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26/02/2003 | LUXEMBOURG | N°15443

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 février 2003, 15443


Tribunal administratif N° 15443 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 octobre 2002 Audience publique du 26 février 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision conjointe prise par les ministres de la Justice et du Travail et de l’Emploi en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15443 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 octobre 2002 par Ma

tre Aloyse MAY, avocat à la Cour, assisté de Maître Patricia FERRANTE, avocat, les deux inscrits au t...

Tribunal administratif N° 15443 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 octobre 2002 Audience publique du 26 février 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision conjointe prise par les ministres de la Justice et du Travail et de l’Emploi en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15443 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 octobre 2002 par Maître Aloyse MAY, avocat à la Cour, assisté de Maître Patricia FERRANTE, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bérane (Monténégro/ex-Yougoslavie), demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision conjointe des ministres de la Justice et du Travail et de l’Emploi du 1er juillet 2002, notifiée le 15 juillet 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en obtention d’une autorisation de séjour ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 décembre 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Patricia FERRANTE et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 13 juillet 2001, Monsieur … introduisit une demande en obtention d’une autorisation de séjour auprès du service commun des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille, dénommé ci-après le « service commun ». Dans sa demande, Monsieur … a déclaré appartenir à la « catégorie A », telle que décrite dans la brochure intitulée « régularisation du 15 mars au 13 juillet 2001 de certaines catégories d’étrangers séjournant sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg », éditée par le service commun, dénommée ci-après la « brochure », en ce qu’il résiderait et travaillerait de façon ininterrompue au Grand-Duché de Luxembourg depuis le 1er janvier 2000, qu’il serait affilié depuis cette date à la sécurité sociale luxembourgeoise et toucherait un salaire égal au salaire social minimum, soit un salaire égal au RMG.

Par lettre du 1er juillet 2002, notifiée le 15 juillet 2002, les ministres de la Justice et du Travail et de l’Emploi informèrent le demandeur de ce qui suit :

« Suite à l’examen de la demande en obtention d’une autorisation de séjour que vous avez déposée en date du 13.07.2001 auprès du service commun des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille, de la Solidarité sociale et de la Jeunesse, nous sommes au regret de vous informer que nous ne sommes pas en mesure de faire droit à votre demande.

En effet, selon l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l’entrée et le séjour des étrangers ; 2° le contrôle médical des étrangers ; 3° l’emploi de la main-

d’œuvre étrangère, la délivrance d’une autorisation de séjour est subordonnée à la possession de moyens d’existence personnels suffisants légalement acquis permettant à l’étranger de supporter ses frais de séjour au Luxembourg, indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir.

Comme vous ne remplissez pas cette condition, une autorisation de séjour ne saurait vous être délivrée.

Par ailleurs, le dossier tel qu’il a été soumis au service commun ne permet pas au Gouvernement de vous accorder la faveur d’une autorisation de séjour ».

A la suite d’un recours gracieux daté au 26 août 2002 adressé par le mandataire de Monsieur … au service commun, les ministres de la Justice et du Travail et de l’Emploi ont refusé de réserver une suite favorable audit recours gracieux par décision du 6 septembre 2002, au motif que ce recours serait irrecevable comme étant tardif.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 11 octobre 2002, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 1er juillet 2002. Le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi, étant précisé que c’est à tort que les prédits ministres ont déclaré le recours gracieux irrecevable comme étant tardif.

Au fond, le demandeur explique qu’il aurait rempli le formulaire de demande en obtention d’une autorisation de séjour sans l’assistance de son avocat ou d’une personne comprenant le français et qu’il se serait trompé au moment de remplir ledit formulaire en affirmant appartenir à la « catégorie A », alors qu’en réalité il appartiendrait à la « catégorie C », comme résidant au Luxembourg de façon ininterrompue depuis le 1er juillet 1998 au moins. Etant donné qu’il remplirait les conditions posées par la brochure au vu notamment des nombreuses attestations testimoniales produites, ce serait à tort que les ministres du Travail et de l’Emploi et de la Justice ne l’auraient pas régularisé comme personne appartenant à la « catégorie C », en lui reprochant de ne pas remplir les conditions de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972.

Le délégué du gouvernement conclut à l’inapplicabilité de la procédure de régularisation à la situation du demandeur en se référant à deux motions votées par la Chambre des députés lors de ses séances des 14 et 22 mars 2001, qui se trouveraient à la base de la réglementation adoptée par le gouvernement en vue de la régularisation des étrangers se trouvant en situation irrégulière au Grand-Duché de Luxembourg, dont l’une viserait exclusivement les demandeurs d’asile déboutés et résidant de façon ininterrompue au Luxembourg depuis le 1er juillet 1998 respectivement originaires du Kosovo et entrés sur le territoire du Luxembourg avant le 1er janvier 2000, et l’autre aurait été répercutée dans la brochure, énumérant sept catégories de personnes « susceptibles d’obtenir une autorisation de séjour et /ou un permis de travail », cette brochure excluant toutefois les demandeurs d’asile.

Or, en l’espèce, Monsieur …, en tant que demandeur d’asile débouté ne tomberait dans aucune des catégories fixées en faveur des demandeurs d’asile, de sorte qu’on ne saurait reprocher aux ministres concernés de ne pas avoir respecté leurs propres directives. Subsidiairement, le représentant étatique estime que le requérant n’aurait apporté aucune preuve de nature à établir les conditions requises dans le cadre de la « catégorie A ».

En l’espèce, il ne fait de doute, au vu des diverses attestations testimoniales versées, que le demandeur a cherché à obtenir une autorisation de séjour par le critère de résidence ininterrompue au Luxembourg depuis le 1er juillet 1998 au moins.

Comme toute autorité administrative est tenue d’appliquer d’office le droit applicable à l’affaire dont elle est saisie et comme il appartient à l’administration de dégager les règles applicables et de faire bénéficier l’administré de la règle la plus favorable (trib. adm. 13 décembre 2000, n° 12093 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 10), il convient dès lors d’examiner si Monsieur … est susceptible de bénéficier d’une régularisation telle qu’inscrite au point C de la brochure, exigeant la preuve d’une résidence ininterrompue au Grand-Duché de Luxembourg depuis le 1er juillet 1998.

Conformément à l’article 36 de la Constitution, c’est le Grand-Duc qui fait les règlements et arrêtés nécessaires pour l’exécution des lois. Il se dégage ainsi de cette disposition constitutionnelle que seules les lois, au sujet desquelles la Chambre des députés émet son assentiment conformément à l’article 46 de la Constitution, et qui sont par la suite sanctionnées et promulguées par le Grand-Duc, conformément à l’article 34 de la Constitution, peuvent donner lieu à des règlements grand-ducaux d’application en vue d’assurer leur exécution efficace.

Il s’ensuit qu’une motion adoptée par la Chambre des députés ou tout autre acte voté par celle-ci, à l’exception des propositions ou projets de loi, dûment sanctionnés et promulgués par la suite par le Grand-Duc, ne sauraient conférer au Grand-Duc ou au gouvernement une base valable pour adopter une réglementation dans un domaine déterminé.

Il s’ensuit encore que contrairement à ce que pourraient le laisser croire les développements du délégué du gouvernement, les motions adoptées par la Chambre des députés lors de ses séances des 14 et 22 mars 2001 portant, d’une part, sur la régularisation de personnes en situation administrative irrégulière et, d’autre part, sur les demandeurs d’asile en cours de procédure ou déboutés ainsi que sur des personnes susceptibles de bénéficier d’un statut humanitaire, ne sauraient constituer une base légale autorisant le Grand-Duc ou le gouvernement d’instituer un régime portant sur la régularisation d’étrangers se trouvant sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg en situation irrégulière ou en leur qualité de demandeurs d’asile.

Il est vrai que le gouvernement, pris dans son ensemble, ou chaque ministre pris individuellement, dans le cadre de son champ de compétence, tel qu’il est défini par la législation en vigueur, peuvent adopter des directives internes pour se donner des lignes de conduite en fixant notamment des procédures ou critères suivant lesquels certaines affaires qui leur sont soumises ou qui relèvent de leur domaine de compétence doivent être traitées notamment par les fonctionnaires qui se trouvent sous leurs ordres. Toutefois, de telles directives doivent obligatoirement se situer dans le cadre des dispositions légales et réglementaires applicables et elles ne peuvent en aucun cas comprendre des règles allant au-

delà de ce qui est expressément prévu par la loi ou un règlement grand-ducal d’application de celle-ci, sous peine pour le gouvernement ou le ou les ministres ainsi visés, d’excéder leurs pouvoirs et d’empiéter sur une compétence réservée soit au pouvoir législatif soit au pouvoir réglementaire tel que déterminé par l’article 36 de la Constitution.

Il est vrai également que les droits français et belge, tel qu'interprétés par la jurisprudence, reconnaissent les directives qui y sont qualifiées de mécanisme d'autolimitation du pouvoir discrétionnaire de l'administration (v. M.-A. FLAMME, Droit administratif, tome 1er, n° 168, p. 396, Bruylant 1989). Selon le Conseil d'Etat belge, "une directive se distingue précisément d'une règle de droit en cela qu'elle se réfère à une règle de conduite générale par laquelle l'autorité se laissera guider ou du moins de laquelle elle s'inspirera, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, à l'occasion de cas concrets" (C.E. b. 20 juin 1964, cité in M.-

A. FLAMME, op. cit., p. 397).

Dans un contexte constitutionnel identique à celui existant au Luxembourg, le droit belge reconnaît, à côté des directives qui constituent une sorte de "codification des motifs" en matière d'appréciation discrétionnaire, des directives de nature réglementaire ajoutant des règles nouvelles aux règles existantes (v. M.-A. FLAMME, op. cit., n° 168 bis, p. 398).

En l’espèce, force est de constater qu’à travers la brochure, le gouvernement a fixé d’une manière générale et abstraite des critères particuliers afin de permettre à certaines catégories d’étrangers d’obtenir « une autorisation de séjour et/ou un permis de travail » et la brochure, loin de tracer à l'administration un cadre pour guider ses décisions discrétionnaires en matière d'autorisation de séjour et de permis de travail à délivrer à des étrangers séjournant sur le territoire luxembourgeois, crée des règles nouvelles qui dérogent partiellement aux règles légales existantes. C'est ainsi que la brochure permet de considérer qu'un étranger dispose de moyens personnels suffisants au sens de l'article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 dans des cas qui ne sont pas visés par cette disposition, de même qu'elle permet de régulariser par le travail des étrangers qui sont en infraction manifeste avec la législation sur le permis de travail et mettrait ainsi à néant les conditions posées par la loi pour l'octroi d'un tel permis.

Or, si le droit belge reconnaît un pouvoir réglementaire à d'autres organes que ceux constitutionnellement prévus, tel n'est pas le cas au Luxembourg où la Cour constitutionnelle dénie radicalement un tel droit à tout autre organe que celui prévu par l'article 36 de la Constitution (v. Cour const. 6 mars 1998 P. 30, p. 357, pour la différence avec la Belgique, v.

note sous cet arrêt, n° 3, p. 362).

Il faut en conclure que toute directive qui va au-delà de la fixation de lignes de conduite à l'administration dans le cadre d'une législation existante et qui prétend fixer des règles nouvelles voire déroger à des règles existantes, est anti-constitutionnelle.

Il résulte des développements qui précèdent que contrairement aux développements du demandeur, la brochure ainsi élaborée par le service commun ne saurait ni déroger à l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 ni rendre celui-ci inapplicable à certaines catégories de personnes.

Par ailleurs, d’une manière générale, les critères ainsi fixés par le gouvernement, dans la mesure où ils doivent en tout état de cause se mouvoir dans le cadre des dispositions légales applicables en matière d’entrée et de séjour des étrangers, ne sauraient trouver application que dans la mesure où ils ne dérogent ni à une disposition légale ni à une disposition réglementaire applicable.

Il échet encore de relever dans ce contexte que les critères exposés dans la brochure s’appliquent à « toute personne qui tombe dans l’une des sept catégories y énumérées », suivant le libellé même de la brochure en question, sans qu’il ne se dégage de celle-ci ou d’un quelconque autre document que seuls pourraient bénéficier de la procédure de régularisation instituée par le gouvernement et matérialisée dans la brochure, les étrangers se trouvant en situation irrégulière au Grand-Duché de Luxembourg, à l’exception des demandeurs d’asile en cours de procédure ou déboutés.

En l’espèce, le demandeur soutient remplir les conditions posées par la catégorie C de la brochure suivant laquelle une personne qui réside de façon ininterrompue au Luxembourg depuis le 1er juillet 1998 au moins est susceptible de bénéficier d’« une autorisation de séjour et/ou d’un permis de travail », sans qu’au sujet de cette catégorie d’étrangers, il ne soit exigé que ceux-ci doivent disposer en outre de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, tels qu’exigés par l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972.

Il appartient donc au tribunal d’analyser si la réglementation telle que décrite sous la catégorie C de la brochure fixe des lignes de conduite à appliquer par l’administration dans le cadre de la législation existante, sans créer des règles nouvelles ou dérogatoires à des règles existantes.

Dans la mesure où la réglementation ainsi posée par le gouvernement au sujet de la catégorie C, telle que décrite dans la brochure, n’a pas pu faire abstraction des conditions posées par l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, celles-ci restent d’application même en ce qui concerne les étrangers tombant sous le champ d’application de la catégorie C ainsi définie et c’est partant à bon droit que le ministre de la Justice a pu exiger du demandeur de disposer de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, conformément à l’article 2 précité.

Comme il est constant en cause, pour être admis par le demandeur, que celui-ci ne dispose pas de moyens personnels suffisants légalement acquis pour supporter les frais de voyage et de séjour, c’est à bon droit que le ministre de la Justice, seul compétent en la matière, a pu lui refuser la délivrance d’une autorisation de séjour, de sorte que le recours dirigé contre la décision ministérielle précitée du 1er juillet 2002 doit être déclaré non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 26 février 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15443
Date de la décision : 26/02/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-02-26;15443 ?

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