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24/02/2003 | LUXEMBOURG | N°15404

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 février 2003, 15404


Tribunal administratif N° 15404 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 septembre 2002 Audience publique du 24 février 2003

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Recours formé par Monsieur …, Luxembourg contre une décision conjointe prise par le ministre de la Justice et le ministre du Travail et de l’Emploi, une décision du ministre de la Justice et une décision implicite de rejet du ministre du Travail et de l’Emploi en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 1540

4 du rôle, déposée au greffe du tribunal administratif le 27 septembre 2002 par Maître Claude DERBAL...

Tribunal administratif N° 15404 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 septembre 2002 Audience publique du 24 février 2003

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Recours formé par Monsieur …, Luxembourg contre une décision conjointe prise par le ministre de la Justice et le ministre du Travail et de l’Emploi, une décision du ministre de la Justice et une décision implicite de rejet du ministre du Travail et de l’Emploi en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15404 du rôle, déposée au greffe du tribunal administratif le 27 septembre 2002 par Maître Claude DERBAL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le 3 novembre 1979 à Shkoder (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision conjointe prise par le ministre de la Justice et le ministre du Travail et de l’Emploi le 25 janvier 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en obtention d’une autorisation de séjour et d’un permis de travail, d’une décision confirmative prise par le ministre de la Justice en date du 25 juin 2002, rendue à la suite d’un recours gracieux introduit le 25 avril 2002 contre le refus de délivrance d’un permis de séjour, ainsi que contre une décision implicite de rejet du ministre du Travail et de l’Emploi, suite audit recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 novembre 2002 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 20 décembre 2002 en nom et pour compte du demandeur ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 3 janvier 2003 par le délégué du gouvernement ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Claude DERBAL et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 12 juillet 2001, Monsieur … introduisit une demande en obtention d’une autorisation de séjour auprès du service commun des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille, dénommé ci-après le « service commun », en se référant aux possibilités de régularisation décrites dans la brochure intitulée « régularisation du 15.3 au 13.7.2001 de certaines catégories d’étrangers séjournant sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg », éditée par le service commun, dénommée ci-après la « brochure ».

Par lettre du 25 janvier 2002, le ministre de la Justice et le ministre du Travail et de l’Emploi informèrent Monsieur … de ce qui suit :

« Suite à l’examen de la demande en obtention d’une autorisation de séjour que vous avez déposée en date du 12.07.2001 auprès du service commun des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille, de la Solidarité sociale et de la Jeunesse, nous sommes au regret de vous informer que nous ne sommes pas en mesure de faire droit à votre demande.

En effet, selon l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l’entrée et le séjour des étrangers ; 2° le contrôle médical des étrangers ; 3° l’emploi de la main-

d’œuvre étrangère, la délivrance d’une autorisation de séjour peut être refusée à l’étranger qui est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics.

Comme il a été constaté sur base de votre dossier administratif que cette disposition est applicable dans votre cas, une autorisation de séjour ne saurait vous être délivrée.

Par ailleurs, le dossier tel qu’il a été soumis au service commun ne permet pas au Gouvernement de vous accorder la faveur d’une autorisation de séjour. (…) ».

A la suite d’un recours gracieux daté du 25 avril 2002 envoyé par le mandataire de Monsieur … à l’adresse des « ministère de la Justice, ministère du Travail et de l’Emploi ministère de la Famille L-2941 Luxembourg », le ministre de la Justice confirma sa décision initiale par une décision du 25 juin 2002, au motif que des éléments pertinents nouveaux ne lui auraient pas été soumis.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 septembre 2002, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision conjointe prise par le ministre de la Justice et le ministre du Travail et de l’Emploi le 25 janvier 2002, par laquelle il n’aurait pas été fait droit à sa demande en obtention d’une autorisation de séjour et d’un permis de travail, de la décision confirmative précitée du ministre de la Justice du 25 juin 2002, ainsi que contre une décision implicite de rejet du ministre du Travail et de l’Emploi, suite au prédit recours gracieux.

Le recours est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il convient cependant de relever que le recours manque d’objet dans la mesure où il vise, en l’espèce, une prétendue décision émanant du ministre du Travail et de l’Emploi. En effet, force est en premier lieu de constater que la décision attaquée du 25 janvier 2002, bien que signée par le ministre de la Justice et le ministre du Travail et de l’Emploi, n’a trait qu’au seul volet d’un refus d’octroi d’un permis de séjour et ne se prononce pas relativement à une prétendue demande d’octroi d’un permis de travail. En outre, force est de constater que, dans son recours gracieux, le mandataire de Monsieur … critique exclusivement le refus d’octroi du permis de séjour, mais ne se prononce pas quant à un prétendu refus d’un permis de travail, de sorte qu’il est mal venu de déduire du fait du silence gardé par le ministre du Travail et de l’Emploi suite audit recours gracieux, l’existence d’une décision de refus ou d’une confirmation d’un refus de délivrance d’un permis de travail.

En ce qui concerne le refus de délivrance d’un permis de séjour, le demandeur reproche aux ministres d’avoir conclu à tort qu’il serait susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics.

Dans ce contexte, il expose avoir produit, à l’appui de son recours gracieux, un casier judiciaire vierge et il soutient que le ministre aurait contrevenu à l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, pour n’avoir « explicit[é] en rien la décision initiale du 25 avril 2002 » par rapport à cette pièce.

Ensuite, le demandeur soutient que le ministre de la Justice n’aurait pas l’obligation de refuser un permis de séjour dans les différents cas de figure énumérés par l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, mais qu’il s’agirait d’une faculté, que par ailleurs, dans le cadre des directives que le gouvernement se serait donné par l’édition de la brochure, une simple susceptibilité de compromettre la sécurité et l’ordre publics ne serait pas suffisante, mais le seul critère d’exclusion maintenu serait la preuve d’une atteinte grave à l’ordre public, que le ministre n’aurait pas rapporté cette preuve, les simples procès-verbaux produits en cause, dont certains auraient d’ores et déjà abouti à des décisions d’acquittement ou des décisions de classement sans suite, seraient insuffisants pour ce faire, le casier vierge, quant à lui établissant le contraire, de sorte que la motivation énoncée serait inexacte.

Pour le surplus, le demandeur invoque que sa sœur, qui se trouverait dans une situation semblable à la sienne aurait été régularisée et il estime qu’en lui refusant pareille faveur, le gouvernement aurait contrevenu au principe de l’égalité des citoyens devant la loi.

Enfin, le demandeur invoque le droit au regroupement familial, garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, soutenant qu’il y aurait une unité familiale effective entre lui et sa sœur et qu’en refusant de le régulariser, cette unité familiale serait compromise.

Il convient en premier lieu d’examiner le moyen tiré d’un défaut de motivation suffisante, qui est préalable, l’examen de la régularité formelle devant précéder celui du bien-

fondé de la décision litigieuse.

Ledit moyen d’annulation est cependant à écarter, étant donné que, même en admettant que le reproche soit justifié, le défaut d’indication des motifs ne constitue pas une cause d’annulation de la décision ministérielle prise, pareille omission d’indiquer les motifs dans le corps même de la décision que l’autorité administrative a prise entraînant uniquement que les délais impartis pour l’introduction des recours ne commencent pas à courir. En effet, au vœu de l’article 6 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, la motivation expresse d’une décision administrative peut se limiter à un énoncé sommaire de son contenu et il suffit, pour qu’un acte de refus soit valable, que les motifs aient existé au moment de la prise de décision, quitte à ce que l’administration concernée les fournisse a posteriori sur demande de l’administré, le cas échéant au cours de la procédure contentieuse, ce qui a été le cas en l’espèce, étant donné que les motifs énoncés dans la décision ministérielle, ensemble les compléments apportés par le représentant étatique au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause ont permis au demandeur d’assurer la défense de ses intérêts en connaissance de cause, c’est-à-dire sans qu’il ait pu se méprendre sur la portée du refus ministériel.

Quant au bien fondé du refus ministériel, il y a lieu de relever que conformément aux dispositions de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 « l’entrée et le séjour au Grand-

Duché pourront être refusés à l’étranger : (…) qui est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics, (…) ».

C’est à tort que le demandeur fait soutenir que l’application de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 et notamment le motif de refus basé sur un risque d’atteinte à la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics, serait tenu en échec par les dispositions spéciales prévues en matière de régularisation.

En effet, l’argumentation du demandeur basée sur la théorie des directives est erronée, étant donné qu’à travers la brochure, le gouvernement a fixé d’une manière générale et abstraite des critères particuliers afin de permettre à certaines catégories d’étrangers d’obtenir « une autorisation de séjour et/ou un permis de travail » et que la brochure, loin de tracer à l'administration un cadre pour guider ses décisions discrétionnaires en matière d'autorisation de séjour et de permis de travail à délivrer à des étrangers séjournant sur le territoire luxembourgeois, crée des règles nouvelles qui dérogent partiellement aux règles légales existantes, étant donné que, notamment, la brochure permet de considérer qu'un étranger dispose de moyens personnels suffisants au sens de l'article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 dans des cas qui ne sont pas visés par cette disposition, qu'elle permet de régulariser par le travail des étrangers qui sont en infraction manifeste avec la législation sur le permis de travail et mettant ainsi à néant les conditions posées par la loi pour l'octroi d'un tel permis, qu’elle limite le pouvoir d’appréciation du ministre de la Justice, en exigeant qu’un risque d’atteinte grave à la sécurité publique soit établi, et, ainsi la brochure contrevient à l’article 36 de la Constitution. En d’autres termes, la brochure n’a pas pu créer des règles nouvelles ou dérogatoires à des règles existantes et elle n’a pas pu faire abstraction des conditions posées par l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, de sorte que c’est partant à bon droit que le ministre de la Justice a pu examiner si, de par son comportement, le demandeur n’est pas susceptible de constituer une menace pour la sécurité et l’ordre publics, conformément à l’article 2 précité.

Ceci étant, pour le surplus, il se dégage des éléments d’appréciation soumis au tribunal que le demandeur de par son comportement à d’ores et déjà gravement contrevenu à l’ordre public et il se dégage de son comportement passé qu’il est susceptible de constituer une menace grave pour la sécurité, la santé et l’ordre publics.

En effet, rien qu’en prenant en considération le jugement, produit en cause par le mandataire du demandeur, prononcé le 1er mars 2001 par le tribunal d’arrondissement, chambre correctionnelle, et condamnant le demandeur pour avoir « volontairement fait des blessures et porté des coups », d’avoir « soustrait volontairement une chose qui ne lui appartenait pas » et d’avoir « prononcé contre une personne d’attenter à sa personne », force est de constater qu’il se dégage indubitablement des faits établis y retracés une atteinte grave à l’ordre et à la sécurité publics.

Pour le surplus, force est encore de constater que les faits retracés par un nombre impressionnant de procès-verbaux dressés à charge du demandeur, notamment suite à la commission de vols, de la détention d’une arme prohibée, de la détention de stupéfiants etc, faits que le ministre de la Justice est appelé à prendre en considération et à qualifier - sans préjudice quant à leur qualification pénale - dans le cadre des dispositions applicables en la présente matière, dénotent à suffisance un comportement sinon un risque de comportement compromettant sérieusement l’ordre et la sécurité publics et on ne saurait reprocher au ministre de la Justice d’avoir méconnu la disposition légale prévisée, ni d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation des circonstances de fait.

Il suit des considérations qui précèdent que c’est à bon droit et conformément à l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, que le ministre a refusé la délivrance d’un permis de séjour au Grand-Duché de Luxembourg à Monsieur ….

Cette conclusion n’est pas ébranlée par le moyen tiré du droit au regroupement familial, tel qu’il se dégage de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, étant donné que le demandeur n’a non seulement pas rapporté la preuve de l’existence d’une vie familiale effective suffisante avec sa sœur avec laquelle il prétend habiter pour justifier un droit au regroupement familial, mais encore et surtout, même en admettant l’existence de pareille vie familiale, la mesure litigieuse, compte tenu des circonstances de l’espèce, constitue en tout état de cause une intervention légalement prévue ainsi qu’une mesure justifiée et proportionnée.

Enfin, la susdite conclusion n’est pas non plus affectée par le moyen tiré d’une prétendue violation du principe de l’égalité des citoyens devant la loi, étant donné qu’il se dégage des considérations qui précèdent que la situation du demandeur, de par son comportement, se distingue de celle de sa sœur qui a pu bénéficier d’un permis de séjour.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties à l’instance ;

reçoit le recours en annulation en la forme;

le dit cependant sans objet en ce qu’il vise des prétendues décisions du ministre du Travail et de l’Emploi;

pour le surplus, le déclare non justifié, partant en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 24 février 2003, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15404
Date de la décision : 24/02/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-02-24;15404 ?

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