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26/02/2003 | LUXEMBOURG | N°15458

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 février 2003, 15458


Tribunal administratif N° 15458 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 octobre 2002 Audience publique du 26 février 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15458 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 octobre 2002 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des av

ocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bérane (Monténégro/ex-Yougoslavie), demeurant actu...

Tribunal administratif N° 15458 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 octobre 2002 Audience publique du 26 février 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15458 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 octobre 2002 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bérane (Monténégro/ex-Yougoslavie), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 15 avril 2002, notifiée le 13 mai 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative implicite résultant du silence de plus de trois mois du ministre suite à l’introduction d’un recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 novembre 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 7 juin 1999, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut ensuite entendu en dates des 7 juillet 1999 et 24 septembre 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 15 avril 2002, notifiée le 13 mai 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit:

« Monsieur, il résulte de vos déclarations auprès de la Police Judiciaire que vous auriez quitté le Monténégro en mai 1999 pour vous rendre à Sarajevo. Vous auriez ensuite traversé la Croatie et la Slovénie. En Slovénie vous auriez pris place à bord d’une voiture qui vous aurait emmené au Luxembourg où vous dites être arrivé le 7 juin 1999.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 7 juin 1999.

Lors de l’audition du 7 juillet 1999 vous déclarez avoir quitté votre pays d’origine pour éviter d’aller à la réserve. En effet, vous auriez eu un appel pour la réserve en mai 1999, mais des raisons de conscience vous n’auraient pas permis de faire la guerre contre votre peuple. Vous auriez également craint le mauvais traitement à l’armée des Serbes à l’égard des Musulmans. Vous indiquez que la police militaire serait venue chez vous.

Vous ajoutez avoir peur à cause de votre confession musulmane.

Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique et de ne pas avoir subi de persécutions.

Il résulte des renseignements en notre possession que vous ne vous êtes pas présenté aux services compétents du Ministère de la Justice pour faire renouveler votre attestation de demande d’asile (fiche rose) depuis le 21 septembre 2000. Le 14 septembre 2001 vous réapparaissez auprès de nos services.

Lors de l’audition du 24 septembre 2001 vous déclarez avoir été en Italie. Vous auriez voulu rentrer au Monténégro, parce que votre tante serait décédée et parce que votre mère aurait été malade. Vous n’auriez pas eu assez d’argent pour aller au Monténégro et vous seriez resté en Italie. Vous dites avoir logé dans un camp de nomades à Palerme où vous auriez été mêlé dans une bagarre. Vous auriez alors été contrôlé par la police italienne qui vous aurait mis en prison pendant 4 mois. Vous dites que la police italienne vous aurait pris pour un certain AGOVIC Farko et qu’elle aurait pris vos documents luxembourgeois pour des falsifications. Vous auriez été relâché fin juin 2001. Vous seriez alors allé à Milan pour travailler un certain temps. Vous seriez revenu le 25 ou 27 août 2001 au Luxembourg.

Il y a tout d’abord lieu de souligner que votre récit relatif à votre arrestation en Italie semble fort douteux. Le fait d’avoir quitté le territoire luxembourgeois et ainsi de ne plus avoir prolongé votre attestation pendant un an peut être considéré comme une omission flagrante de vous acquitter d’obligations importantes imposées par les dispositions régissant les procédures d’asile.

A cela s’ajoute que l’insoumission, même à la supposer établie dans votre cas, car vous ne fournissez aucune preuve, est insuffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution au sens de l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève. De même, la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte de persécution au sens de la prédite Convention. En outre, il n’est pas établi que l’appartenance à l’armée yougoslave imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser. Enfin, rappelons qu’une loi d’amnistie a été adoptée par le Parlement de la République fédérale yougoslave au mois de février 2001.

Concernant la situation particulière des ressortissants de confession musulmane au Monténégro, je souligne que la reconnaissance du statut de réfugié politique n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile, qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Or, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève. Ainsi, la peur dont vous faites état, n’est pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution selon la Convention de Genève, mais traduit plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie a changé au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie a retrouvé sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par sa réadmission à l’ONU et à l’OSCE. A cela s’ajoute que le 15 mars 2002 un accord serbo-monténégrin a été signé par les présidents Kostunica et Djukanovic, prévoyant l’adoption d’une nouvelle constitution et l’organisation d’élections permettant de donner plus d’indépendance au Monténégro. La République fédérale de Yougoslavie cessera d’exister pour être remplacée par un Etat de Serbie et de Monténégro.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raisons d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par le mandataire de Monsieur … à l’encontre de la décision ministérielle précitée à travers un courrier du 13 juin 2002, étant resté sans réponse, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle prévisée du 15 avril 2002, ainsi qu’à l’encontre de la décision implicite de rejet du ministre résultant du silence pendant plus de trois mois suite à l’introduction du recours gracieux, par requête déposée le 14 octobre 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Au fond, le demandeur conclut à la réformation des décisions querellées au motif que le ministre aurait fait une mauvaise appréciation de sa situation de fait, alors qu’il s’en dégagerait qu’il remplit les conditions légales pour être admis au statut de réfugié prévu par la Convention de Genève.

Dans cet ordre d’idées, il fait exposer être originaire du Monténégro et de confession musulmane, qu’il aurait quitté sa région natale et son pays d’origine en raison du fait qu’il aurait été appelé par l’armée fédérale yougoslave pour la réserve militaire au mois de mai 1999, mais qu’il aurait craint de devoir participer à la guerre du Kosovo et à une action d’épuration ethnique contre les musulmans, de même qu’il aurait craint de mauvais traitements à l’armée de la part des Serbes. Le demandeur expose encore qu’en raison de cette insoumission il risquerait, à l’heure actuelle, de faire l’objet d’une condamnation de portée disproportionnée et qu’il ne serait pas établi que la loi d’amnistie votée en Yougoslavie serait de nature à le garantir contre tout risque de condamnation.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Selon l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions des 7 juillet 1999 et 24 septembre 2001, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le principal motif de persécution que le demandeur fait valoir, à savoir celui fondé sur son état d’insoumission, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que le demandeur risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur … n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle au Monténégro et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées par le demandeur tenant au fait que la loi d’amnistie ne s’appliquerait pas aux insoumis qui ont quitté leur pays d’origine, étant donné que pareille interprétation n’est pas établie à suffisance de droit, qu’elle reviendrait à vider la loi d’amnistie en fait d’une grande partie de sa substance et qu’au delà des termes mêmes de la loi d’amnistie ainsi que des infractions qui en font l’objet, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a au contraire exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, n° 50).

Cette conclusion n’est pas non plus énervée par les différentes pièces auxquelles se réfère le demandeur tendant à soutendre des doutes au sujet de l’application effective de la loi d’amnistie, étant donné que les différents documents produits, même à admettre leur authenticité, ne permettent en tout état de cause pas de situer avec toute la certitude requise les infractions pénales y visées dans le temps.

Les autres craintes vagues exprimées par le demandeur en raison de sa confession musulmane et des problèmes de coexistence entre les communautés religieuses au Monténégro constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’il n’ait établi un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les nouvelles autorités dans son pays d’origine ne seraient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Monténégro ou tolèrent voire encouragent des agressions notamment à l’encontre des musulmans.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 26 février 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15458
Date de la décision : 26/02/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-02-26;15458 ?

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