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18/02/2003 | LUXEMBOURG | N°15152

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 février 2003, 15152


Numéro 15152 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 juillet 2002 Audience publique du 18 février 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15152 du rôle, déposée le 19 juillet 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tabl

eau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, demeurant à L-…,...

Numéro 15152 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 juillet 2002 Audience publique du 18 février 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15152 du rôle, déposée le 19 juillet 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 29 mars 2002 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 18 juin 2002 prise sur recours gracieux;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 octobre 2002;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Olivier LANG, en remplacement de Maître Frank WIES, et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 décembre 2002.

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Le 20 novembre 2001, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur … fut entendu en date du 29 janvier 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur … par décision du 29 mars 2002, notifiée par courrier recommandé du 10 mai 2002, de ce que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif qu’il n'alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans son chef.

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 10 juin 2002 s’étant soldé par une décision confirmative du même ministre du 18 juin 2002, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions ministérielles initiale du 29 mars 2002 et confirmative du 18 juin 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose que, bien qu’étant de nationalité turque, il ferait partie de la minorité kurde, mais que sa langue véhiculaire, le kurde, ne serait ni reconnue comme langue officielle par les autorités turques, ni enseignée dans les écoles. Il fait valoir que les discriminations subies depuis sa naissance de la part des autorités turques, allant de l’obligation de nier quotidiennement sa culture jusqu’à des menaces et agressions répétées, l’auraient amené à quitter son pays une première fois en 1990 en direction de l’Allemagne. Il précise qu’il y aurait introduit une demande d’asile laquelle fut rejetée, qu’il y aurait cependant vécu jusqu’en 1993 sur base d’un permis de travail et qu’il serait retourné en Turquie dans la ville d’Incirlik où il aurait exploité un commerce de confection près d’une base américaine et acquis en 1997 un droit de trajet en minibus pour la liaison entre Incirlik et Adana. Il ajoute qu’il serait devenu au printemps de l’année 1998 membre du parti politique pro-kurde « HADEP » et se serait engagé activement dans la vie de ce parti en participant à plusieurs de ses réunions et en transportant des membres de ce parti avec son minibus. Il affirme que ses problèmes avec les autorités turques auraient grandi à partir de ce moment alors qu’il aurait reçu des visites répétées de policiers en civil lui ayant enjoint de les suivre au commissariat de police, où il aurait été accusé de séparatisme en raison de son activité politique et soumis à des pressions, menaces et violences, notamment à des coups de matraques et à des séquestrations de plusieurs heures, afin de le forcer à mettre un terme à son activité au sein du parti HADEP. Il se prévaut du fait qu’il aurait en fin de compte cédé à ces violences, vendu sa concession, installé son épouse et ses enfants auprès de son père et quitté son pays d’origine en direction de la France pour ensuite soumettre sa demande d’asile au Luxembourg le 20 novembre 2001.

Le demandeur conclut que son retour en Turquie en 1993 serait sans pertinence, les persécutions par lui invoquées se situant intégralement postérieurement à son retour et plus particulièrement dans la période entre les années 1998 et 2001. Il reproche également au ministre de s’être limité à retenir sa qualité de simple membre du parti HADEP sans prendre en considération ses activités concrètes au sein de cette organisation et l’interprétation en tirée par les autorités turques qui auraient considéré sa participation aux activités du parti comme suffisamment importantes pour justifier des persécutions répétées de la part de la police, tout comme le ministre aurait à tort qualifié de « tracasseries » dans l’exercice de sa profession ce qui aurait constitué en réalité des séquestrations et des tortures arbitraires motivées par son activité politique.

Le délégué du Gouvernement rétorque que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 29 janvier 2002, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte-rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces versées en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, en ce qui concerne la situation du demandeur en tant que membre de la minorité kurde de la Turquie, il échet de relever que s’il est vrai que la situation générale des membres de cette minorité est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population turque, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des persécutions.

Or, en l’espèce, les craintes de persécutions invoquées par le demandeur, basées sur son appartenance à la minorité kurde, sont vagues et non autrement circonstanciées, de sorte qu’elles sont insuffisantes pour établir un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les autorités qui sont au pouvoir en Turquie ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant à leurs habitants ou tolèrent voire encouragent des agressions notamment à l’encontre des Kurdes.

En ce qui concerne le fait que le demandeur aurait été membre actif du « HADEP », il y a lieu de retenir que si les activités dans un parti d’opposition peuvent justifier des craintes de persécutions au sens de la Convention de Genève, tel n’est pas le cas en l’espèce, étant donné que le demandeur, à part son allégation relative à la participation à des manifestations politiques et aux transports de membres du parti, n’a pas concrètement établi à travers des pièces, dont il avait pourtant annoncé le dépôt lors de son audition, avoir joué un rôle actif au sein dudit parti et avoir eu des activités politiques qui revêtaient une importance telle qu’une crainte de persécution pour un des motifs prévus par la Convention de Genève serait justifiée.

Il convient encore d’ajouter que les faits allégués, mais non autrement documentés par un quelconque élément de preuve tangible, relativement aux visites policières et aux séquestrations au commissariat de police qu’il aurait dû subir en raison de son activité au sein du parti « HADEP », constituent certainement des pratiques condamnables, mais, en l’espèce, même à les supposer établis, ne dénotent pas une gravité telle qu’ils établissent à l’heure actuelle, un risque de persécution dans le chef du demandeur en raison de ses opinions politiques, tel que sa vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours sous analyse laisse d’être fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 18 février 2003 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, Mme THOMÉ, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15152
Date de la décision : 18/02/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-02-18;15152 ?

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