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20/02/2003 | LUXEMBOURG | N°15980

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 février 2003, 15980


Tribunal administratif N° 15980 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 février 2003 Audience publique extraordinaire du 20 février 2003

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Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du Gouvernement

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15980 du rôle et déposée le 13 février 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH,

avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né...

Tribunal administratif N° 15980 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 février 2003 Audience publique extraordinaire du 20 février 2003

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Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du Gouvernement

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15980 du rôle et déposée le 13 février 2003 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité yougoslave, actuellement détenu au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière de Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 6 février 2003 instituant à son égard une mesure de placement pour la durée maximum d’un mois ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 février 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 18 février 2003.

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En date du 21 octobre 2002, Monsieur … introduisit une demande en obtention du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés auprès des autorités luxembourgeoises. Les vérifications effectuées par le service de police judiciaire dans le cadre de l’instruction de cette demande ayant révélé l’existence d’un visa émis par l’ambassade allemande à Skopje, le ministre de la Justice sollicita en date du 18 décembre 2002 une prise en charge de Monsieur … auprès des autorités allemandes par application des règles prévues par la Convention relative à la détermination de l’Etat responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres des Communautés européennes, signée à Dublin le 15 juin 1990, désignée ci-après par « la Convention de Dublin ». Les autorités allemandes ont accepté cette prise en charge en date du 16 janvier 2003.

Le transfert de Monsieur … ayant été prévu pour le 30 janvier 2003, mais ayant dû être retardé, étant donné que l’intéressé n’avait pas pu être trouvé à son adresse, le ministre de la Justice ordonna en date du 6 février 2003 le placement de Monsieur … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification dudit arrêté dans l’attente de son éloignement du territoire luxembourgeois.

La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants :

« Considérant que l’intéressé a déposé une demande d’asile en date du 21 octobre 2002 ;

- qu’une demande de prise en charge en vertu de l’article 5 §4 de la Convention de Dublin du 15 juin 1990 a été adressée aux autorités allemandes en date du 18 décembre 2003 ;

- que les autorités allemandes ont accepté la prise en charge en date du 16 janvier 2003 ;

- que le transfert vers l’Allemagne, prévu pour le 30 janvier 2003, n’a pas pu être effectué alors que l’intéressé ne se trouvait pas à son domicile ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ;

Considérant qu’un éloignement immédiat n’est pas possible, alors que les autorités allemandes nécessitent un délai minimum de trois jours pour organiser le transfert ».

Par requête déposée en date du 13 février 2003, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 6 février 2003.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 6 février 2003. Ledit recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur soulève en premier lieu la nullité du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, pour défaut de base légale, estimant que la loi modifiée du 27 juin 1997 portant réorganisation de l’administration pénitentiaire n’offrirait pas de base légale suffisante à la création, par voie de règlement grand-ducal, d’une structure spécifique au sein du Centre Pénitentiaire de Luxembourg destinée à accueillir les étrangers faisant l’objet d’une mesure de placement.

Le demandeur invoque ensuite « l’absence des conditions pour prononcer une mesure de placement », au motif que l’autorité administrative resterait en défaut de prouver un risque réel dans son chef de se soustraire à une mesure de rapatriement ultérieure, que pareil risque n’existerait en effet pas dans son chef et que le motif basé sur le fait qu’il était absent le jour prévu pour son transfert ne saurait être utilement invoqué en l’espèce, étant donné qu’il n’aurait eu aucune obligation de rester chez lui, alors qu’il aurait ignoré totalement l’existence d’une décision d’incompétence rendue par le ministre de la Justice à son encontre sur base de la Convention de Dublin.

Il insiste encore sur le fait que la personne mise à la disposition du Gouvernement devrait constituer un danger pour l’ordre public et que tel ne serait pas son cas, étant donné qu’il n’aurait pas commis d’actes compromettant la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics.

Le demandeur relève en outre que le ministre de la Justice n’aurait pas entrepris des démarches nécessaires en vue d’assurer l’exécution sans retard et dans les délais les plus brefs d’une mesure d’éloignement prise à son encontre.

Le délégué du Gouvernement estime que les conditions justifiant la décision de mise à disposition du Gouvernement seraient remplies. Il relève en outre que des démarches ont été entreprises par les autorités luxembourgeoises en vue de la prise en charge du demandeur par les autorités allemandes, compétentes en vertu des règles prévues par la Convention de Dublin, ces démarches ayant été effectuées dès la prise de la mesure de placement litigieuse.

Concernant d’abord le moyen ayant trait à la légalité du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, c’est à juste titre que le délégué du Gouvernement a relevé que la base légale est donnée par l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, tel que cela ressort d’ailleurs du libellé même dudit règlement grand-ducal. Dans ce contexte, il est indifférent que le Conseil d’Etat, au moment de l’élaboration de la loi du 27 juillet 1997 portant réorganisation de l’administration pénitentiaire, a estimé que l’intervention du législateur serait de mise pour l’hypothèse d’une modification des attributions d’un établissement pénitentiaire, étant donné que le Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière n’est pas à considérer comme un établissement pénitentiaire.

Il s’ensuit que le moyen tiré de la nullité du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 n’est pas fondé.

Concernant ensuite le reproche tiré de « l’absence des conditions pour prononcer une mesure de placement », il est constant en cause que la mesure de placement n’est pas basée sur une décision d’expulsion. Il convient partant d’examiner si la mesure en question est basée sur une mesure de refoulement qui, en vertu de l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972, peut être prise, « sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal », à l’égard d’étrangers non autorisés à résidence : « 1) qui sont trouvés en état de vagabondage ou de mendicité ou en contravention à la loi sur le colportage;

2) qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour;

3) auxquels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 de [la loi précitée du 28 mars 1972];

4) qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis;

5) qui, dans les hypothèses prévues à l’article 2 paragraphe 2 de la Convention d’application de l’accord de Schengen, sont trouvés en contravention à la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions ou sont susceptibles de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics ».

En l’espèce, il n’est pas contesté en cause qu’après l’acceptation de la prise en charge du demandeur par les autorités allemandes en date du 16 janvier 2003 et la prise d’une décision d’incompétence afférente en date du 22 janvier 2003, le ministre de la Justice a également émis, en date du 6 février 2003, un arrêté de refus d’entrée et de séjour à l’encontre de ce dernier, de sorte que la mesure de placement a légalement pu être prise, ledit arrêté étant en effet énoncé dans les visas de la décision litigieuse.

Il est encore constant que le demandeur fut placé non pas dans un établissement pénitentiaire, mais au nouveau Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière créé par le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002, de sorte que le caractère approprié de l’établissement au sens de l’article 15 (1) de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée, se dégage d’un texte réglementaire et ne saurait dès lors plus être sujet à discussion.

En effet, dans la mesure où il n’est pas contesté que le demandeur subit une mesure de rétention administrative sur base dudit article 15 en vue de son éloignement du territoire luxembourgeois, il rentre directement dans les prévisions de la définition des « retenus » telle que consacrée à l’article 2 du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 précité, de sorte que toute discussion sur l’existence d’un risque de porter atteinte à l’ordre public et d’un risque de fuite dans son chef se révèle désormais non pertinente en la matière, étant donné que la mise en place d’un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière repose précisément sur la prémisse qu’au-delà de toute considération tenant à une dangerosité éventuelle des personnes concernées, celles-ci, eu égard au seul fait de l’irrégularité de leur séjour et de l’imminence de l’exécution d’une mesure d’éloignement, prise en l’espèce par application de la Convention de Dublin, dans leur chef, présentent par essence un risque de fuite, fût-il minime, justifiant leur rétention dans un centre de séjour spécial afin d’éviter que l’exécution de la mesure prévue ne soit compromise.

Encore qu’il se dégage du dossier tel que présenté en cause que le ministre de la Justice n’a pas d’emblée jugé nécessaire de prendre une mesure de rétention à l’encontre du demandeur dès le moment où il a décidé de son incompétence pour connaître de la demande d’asile de Monsieur … en date du 22 janvier 2003, mais seulement à la suite de l’échec d’une première tentative de transfert de l’intéressé vers l’Allemagne, la conclusion ci-avant dégagée ne saurait être énervée par le fait que l’échec dudit transfert, d’après les informations fournies en cause, ne paraît pas être imputable au demandeur, lequel, non prévenu du transfert projeté, n’était légitimement pas censé être joignable à toute heure à son domicile, étant donné que la question de la pertinence ou non d’un risque de se soustraire au transfert projeté se dégageant de l’avis du délégué du Gouvernement de l’impossibilité de joindre le demandeur à son adresse le 30 janvier 2003 à 6.30 heurs du matin, ne se pose en tout état de cause plus au regard des développements ci-avant tenant au caractère inhérent d’un risque de fuite, même minime, dans le chef d’une personne confrontée à l’imminence d’une mesure de refoulement, cette hypothèse ayant été vérifiée dans le chef du demandeur au plus tard lors de la notification des décisions d’incompétence du 22 janvier 2003 et de refus d’entrée et de séjour du 6 février 2003 prévisées, intervenue d’après les affirmations non contestées en cause du demandeur, le jour de la prise de l’arrêté ministériel déféré le 6 février 2003.

Au vu de ce qui précède les reproches tirés du prétendu caractère disproportionné de la mesure de placement litigieuse sont également à rejeter comme étant non pertinents.

Conformément aux dispositions de l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée, le placement d’un étranger est prévu sous les conditions suivantes : « (1) Lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre de la Justice, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois », de sorte que le tribunal est amené à vérifier si les autorités administratives ont entrepris les démarches nécessaires et utiles pour assurer un éloignement de la personne placée dans les meilleurs délais, c’est-à-dire de façon à écourter au maximum sa privation de liberté.

En l’espèce, il est constant qu’une demande de prise en charge adressée sur base de la Convention de Dublin aux autorités allemandes fut acceptée par ces dernières et que le ministre a pris à la fois une décision d’incompétence afférente datant du 22 janvier 2003 et un arrêté de refus d’entrée et de séjour datant du 6 février 2003 à l’encontre du demandeur, de sorte que par application desdites décisions son éloignement du territoire luxembourgeois était imminent au jour de la prise de décision litigieuse.

Compte tenu du fait qu’il se dégage des pièces versées au dossier que le ministre de la Justice a saisi le jour même de la mesure de placement le service de police judiciaire afin de fixer une nouvelle date de transfert du demandeur et que suivant les indications fournies en cause, le transfert effectif du demandeur a eu lieu en date du 17 février 2003, le moyen du demandeur consistant à soutenir que les autorités compétentes n’auraient pas fait tous les efforts et effectué toutes les démarches en vue d’assurer que la mesure d’éloignement prévue à son encontre puisse être exécutée sans retard et dans les délais les plus brefs laisse d’être fondé.

Dans la mesure où c’était en effet précisément dans l’attente de la mise en oeuvre des formalités préalables à l’éloignement du demandeur que celui-ci est maintenu en placement, la décision déférée ne saurait encourir le reproche de ne pas s’inscrire dans les prévisions légales et réglementaires en la matière.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours laisse d’être fondé.

Par ces motifs ;

le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 20 février 2003 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge.

en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15980
Date de la décision : 20/02/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-02-20;15980 ?

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