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12/02/2003 | LUXEMBOURG | N°15474

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 février 2003, 15474


Tribunal administratif Numéro 15474 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 octobre 2002 Audience publique du 12 février 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15474 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 octobre 2002 par Maître Ardavan FATHOLAZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité turque, demeurant actuelleme

nt à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 8 juillet...

Tribunal administratif Numéro 15474 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 octobre 2002 Audience publique du 12 février 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15474 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 octobre 2002 par Maître Ardavan FATHOLAZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité turque, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 8 juillet 2002 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée et de celle confirmative, intervenue sur recours gracieux, du 25 août 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 décembre 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAZADEH et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 janvier 2003.

Le 1er octobre 1999, Monsieur … introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les 9 et 30 mai 2001, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

1Par décision du 8 juillet 2002, notifiée le 24 juillet 2002, le ministre de la Justice l’informa de ce que sa demande a été refusée comme non fondée au motif qu’il n'invoquerait aucune crainte raisonnable de persécution du fait de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social.

Le 25 août 2002, Monsieur … fit introduire un recours gracieux à l’encontre de cette décision.

Par décision du 11 septembre 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision du 8 juillet 2002.

Le 21 octobre 2002, Monsieur … a fait déposer au greffe du tribunal administratif un recours principalement en réformation et subsidiairement en annulation contre la décision ministérielle du 8 juillet 2002 et celle confirmative du 25 août 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que seul un recours en réformation a pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours subsidiaire en annulation est par voie de conséquence irrecevable.

Quant au fond, Monsieur …, de nationalité turque, de confession musulmane et appartenant à la minorité des Kurdes, fait valoir qu’il aurait été membre actif du parti politique prokurde HEP jusqu’en 1991. Il précise qu’il aurait occupé un poste officiel, à savoir celui de président du mouvement de jeunesse de ce parti à Ankara, qu’il aurait été poursuivi par la police et qu’il aurait été emprisonné à partir de l’âge de 15 ans jusqu’à 20 ans. Pendant son emprisonnement, il aurait été maltraité et torturé. Il expose, qu’après sa sortie de prison, il aurait été membre actif du parti HADEP et qu’il aurait été persécuté à cause de cette adhésion.

Il se réfère à un rapport d’Amnesty International du 19 mars 2002 pour soutenir qu’un retour dans son pays ne serait à l’heure actuelle pas possible parce qu’il risquerait d’être emprisonné et torturé. Il ajoute qu’il aurait également subi des traitements discriminatoires en raison de sa simple appartenance à la minorité kurde.

Monsieur … fait encore état du caractère insuffisant de l’instruction suivie et reproche au ministre de ne pas avoir pas fait droit à sa demande d’instruction complémentaire formulée dans le cadre du recours gracieux quant à la situation des opposants kurdes en Turquie. Il en déduit que la décision serait de ce fait insuffisamment motivée.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite 2 La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

L’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de ses auditions des 9 et 30 mai 2001, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Concernant les craintes de persécutions en raison de l’appartenance de Monsieur … au parti politique HEP, il échet de relever que s’il est vrai que les activités dans un parti d’opposition peuvent justifier des craintes de persécution, Monsieur … reste en défaut de soumettre des faits concrets et établis pour dénoter l’existence d’un risque de persécution au sens de la Convention de Genève en raison de son engagement politique. Il résulte de son audition qu’il a été membre du parti prokurde HEP de 1990 jusqu’en juillet 1991, qu’il a été emprisonné de 1990 à 1995 et que, pendant son emprisonnement, il a été torturé. Force est de constater que les événements ainsi relatés, même à les supposer établis, datent de 1995, de manière qu’ils ne sont plus en eux-mêmes de nature à justifier une crainte fondée de persécution, étant donné notamment que Monsieur …, après sa prétendue libération de prison, est encore resté quatre ans en Turquie avant de venir au Luxembourg et reste en défaut de faire état d’une persécution de la part des autorités s’étant déroulé dans un passé récent et revêtant un caractère de gravité suffisant lui rendant sa vie en Turquie impossible.

En ce qui concerne son adhésion au parti prokurde HADEP, Monsieur … ne soumet au tribunal aucun élément pouvant justifier sa crainte de persécution. Le seul élément concret qu’il indique est le fait que la police l’aurait poursuivi à plusieurs reprises sans faire état d’un quelconque mauvais traitement. Ces poursuites en tant que telles ne revêtent dès lors pas un caractère de gravité suffisante. En ce qui concerne sa crainte d’être arrêté à cause de ses activités au sein du parti politique HADEP en cas de retour dans son pays, il y a lieu de relever que cette crainte revêt un caractère purement hypothétique. Monsieur … ne fait état d’aucun élément permettant de retenir qu’il serait tout particulièrement touché dans sa propre situation. Ce constat n’est pas ébranlé par la pièce émanant d’Amnesty International étant donné que, sans vouloir minimiser les pratiques de la police et de la gendarmerie turques, elle n’établit pas en quoi un retour de Monsieur … dans son pays d’origine serait rendu impossible.

En ce qui concerne enfin la situation du demandeur en tant que membre de la minorité kurde de la Turquie, il échet de relever que s’il est vrai que la situation générale des membres de cette minorité est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population turque, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de 3persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

Or, en l’espèce, les craintes de persécutions invoquées par le demandeur, basées sur son appartenance à la minorité kurde, sont vagues et non autrement circonstanciées, de sorte qu’elles sont insuffisantes pour établir un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les autorités qui sont au pouvoir en Turquie ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant à leurs habitants ou tolèrent voire encouragent des agressions notamment à l’encontre des Kurdes.

Quant au moyen tiré du caractère insuffisant de l’instruction et du défaut de motivation en résultant, force est de constater que tel n’est pas le cas en l’espèce. S’il est vrai que le mandataire de Monsieur … a demandé, dans son recours gracieux, une mesure d’instruction complémentaire, force est de constater que cette demande ayant été formulée de façon tout à fait générale et abstraite sans faire état d’éléments précis et individuels en rapport avec la situation du demandeur, de manière que c’est à bon droit que le ministre n’a pas réservé une suite favorable à cette demande. Il échet dès lors de constater que le ministre a pu valablement motiver sa décision au vu des éléments dont il disposait.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur au frais.

Ainsi jugé par et prononcé à l’audience publique du 12 février 2003 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15474
Date de la décision : 12/02/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-02-12;15474 ?

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