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27/02/2003 | LUXEMBOURG | N°16002

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 février 2003, 16002


Tribunal administratif Numéro 16002 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 février 2003 Audience publique extraordinaire du 27 février 2003 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à disposition du Gouvernement

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16002 du rôle, déposée le 17 février 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né …, de nationalité irani

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Tribunal administratif Numéro 16002 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 février 2003 Audience publique extraordinaire du 27 février 2003 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à disposition du Gouvernement

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 16002 du rôle, déposée le 17 février 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né …, de nationalité iranienne, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 13 février 2003 ordonnant son placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 février 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 février 2003.

Il ressort d’un procès-verbal référencé sous le numéro 26 de la police grand-ducale, service de contrôle à l’aéroport, du 12 février 2003, que Monsieur … fut intercepté le même jour à l’aéroport du Findel alors qu’il tentait d’embarquer à destination de Londres moyennant un passeport belge falsifié. Lors de ce contrôle, il s’est avéré qu’il était en possession d’un billet d’avion Luxembourg – Londres Heathrow, d’un billet de train Anvers – Luxembourg et de 20, ainsi que de 10 livres anglaises.

Monsieur … fit alors l’objet d’une mesure de rétention ordonnée le même jour par un substitut du procureur d’Etat près du tribunal d’arrondissement de Luxembourg.

Par décision du ministre de la Justice du 13 février 2003, notifiée le même jour à l’intéressé, Monsieur … fut ensuite placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la dite décision dans l’attente de son éloignement du territoire luxembourgeois.

La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants :

1« Considérant qu’en date du 12 février 2003, l’intéressé a tenté de voyager de Luxembourg à Londres moyennant un passeport belge falsifié ;

Considérant que l’intéressé est démuni de toute pièce d’identité et de voyage valable ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

- qu’un éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ; ».

Par requête déposée le 17 février 2003 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision de placement du 13 février 2003.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision litigieuse. Ledit recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Le mandataire du demandeur a requis le tribunal lors des plaidoiries d’écarter le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement en arguant qu’il s’agirait non pas d’un mémoire séparé et individualisé dans le cadre du recours sous analyse, mais d’un mémoire collectif contenant une prise de position unique et globale du représentant étatique ayant trait au recours sous analyse, ainsi qu’à trois autres recours ayant été fixés pour plaidoiries à la même audience publique.

Dans la mesure où chaque partie à l’instance est en principe libre de conférer au mémoire par elle déposé dans le cadre d’un recours devant le tribunal administratif le contenu qu’elle estime le plus approprié à la défense de ses intérêts, elle peut valablement, en considérant notamment que les situations en fait à la base sont parallèles, déposer des mémoires au contenu identique dans le cadre de plusieurs recours sous la seule condition de se conformer aux exigences de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives concernant le dépôt d’un mémoire pour chaque recours visé, étant entendu qu’en l’espèce le numéro du rôle du recours sous examen figure clairement sur le mémoire déposé.

Il n’y a partant pas lieu d’écarter le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement.

Le mandataire du demandeur a en plus requis le tribunal lors des plaidoiries d’ordonner au délégué du Gouvernement de verser l’intégralité du dossier administratif et plus particulièrement les rapports des auditions effectuées respectivement en date du 12 février 2003 par le juge d’instruction et le 17 février 2003 par un agent du ministère de la Justice dans le cadre de l’instruction de la demande d’asile posée le 13 février 2003 par le demandeur, ainsi que le courrier de son mandataire confirmant l’introduction de cette demande envoyée par télécopie du même jour au ministère de la Justice.

2Estimant que ces pièces seraient de nature à établir l’existence, dès son interception dans l’enceinte de l’aéroport, de l’introduction d’une demande d’asile auprès des autorités luxembourgeoises, le demandeur fait valoir que leur dépôt dans la présente affaire serait indispensable.

Force est de constater que dans le cadre d’un recours contre une décision de placement ordonnée sur base de l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, seule l’existence et le moment de l’introduction d’une demande d’asile sont susceptibles d’avoir une incidence sur l’issue du litige, mais que les déclarations du demandeur faites à l’appui de sa demande d’asile sont étrangères à la matière sous examen, de sorte que le rapport de l’audition du demandeur effectuée en date du 17, voire 18 février 2003 suivant les indications afférentes du délégué du Gouvernement, n’est pas à considérer comme faisant partie du dossier administratif de l’affaire sous examen.

Le tribunal ayant par ailleurs requis le mandataire du demandeur de verser directement au dossier son courrier du 13 février 2003 confirmant l’intention du demandeur de déposer une demande d’asile au Luxembourg, il n’y a pas lieu d’ordonner le dépôt d’autres pièces au dossier administratif, étant donné que le dossier tel que soumis au tribunal permet de situer dans le temps à suffisance de précision l’introduction d’une demande d’asile par le demandeur.

En effet, même si le procès-verbal référencé sous le numéro 26 de la police grand-

ducale, service de contrôle à l’aéroport, du 12 février 2003 est ambigu sur la question de savoir si le demandeur a présenté dès son interception dans l’enceinte de l’aéroport une demande d’asile, la rubrique afférente n’étant pas marquée d’une croix mais comportant la mention « ASYL » en caractères gras, le courrier pré visé du mandataire du demandeur, envoyé par voie de télécopie à l’adresse du ministre de la Justice, est de nature à confirmer l’existence d’une demande d’asile au jour de la prise de l’arrêté ministériel litigieux.

Quant au fond, le demandeur argumente en premier lieu que la décision entreprise devrait être annulée pour cause de nullité du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, pour défaut de base légale, estimant que la loi modifiée du 27 juin 1997 portant réorganisation de l’administration pénitentiaire n’offrirait pas de base légale suffisante à la création, par voie de règlement grand-ducal, d’une structure spécifique au sein du Centre pénitentiaire de Luxembourg destinée à accueillir les étrangers faisant l’objet d’une mesure de placement, en renvoyant à cet égard à l’avis du Conseil d’Etat rendu dans le cadre de l’élaboration de cette dernière loi et ayant estimé que la création d’un nouvel établissement pénitentiaire nécessiterait l’intervention du législateur.

Ce moyen tiré de la prétendue nullité du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 n’est cependant pas fondé, étant donné que la base légale dudit règlement grand-ducal est donnée par l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, tel que cela ressort d’ailleurs du libellé même dudit règlement grand-ducal. Dans ce contexte, il est indifférent que le Conseil d’Etat, au moment de l’élaboration de la loi du 27 juillet 1997 portant réorganisation de l’administration pénitentiaire, a estimé que l’intervention du législateur serait de mise pour l’hypothèse d’une modification des attributions d’un établissement pénitentiaire, étant donné que le Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation 3irrégulière n’est pas à considérer comme un établissement pénitentiaire (cf. trib. adm. 5 décembre 2002, n° 15679 du rôle, non encore publié).

En deuxième lieu, le demandeur conteste la réunion en l’espèce des conditions pour prendre une décision de placement, alors qu’il ressortirait des éléments du dossier que le ministre de la Justice n’aurait pris à son encontre ni une décision d’expulsion, ni une décision de refoulement au sens de la loi modifiée du 28 mars 1972 et qu’il aurait omis d’indiquer dans sa décision les circonstances de fait de nature à rendre un éloignement immédiat impossible.

Concernant d’abord le reproche tiré de ce que le ministre de la Justice n’aurait pris ni une décision d’expulsion, ni une décision de refoulement, il est constant en cause que la décision de placement n’est pas basée sur une décision d’expulsion.

Il convient partant d’examiner si la décision de placement est basée sur une mesure de refoulement qui, en vertu de l’article 12 de la loi modifiée du 28 mars 1972, peut être prise, « sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal », à l’égard d’étrangers non autorisés à résidence :

« 1) qui sont trouvés en état de vagabondage ou de mendicité ou en contravention à la loi sur le colportage ;

2) qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ;

3) auxquels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 de [la loi précitée du 28 mars 1972] ;

4) qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis ;

5) qui, dans les hypothèses prévues à l’article 2 paragraphe 2 de la Convention d’application de l’accord de Schengen, sont trouvés en contravention à la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions ou sont susceptibles de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics ».

Aucune disposition législative ou réglementaire ne déterminant la forme d’une décision de refoulement, celle-ci est censée avoir été prise par le ministre de la Justice à partir du moment où les conditions de forme et de fond justifiant un refoulement, telles que déterminées par l’article 12 de la loi modifiée du 28 mars 1972 sont remplies, et où, par la suite, une décision de placement a été prise à l’encontre de l’intéressé. En effet, une telle mesure de refoulement est nécessairement sous-jacente à la décision de placement à partir du moment où il n’existe pas d’arrêté d’expulsion.

En l’espèce, parmi les motifs invoqués à l’appui de la décision de placement, le ministre de la Justice fait état du fait que le demandeur se trouvait en séjour irrégulier au pays.

Dans la mesure où il est constant que le demandeur est entré sur le territoire luxembourgeois en se prévalant d’un passeport falsifié et qu’il n’est en possession ni de papiers de légitimation prescrits, ni de visa, une mesure de refoulement telle que prévue par l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972 était en principe justifiée à son égard.

La mesure de placement entreprise n’est cependant légalement admissible que si l’éloignement ne peut être immédiatement mis à exécution en raison de circonstances de fait.

4 Cette exigence légale appelle le tribunal à vérifier si le ministre de la Justice a pu se baser sur des circonstances de fait permettant de justifier en l’espèce une impossibilité de procéder à un éloignement immédiat de l’intéressé.

A ce titre le demandeur soutient qu’il aurait présenté une demande d’asile, de manière que la décision de placement se heurterait au principe de non-refoulement tel que prévu par les articles 33 de la Convention de Genève et 14 de la loi modifiée du 28 mars 1972.

Même s’il est admis en l’espèce que Monsieur … a posé une demande d’asile le 13 février 2003, c’est-à-dire le même jour que la décision de placement litigieuse, il n’est cependant pas moins constant en cause que le demandeur n’a pas soumis sa demande d’asile spontanément en se présentant aux autorités luxembourgeoises, mais seulement après avoir été intercepté lorsqu’il tentait de quitter le territoire luxembourgeois sous le couvert d’un document de voyage falsifié et qu’il est arrivé au Luxembourg après avoir traversé plusieurs autres Etats membres de l’Union européenne non pas avec l’intention d’y demander asile, mais bien en vue de poursuivre sa route de manière illégale vers le Royaume-Uni. Dans la mesure où l’irrégularité du séjour du demandeur était dès lors patente préalablement à l’introduction de sa demande d’asile et que ce dernier n’avait manifestement pas l’intention de s’adresser directement à cette fin aux autorités luxembourgeoises, le ministre pouvait valablement ordonner en date du 13 février 2003 une décision de placement à l’encontre de la personne concernée afin de mettre ses services en mesure de vérifier l’identité du demandeur, ainsi que de clarifier la question de la compétence de l’Etat luxembourgeois pour connaître de sa demande d’asile à la lumière notamment de la Convention de Dublin du 15 juin 1990 relative à la détermination de l’Etat responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres des Communautés européennes, en vertu de laquelle un seul Etat membre conformément aux critères retenus par cette convention, est en principe compétent pour examiner une demande d’asile présentée à la frontière ou sur le territoire d’un des Etats membres.

Force est cependant de constater que depuis l’interception du demandeur en date du 12 février 2003, lors de laquelle les agents du service de contrôle aéroport ont trouvé le demandeur notamment muni d’un billet de train Anvers-Luxembourg, et la prise de la décision litigieuse le lendemain 13 février 2003, il s’est écoulé un délai de 15 jours, sans que le dossier tel que soumis au tribunal ne permet de dégager que le ministre de la Justice a effectivement déployé des diligences en vue d’un éventuel éloignement du demandeur dans les meilleurs délais vers un autre Etat partie à la Convention de Dublin, de sorte que l’impossibilité d’un éloignement immédiat, certes patente au jour de la prise de la décision litigieuse, voire encore au cours des premières journées qui s’ensuivirent, laisse d’être établie au jour du présent jugement.

Comme le tribunal statuant dans le cadre d’un recours en réformation est appelé à apprécier la décision déférée au jour où il statue, il y a lieu de constater que la décision de placement du 13 février 2003 ne remplit plus les conditions imposées par l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972.

Le tribunal est partant amené à réformer la décision querellée et à ordonner la libération immédiate du demandeur, sans qu’il y ait lieu de prendre position par rapport aux autres moyens et arguments invoqués.

5 Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le déclare justifié;

partant par réformation ordonne la mise en liberté immédiate de Monsieur … ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 27 février 2003 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier.

SCHMIT LENERT 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 16002
Date de la décision : 27/02/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-02-27;16002 ?

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