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26/02/2003 | LUXEMBOURG | N°15396

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 février 2003, 15396


Tribunal administratif N° 15396 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 septembre 2002 Audience publique du 26 février 2003

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Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15396 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 septembre 2002 par Maître Marianne RAU, avocat à la Cour, inscrit au tableau de lâ€

™Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Mitrovica (Kosovo/ex-Yougoslavie), de ...

Tribunal administratif N° 15396 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 septembre 2002 Audience publique du 26 février 2003

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Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15396 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 septembre 2002 par Maître Marianne RAU, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Mitrovica (Kosovo/ex-Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision confirmative du ministre de la Justice du 29 août 2002 sur recours gracieux introduit contre une décision antérieure du 15 juillet 2002 et pour autant que de besoin de la décision initiale du 15 juillet 2002, décisions par lesquelles sa demande en obtention du statut de réfugié a été refusée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 décembre 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Glenn MEYER, en remplacement de Maître Marianne RAU, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 8 avril 2002, Madame … introduisit oralement une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Madame … fut entendue en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Elle fut ensuite entendue en date du 22 mai 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 15 juillet 2002, notifiée le 24 juillet 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Kosovo parce que votre fiancé aurait eu des problèmes avec la police et ceci parce qu’il aurait évité de faire son service militaire.

Vous ajoutez être considérée comme Kosovare en Serbie et comme Serbe au Kosovo.

Enfjn, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

Concernant la situation particulière des serbes orthodoxes au Kosovo, je souligne que la reconnaissance du statut de réfugié politique n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile, qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Force est de constater que vous ne subissez en l’état actuel des choses pas de persécutions. Vous basez par ailleurs votre demande d’asile sur des motifs d’ordre personnel, sans citer un quelconque fait pouvant être considéré comme constituant une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Ainsi, vous avez plus particulièrement déclaré que vous auriez quitté votre pays d’origine parce que votre fiancé aurait eu des problèmes avec la police. Un tel motif ne saurait toutefois fonder une demande d’asile politique au sens de la prédite Convention.

Le fait que vous seriez considérée comme Kosovare en Serbie et comme Serbe au Kosovo, n’est pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution selon la Convention de Genève, mais traduit plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution.

Enfin, il ne ressort pas du dossier qu’il vous aurait été impossible de vous installer au Monténégro ou en Serbie pour ainsi profiter d’une possibilité de fuite interne. En plus, en tant que Serbe, vos craintes sont manifestement dénuées de fondement en ce qui concerne votre situation en Serbie. Ainsi, vous vous bornez à affirmer que vous ne pourriez pas vivre chez vos parents faute de place. Or il ne s’agit pas là d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève de 1951.

Il faut souligner qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, est installée au Kosovo pour assurer la coexistence pacifique entre les différentes communautés et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. La situation des minorités ethniques du Kosovo s’est améliorée par rapport à l’année 1999. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec la victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes. A cela s’ajoute qu’à la suite des élections parlementaires du 17 novembre 2001 les minorités nationales au Kosovo, à savoir les Roms, les Bosniaques, les Turcs et autres se sont vues attribuer quelques sièges leur assurant une représentation au sein du parlement du Kosovo. Ainsi une persécution systématique de minorités ethniques est actuellement à exclure.

Il faut également ajouter que le régime politique en Yougoslavie a changé au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie a retrouvé sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par sa réadmission à l’ONU et à l’OSCE. De plus, l’ancien Président Milosevic a été extradé et traduit devant le Tribunal Pénal International de La Haye, ce qui montre l’esprit de collaboration dont la Yougoslavie fait preuve actuellement. A cela s’ajoute que le 15 mars 2002 un accord serbo-monténégrin a été signé par les présidents Kostunica et Djukanovic, prévoyant l’adoption d’une nouvelle constitution et l’organisation d’élections permettant de donner plus d’indépendance au Monténégro. La République fédérale de Yougoslavie cessera d’exister pour être remplacée par un Etat de Serbie et de Monténégro.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par courrier de son mandataire du 9 août 2002, Madame … fit introduire un recours gracieux à l’encontre de la prédite décision du 15 juillet 2002.

Par décision du 29 août 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision du 15 juillet 2002.

Par requête déposée le 26 septembre 2002, Madame … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la prédite décision du 29 août 2002, et pour autant que de besoin de la décision ministérielle initiale du 15 juillet 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que seul un recours en réformation a pu être dirigé contre les décisions ministérielles déférées.

Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours subsidiaire en annulation est par voie de conséquence irrecevable.

A l’appui de son recours, la demanderesse fait exposer qu’elle serait originaire du Kosovo, de confession orthodoxe et qu’elle aurait quitté son pays d’origine ensemble avec son fiancé au mois de juin 1999 pour le Monténégro, suite au retrait du Kosovo de l’armée fédérale yougoslave, étant donné qu’en tant qu’orthodoxe, elle y aurait fait l’objet de persécutions et d’agressions de la part des Albanais. La demanderesse prétend ensuite que son fiancé aurait fait l’objet de poursuites en raison du fait qu’il aurait refusé de faire son service militaire, de sorte qu’ils auraient dû quitter le Monténégro pour le Luxembourg, étant donné qu’un retour au Kosovo se révélerait impossible en raison du fait que son appartement serait occupé par des Albanais et que la maison de ses parents aurait été incendiée. Finalement, la demanderesse expose que ni un retour au Kosovo, ni au Monténégro ne serait envisageable à l’heure actuelle, étant donné que la situation politique dans ces deux régions ne serait pas stable.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9, p. 519).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle de la demanderesse, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Madame ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de son audition du 22 mai 2002, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de prime abord de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile. - En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

Il convient d’ajouter que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113, nos. 73-s).

En ce qui concerne la situation des membres des minorités au Kosovo, notamment de celle des « orthodoxes », il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, notamment du groupe majoritaire des Albanais, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires.

Il y a lieu d’ajouter dans ce contexte, qu’une situation de conflit interne violent ou généralisé ne peut, à elle seule, justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié, étant donné que la crainte de persécution, outre de devoir toujours être fondée sur l’un des motifs de l’article 1er A de la Convention de Genève, doit avoir un caractère personnalisé.

Or, en l’espèce, les craintes exprimées par la demanderesse en raison de la prétendue hostilité des Albanais à son égard en raison de son appartenance à la minorité « orthodoxe » et de la situation générale tendue dans sa région d’origine, s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

En effet, la demanderesse fait essentiellement état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre de la part de membres de la population albanaise, mais elle ne démontre point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo, étant entendu qu’elle n’a pas fait état de l’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités actuellement en place. – Dans ce contexte, il y a lieu de relever que pareille preuve ne se dégage nullement de la prétendue occupation de son appartement par des Albanais, les faits restant en l’état de simples allégations et, surtout, même à les supposer établis, ils remontent à l’année 1999.

Concernant ensuite la possibilité d’une fuite interne dans une autre partie de son pays d’origine, notamment au Monténégro ou en Serbie, où ses parents ont d’ailleurs, d’après ses dires, obtenu le statut de réfugié du Kosovo, la prétendue insoumission de son fiancé ne saurait valoir empêchement pour s’y installer, étant donné qu’il n’est pas établi à suffisance de droit ni qu’actuellement son fiancé risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son insoumission, risquent de lui être infligés, ni qu’il subsiste encore à l’heure actuelle un risque de poursuites en raison de cette insoumission, ni encore qu’une condamnation d’ores et déjà prononcée de ce chef serait effectivement exécutée à son encontre, ceci compte tenu de l’évolution de la situation actuelle dans son pays d’origine et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux Chambres du parlement de la République fédérale yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, dont également ceux qui ont quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires .

Il suit de ce qui précède que la demanderesse n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 26 février 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15396
Date de la décision : 26/02/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-02-26;15396 ?

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