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12/02/2003 | LUXEMBOURG | N°10997b

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 février 2003, 10997b


Numéro 10997b du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 novembre 1998 Audience publique du 12 février 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre un bulletin de l'impôt sur le revenu émis par le bureau d'imposition Luxembourg 1 en matière d’impôt sur le revenu

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 10997 du rôle, déposée le 27 novembre 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Laurent â

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Numéro 10997b du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 novembre 1998 Audience publique du 12 février 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre un bulletin de l'impôt sur le revenu émis par le bureau d'imposition Luxembourg 1 en matière d’impôt sur le revenu

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 10997 du rôle, déposée le 27 novembre 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Laurent …, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, …, demeurant à L-1512…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation, d’une part, du bulletin de l'impôt sur le revenu pour l’année 1990 émis à son encontre le 23 mars 1995 et, d’autre part, d’une décision implicite de rejet du directeur de l’administration des Contributions directes résultant du silence gardé à l’égard de sa réclamation du 16 mai 1995 contre le bulletin d’impôt prévisé du 23 mars 1995 ;

Vu le jugement interlocutoire du 26 juillet 2000 ;

Vu l’arrêt n° 10/00 de la Cour Constitutionnelle du 8 décembre 2000 ;

Vu le mémoire complémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 17 septembre 2002 par Maître Laurent … pour compte de Monsieur … ;

Vu le mémoire rectificatif déposé au greffe du tribunal administratif le 3 décembre 2002 par Maître Laurent … pour compte de Monsieur … ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le bulletin critiqué ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport complémentaire à l’audience publique du 11 décembre 2002.

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Depuis l’année 1977, Monsieur …, demeurant à L-…, exerçait la profession de médecin-gynécologue dans un appartement sis … à … dont il était le propriétaire. D’autre part, il était attaché au service d’obstétrique du Centre hospitalier de Luxembourg.

Au vu de la densité croissante du trafic routier dans la ville de Luxembourg à la fin des années quatre-vingt et du temps croissant requis pour ses déplacements entre son cabinet et le Centre hospitalier, Monsieur … envisagea de déplacer son cabinet du centre ville à proximité du Centre hospitalier afin de pouvoir correctement surveiller des accouchements à risque et de traiter des urgences médicales.

A cette fin, il soumit au bureau d'imposition compétent, par courrier du 16 août 1989, certaines questions sur l’imposition et l’immunisation éventuelles de la plus-value qu’il réaliserait le cas échéant suite à la vente de son appartement prévisé. Suivant un second courrier du 2 octobre 1989, il communiqua au même bureau d'imposition le résultat d’une recherche sur l’échange de biens équivalents afin de voir qualifier un remplacement de l’appartement prévisé par un appartement construit par son père à proximité du centre hospitalier comme opération d’échange n’entraînant pas l’imposition de la plus-value rattachée à l’immeuble à céder. Ces deux démarches restèrent néanmoins sans réaction officielle de la part du bureau d'imposition.

Par acte notarié du 10 juillet 1990, Monsieur … céda l’appartement sis … à Luxembourg, dont le prix d’achat s’était élevé en 1977 à 6.077.921 LUF, au prix de 12.500.000 LUF et transféra son cabinet dans un appartement situé dans la rue … et appartenant à son père. Il vendit au docteur … sa part dans l’indivision comprenant l’ensemble du matériel médical utilisé dans son ancien cabinet et déclare n’avoir emporté que son fichier de clientèle et les dossiers médicaux.

Par bulletin de l'impôt sur le revenu pour l’année 1990 du 23 mars 1995, le bureau d'imposition Luxembourg 1 imputa à Monsieur … un bénéfice courant à hauteur de 7.294.149 LUF en provenance de la vente de l’appartement professionnel, ce bénéfice correspondant à la différence entre le prix de vente de 12.500.000 LUF et la valeur comptable de 5.205.851 LUF au moment de la vente.

Monsieur … réclama contre ce bulletin d’impôt par courrier du 16 mai 1995, entré à la direction de l’administration des Contributions directes le 29 mai suivant.

Cette réclamation étant restée sans suite malgré deux courriers de rappel des 11 juillet 1996 et 30 avril 1997, Monsieur … fit introduire, par requête déposée en date du 27 novembre 1998, un recours en réformation, sinon en annulation contre le bulletin d’impôt prévisé du 23 mars 1995 et la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le directeur de l’administration des Contributions directes face à sa prédite réclamation.

Par jugement du 23 février 2000, le tribunal a déclaré irrecevables le recours pour autant que dirigé contre une décision implicite de rejet du directeur et le recours subsidiaire en annulation, mais a reçu le recours principal en la forme dans la mesure où il est dirigé contre le bulletin de l'impôt sur le revenu pour l’année 1990. Quant au fond, le tribunal a dit que la plus-value de cession réalisée par le demandeur au cours de l’année d’imposition 1990 en raison de la vente de l’appartement sis …, … à Luxembourg ne constitue pas un bénéfice de cessation ou de cession au sens de l’article 15 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 sur l'impôt sur le revenu, en abrégé « LIR ».

Concernant les moyens du demandeur relatifs à l’inconstitutionnalité des dispositions de la loi sur l'impôt sur le revenu applicables en l’espèce, le tribunal a relevé qu’aux termes de l’article 93 (2) LIR, l’actif net investi d’un membre d’une profession libérale ne comprend que les biens qui, de par leur nature, sont destinés à servir à l’exercice de cette profession et dont la possession est en relation directe avec ledit exercice. En l’absence d’indications détaillées sur la date du déménagement du cabinet médical vers le local sis au numéro 3 de la rue … à Luxembourg, sur le maintien éventuel d’une activité professionnelle dans l’appartement litigieux sis au numéro … du … jusqu’à sa vente, ainsi que sur la volonté du demandeur soit de maintenir l’appartement litigieux dans l’actif net investi en vue de sa vente, soit de le transférer dans son patrimoine privé moyennant prélèvement, le tribunal a estimé ne pas être en mesure d’opérer, en l’état des éléments de fait et de droit lui soumis, la qualification exacte de l’opération de vente et de la plus-value de cession en dégagée comme ayant eu lieu dans le cadre de l’activité de profession libérale du demandeur ou de la gestion de son patrimoine privé. Il a dès lors fixé l’affaire pour continuation des débats à une audience ultérieure afin de permettre au demandeur de préciser la chronologie des opérations de transfert du cabinet médical et de vente de l’appartement litigieux sis …, … à Luxembourg ainsi que son intention manifestée à l’époque quant au maintien de ce dernier dans son patrimoine d’affectation, voire son transfert au patrimoine privé, les parties ayant été invitées à prendre position par la suite quant aux conséquences légales s’en dégageant.

Suite aux éléments complémentaires soumis par les parties, le tribunal a retenu sur base des faits ainsi précisés que l’appartement litigieux n’a pas été prélevé du patrimoine d’exploitation du demandeur mais y a été maintenu en vue de sa vente imminente et que c’est partant à juste titre que le bureau d'imposition a qualifié la vente intervenue en date du 10 juillet 1990 de cession d’un bien du patrimoine d’exploitation du demandeur et y a appliqué le régime d’imposition afférent.

Concernant les moyens d’inconstitutionnalité soulevés par le demandeur, le tribunal a d’abord conclu sur base de calculs, certes à caractère simplement illustratif, que la plus-value réelle nette d’inflation est en tout cas inférieure à la cote d’impôt prélevée du chef de la plus-

value réalisée par le demandeur, de manière à confirmer l’apparence de son moyen concernant l’imposition de la substance de sa fortune. Ensuite, eu égard à certains éléments de jurisprudence étrangère et en présence d’une imposition au titre du seul impôt sur le revenu, sans même prendre en compte l’incidence de l’impôt sur la fortune, ayant pour résultat d’opérer un prélèvement fiscal dépassant la plus-value réelle nette de dévaluation monétaire, le tribunal a constaté que les questions ayant trait à l’affectation de la substance de la fortune et à la limitation du niveau des prélèvements fiscaux soulevées par le demandeur sont pertinentes. Par contre, le tribunal a estimé que le membre d’une profession libérale cédant un bien immobilier faisant partie de son patrimoine d’exploitation et le contribuable personne privée cédant un bien immobilier de son patrimoine privé ne se trouvent pas dans une situation comparable au regard de la loi sur l'impôt sur le revenu et plus particulièrement au regard de l’imposition de la plus-value dégagée par ladite cession, de sorte à avoir déclaré le moyen du demandeur tiré de la violation du principe d’égalité devant la loi dénué de tout fondement au sens de l’article 6 alinéa 2, b) de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle.

Sur pied de ces développements, le tribunal a soumis à la Cour Constitutionnelle une question préjudicielle libellée comme suit :

« Les dispositions combinées des articles 18, 23, 92, 93 et 118 LIR, dans leur teneur respective applicable à l’année d’imposition 1990, ou certaines d’entre elles, en ce qu’elles intègrent un immeuble affecté à l’exercice d’une profession libérale dans un patrimoine d’affectation soumis à l’évaluation au coût historique et soumettent, lors de la vente de cet immeuble, à l'impôt sur le revenu, sans aucune réévaluation, une plus-value de cession égale à la différence entre le coût historique, diminué des amortissements opérés, et le prix de cession, ayant ainsi pour effet de prélever une cote d’impôt sur le revenu absorbant l’intégralité de la plus-value dégagée en tenant compte de la dévaluation monétaire et affectant la substance de la fortune du contribuable, sont-elles conformes à la Constitution et notamment à ses articles 16, 99, 100 et 101 ? ».

Par arrêt du 8 décembre 2000 (n° 0010 du registre), la Cour Constitutionnelle a statué comme suit sur la question préjudicielle lui soumise :

« Par ces motifs :

déclare irrecevable la question préjudicielle pour autant que les articles 99, 100 et 101 de la Constitution sont concernés ;

la reçoit par rapport à l’article 16 de la Constitution ;

dit que les articles 18, 23, 92, 93 et 118 de la loi concernant l’impôt sur le revenu ne sont pas contraires à l’article 16 de la Constitution ;

ordonne que, dans les trente jours de son prononcé, l’arrêt sera publié au Mémorial, Recueil de Législation ; ordonne que l’expédition de l’arrêt sera envoyée par le greffe de la Cour Constitutionnelle à la juridiction dont émanait la saisine, et que copie certifiée conforme sera envoyée aux parties en cause devant cette juridiction ».

Dans son mémoire complémentaire, le demandeur constate que le tribunal a certes consacré des développements à son moyen tiré de la non-conformité des dispositions applicables de la loi concernant l’impôt sur le revenu à l’article 11 (2) de la Constitution, mais n’y a pas statué dans le dispositif de son jugement du 26 juillet 2000, pour en conclure que le tribunal serait en droit de revenir sur ses considérations relatives à ce moyen pour soit soumettre une question préjudicielle afférente à la Cour Constitutionnelle, soit déclarer la non-conformité des textes litigieux à l’article 11 (2) de la Constitution sur base de la jurisprudence existante de la Cour Constitutionnelle.

Il réaffirme ses calculs d’après lesquels la plus-value dégagée sur la vente de l’appartement en cause aurait été imposée, contribution au fonds pour l’emploi comprise, au taux de 58,8% et que la cote d’impôt de 4.288.774 LUF correspondant à cette plus-value représenterait 160% de la plus-value réelle nette de 2.674.028 LUF. Il retrace le régime d’imposition qui aurait été applicable à la plus-value litigieuse si l’appartement avait fait partie de son patrimoine privé en insistant sur le fait qu’en l’année 1990 un immeuble ayant fait partie du patrimoine privé durant plus de dix ans ne donnait pas lieu à une plus-value imposable en cas de cession et que même du chef des années d’imposition subséquentes la plus-value en principe imposable est réduite d’un abattement et soumise à un taux d’impôt réduit. Il expose également que l’application, dans le cadre de la catégorie de revenu du bénéfice en provenance d’une profession libérale, du régime de la cession en bloc ou de cessation d’une entreprise aurait donné lieu à une cote d’impôt de 688.569 LUF du chef de la plus-value réalisée sur la vente de l’appartement en cause. Il conclut qu’un contribuable ayant vendu l’appartement en cause comme élément de son patrimoine privé n’aurait pas payé d’impôt du tout du chef de cette plus-value, tandis qu’un contribuable ayant vendu l’appartement à partir de son patrimoine professionnel dans le cadre d’une cession ou cessation en bloc aurait dû payer un sixième de la cote d’impôt dont lui-même serait redevable.

Le demandeur déduit de ces éléments qu’il a été soumis à un traitement discriminatoire par rapport aux hypothèses prévisées, lequel ne serait susceptible d’aucune justification alors qu’il se verrait, par le seul fait d’avoir établi son cabinet médical dans l’appartement en cause au lieu de le donner en location et d’installer son cabinet dans un autre appartement pris en location, soumis à une imposition le privant non seulement économiquement de la plus-value, mais affectant bien plus la substance de sa fortune propre.

Il fait valoir que la différence de traitement à son encontre serait arbitraire et spoliatrice dans ses effets et il conteste la motivation du jugement du tribunal du 26 juillet 2000 en ce que ce dernier a retenu en fin de compte que la seule différence de situation entre lui-même et un propriétaire privé d’un appartement d’avoir fait le choix d’exercer l’art médical dans l’appartement en cause ne rendrait pas ces situations comparables, pour estimer qu’elles seraient plutôt parfaitement comparables, la question de la faculté de déduction d’amortissements sur l’appartement devant rester sans incidence à cet égard. Il ajoute qu’une discrimination existerait également par rapport à un contribuable médecin ayant cédé l’immeuble dans le cadre d’une cession en bloc de son cabinet et critique que le simple fait de continuer son cabinet médical à une distance de quelques deux kilomètres pourrait conduire au refus du régime fiscal des cessions en bloc et lui imposer une charge fiscale discriminatoire. De l’ensemble des éléments ainsi exposés, le demandeur conclut que la question de la constitutionalité des textes applicables de la loi concernant l’impôt sur le revenu par rapport aux articles 10bis et 101 de la Constitution « se pose avec une acuité pressante et peut de l’avis du requérant d’ores et déjà être résolu avec une certitude suffisante dans le sens de l’inconstitutionnalité sans qu’il ne soit même requis de faire appel à la Cour Constitutionnelle ».

Le demandeur soulève en outre le moyen nouveau tiré du non-respect de l’article 11 (6) de la Constitution par la législation sur l’impôt sur le revenu appliquée en l’espèce en arguant que la liberté d’exercice des professions libérales impliquerait le libre choix du lieu d’exercice de la profession et le droit au transfert du cabinet à un endroit différent, d’autant plus que ce transfert serait motivé par des raisons impérieuses de sécurité et de disponibilité médicales, entraînant qu’un tel transfert ne devrait pas avoir des conséquences fiscales dissuasives et risquant de l’entraver, sinon de le rendre impossible.

Le demandeur soutient finalement sans autre précision dans sa requête introductive que l’imposition par lui incriminée serait contraire à l’article 1er du protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Dans le cadre de son mémoire complémentaire, le demandeur précise son moyen en arguant que « « l’impôt » frappant la prétendue plus-value ne peut en espèce certainement pas être considéré comme un impôt au sens de l’alinéa 2 de l’article 1er du protocole additionnel, mais revient à une spoliation pure et simple ».

A titre liminaire, il y a lieu de retenir que le tribunal a écarté dans son jugement du 26 juillet 2000 les griefs soumis par le demandeur quant à la prétendue application erronée des dispositions règles légales applicables par le bureau d’imposition.

En outre, le moyen tiré de la violation de l’article 16 de la Constitution a fait l’objet d’un arrêt de la Cour Constitutionnelle du 8 décembre 2000 ayant retenu que les articles 18, 23, 92, 93 et 118 de la loi concernant l’impôt sur le revenu ne sont pas contraires à l’article 16 de la Constitution qui ne viserait que la privation de la propriété d’un bien déterminé moyennant une juste et préalable indemnité et non pas l’incidence de la dette fiscale sur un patrimoine. Dans la mesure où le tribunal est tenu, conformément à l’article 15 alinéa 2 de la loi prévisée du 27 juillet 1997, de se conformer à cet arrêt même s’il a considéré le moyen du demandeur comme pertinent, le moyen afférent est à rejeter.

Concernant le grief du demandeur tiré d’une prétendue violation du principe de l’égalité devant la loi en ce que la seule différence de sa propre situation par rapport à celle d’un propriétaire privé, à savoir l’affectation de l’appartement à l’exercice d’une profession libérale, ne saurait justifier l’application d’un régime fiscal discriminatoire à la plus-value dégagée par la cession de l’appartement, le tribunal n’entend pas se départir des considérations contenues dans le jugement du 26 juillet 2000.

En effet, s’il est vrai que, contrairement au régime d’imposition prévu par les articles 16 à 60 LIR, dans le cadre du régime d’imposition des plus-values de cession d’immeubles ayant fait partie du patrimoine privé, l’article 102 (6) LIR admet la réévaluation du prix d’acquisition de l’immeuble visé pour tenir compte de l’inflation monétaire dans la détermination de la plus-value de cession de cet immeuble et qu’une plus-value immobilière réalisée sur un bien du patrimoine privé peut faire l’objet d’un abattement prévu par l’article 130 (4) LIR et de la soumission à un taux d’impôt réduit en vertu des articles 131 (1) et 132 (2) LIR, il n’en reste pas moins que la question de l’imposition des plus-values s’insère cependant dans le cadre plus large d’un régime intégral d’imposition du revenu. Etant donné qu’à la base, la loi sur l’impôt sur le revenu distingue huit catégories de revenus se rattachant plus ou moins directement à des activités du contribuable et que ces activités peuvent valablement être soumises à des régimes différents de détermination du revenu imposable pour tenir compte de leurs spécificités, la destination de l’utilisation d’un bien peut constituer à elle seule un critère suffisant en vue de le rattacher à la catégorie de revenus correspondant à l’activité exercée et d’appliquer en conséquence le régime de détermination du revenu imposable y relatif. La loi précitée du 4 décembre 1967 tient compte de cette différence en soumettant le membre d’une profession libérale, à l’instar d’un commerçant, au régime de la détermination du bénéfice sur base d’une comptabilité d’engagement (« Bilanzsteuerrecht ») et le propriétaire immobilier particulier, à l’instar des catégories visées aux numéros 4 à 8 de l’article 10 LIR, à la détermination du revenu par comparaison des recettes et dépenses (« Ertragssteuerrecht »), la possibilité de l’institution d’une comptabilité particulière pour les professions libérales ouverte par l’article 94 LIR et les tolérances administratives éventuelles admettant une comptabilité par comparaison des recettes et dépenses étant sans incidence sur cette qualification fondamentale.

Il s’ensuit que le membre d’une profession libérale cédant un bien immobilier faisant partie de son patrimoine d’exploitation et le contribuable personne privée cédant un bien immobilier de son patrimoine privé ne se trouvent pas dans une situation comparable au regard de la loi sur l'impôt sur le revenu et plus particulièrement au regard de l’imposition de la plus-value dégagée par ladite cession. Cette conclusion n’est pas affectée par l’importance d’un éventuel écart entre les cotes d’impôt sur le revenu redues selon l’applicabilité de l’un ou l’autre régime d’imposition. Le moyen du demandeur tiré de la violation du principe d’égalité devant la loi doit partant être déclaré dénué de tout fondement au sens de l’article 6 alinéa 2, b) de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle et être rejeté.

L’article 11 (6) de la Constitution, dont le demandeur se prévaut dans un nouvel ordre d’idées, dispose que « la loi garantit la liberté du commerce et de l’industrie, l’exercice de la profession libérale et du travail agricole, sauf les restrictions à établir par le pouvoir législatif ».

Il ressort de la formulation même de cette disposition que si l’interdiction de l’exercice d’une profession libérale ne peut être décrétée, la liberté d’exercice d’une telle profession n’est garantie que pour autant que les prescriptions édictées par le législateur sont observées.

Or, force est au tribunal de constater que les dispositions de la loi concernant l’impôt sur le revenu épinglées par le demandeur ne comportent aucune restriction au droit d’exercer la profession libérale de médecin et ne restreignent pas directement son droit au libre choix du lieu d’exercice de sa profession, mais se limitent à déclencher une obligation fiscale comme conséquence de la décision du demandeur de désaffecter de son utilisation professionnelle le bien investi représenté par l’appartement en cause. S’il est vrai que l’import de l’obligation fiscale ainsi née peut être considéré subjectivement comme entrave à cette décision de désaffectation, il ne saurait pourtant être objectivement qualifié de restriction à l’exercice d’une profession libérale, étant donné que ladite obligation est fonction de choix librement opérés antérieurement par le contribuable et que la législation applicable lui laisse ouverte ses options lui permettant de réduire ou du moins de postposer la cote d’impôt redue du fait d’une cession du bien. Le moyen du demandeur tiré de la violation de l’article 11 (6) de la Constitution doit dès lors également être déclaré dénué de tout fondement au sens de l’article 6, alinéa 2, b) de la loi précitée du 27 juillet 1997 et être rejeté.

L’article 1er du protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, faite à Paris le 20 mars 1952, dispose que :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général et pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes ».

Il y a lieu de relever en premier lieu que la Cour européenne des droits de l’homme, tout en retenant qu’il doit y avoir un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi, reconnaît qu'un Etat contractant, spécialement quand il élabore et met en oeuvre une politique en matière fiscale, jouit d'une large marge d'appréciation, et que la Cour respecte l'appréciation portée par le législateur en pareilles matières, sauf si elle est dépourvue de base raisonnable (CEDH, arrêt Gasus Dosier- und Fördertechnik GmbH du 23 février 1995, n° 306-B, pp. 48–49, § 60).

L’alinéa second dudit article 1er, dont le demandeur se prévaut, vise non pas les régimes d’imposition en eux-mêmes érigés par les lois des Etats contractants, mais les législations tendant à assurer le paiement de ces impôts. Dans la mesure où le demandeur critique en l’espèce non pas une mesure nationale dans le cadre du recouvrement d’un impôt, mais une fixation d’un impôt, son moyen tombe à faux en ce qu’il s’empare dudit alinéa second de l’article 1er du protocole additionnel.

Dans la mesure où le demandeur ne s’est pas prévalu de l’alinéa 1er dudit article 1er et où il n’a plus particulièrement développé aucun moyen quant à l’applicabilité en l’espèce de cette disposition et à son non-respect, le tribunal n’est pas amené à y prendre position.

Il résulte des développements qui précèdent que le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, vidant les jugements du 23 février 2000 et du 26 juillet 2000, déclare le recours en réformation tel que reçu en la forme non fondé et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 12 février 2003 par:

M. DELAPORTE, premier vice-président, M. SCHOCKWEILER, vice-président, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT DELAPORTE 8


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 10997b
Date de la décision : 12/02/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-02-12;10997b ?

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