long terme, de sorte à nécessiter une « bonne surveillance clinique », d’autant plus que cette maladie consisterait en une déficience immunitaire et que l’enfant venait à nouveau d’être hospitalisé pour une pneumonie au cours du mois de mars 2002, ce qui démontrerait que le système immunitaire de l’enfant ne serait toujours pas rétabli.

Au vu de l’état de santé de leur fille, les demandeurs estiment qu’il leur serait actuellement impossible de retourner dans leur pays d’origine, à savoir le Monténégro, qui ne serait pas en mesure d’offrir aux patients médicaux des installations médicales sophistiquées, tels que les échocardiogrammes de haute qualité, permettant de diagnostiquer notamment des coronariens et de leur procurer les médicaments indispensables.

Force est de constater, au vu des développements qui précèdent, que les demandeurs, en invoquant le droit de résider au Grand-Duché de Luxembourg, ont entendu non pas introduire une demande ordinaire en obtention d’une autorisation de séjour, mais ont en substance demandé de bénéficier d’un droit de séjourner au Luxembourg pour des raisons humanitaires, tel qu’ils l’ont cru consacré au niveau de la brochure, notamment sous la « catégorie D ».

En application de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux et une décision refusant de faire droit à la demande de l’intéressé doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et les circonstances de fait à sa base.

Il échet de rappeler à ce stade que par leur demande introduite en date du 2 juillet 2001, les demandeurs ont sollicité la délivrance d’autorisations de séjour en leur faveur en raison de l’état de santé d’… ….

Au cas où il s’avérerait que la vie de la fille … serait gravement mise en danger, en raison de sa maladie, en cas de retour dans son pays d’origine, le ministre de la Justice, compétent en matière de délivrance d’autorisations de séjour sur base de l’article 11 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, sera dans l’obligation de lui délivrer une autorisation de séjour pour des raisons humanitaires sur base de l’article 14 in fine de la prédite loi de 1972, ainsi que, par voie de conséquence, au vu de la minorité d’…, à ses parents, ainsi qu’à sa sœur, également mineure.

En invoquant toutefois un motif de refus de délivrance des autorisations de séjour, qui ne répond en aucune manière au motif invoqué par les demandeurs à l’appui de leur demande du 2 juillet 2001, c’est-à-dire en ne répondant pas par rapport aux faits de l’espèce qui lui ont été soumis et en persévérant dans ce refus de prendre position par rapport à la demande lui soumise durant la procédure contentieuse, suite à l’introduction d’un recours devant le juge administratif, en ne déposant pas de mémoire en réponse, l’autorité administrative met le tribunal dans l’impossibilité d’exercer son contrôle sur l’existence et la légalité des motifs pouvant justifier ladite décision de rejet (cf. trib. adm.

16 mars 2000, n° 11555 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Procédure administrative non contentieuse, IV. Motivation de la décision administrative, n° 42, p. 430 et autre référence y citée).

En d’autres termes, le seul motif de refus invoqué par le ministre de la Justice à l’appui de la décision repose sur le seul défaut de moyens personnels suffisants, mais il ne prend pas position quant à la demande tendant à obtenir des autorisations de séjour pour des raisons humanitaires, telle qu’introduite par les demandeurs le 2 juillet 2001.

Or, dans la mesure où une demande en obtention d’un titre de séjour pour des raisons humanitaires est à examiner sur une base légale autre que l’article 2 de la prédite loi du 28 mars 1972, le seul motif légal invoqué par le ministre à l’appui de sa décision de refus déférée est dépourvu de caractère légal.

Dans la mesure où l’Etat n’a pas utilement suppléé au défaut de motivation à la base de la décision déférée en cours de procédure contentieuse, celle-ci encourt partant l’annulation pour défaut de motivation.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit justifié ;

partant annule la décision ministérielle déférée et renvoie l’affaire devant le ministre de la Justice ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 5 mars 2003 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15092
Date de la décision : 05/03/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-03-05;15092 ?

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