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10/02/2003 | LUXEMBOURG | N°15928

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 février 2003, 15928


Tribunal administratif N° 15928 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 janvier 2003 Audience publique du 10 février 2003

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Recours formé par Madame … contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du Gouvernement

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15928 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 31 janvier 2003 par Maître Philippe STROESSER, avocat à la Cour, inscri

t au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le …, de nationalité co...

Tribunal administratif N° 15928 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 janvier 2003 Audience publique du 10 février 2003

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Recours formé par Madame … contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du Gouvernement

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15928 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 31 janvier 2003 par Maître Philippe STROESSER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le …, de nationalité congolaise, actuellement détenue au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 27 janvier 2003 par laquelle elle fut placée au dit Centre pour la durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision de placement en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 février 2003 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en sa plaidoirie à l’audience publique du 5 février 2003.

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Il ressort d’un procès-verbal référencé sous le numéro 12 de la police grand-ducale, service de contrôle à l’aéroport, datant du 25 janvier 2003, que Madame … fut interceptée à l’aéroport du Findel alors qu’elle tentait d’embarquer à destination de Londres moyennant un passeport français volé. Lors de ce contrôle, il s’est avéré qu’elle n’avait ni une pièce d’identité valable, ni des moyens d’existence. Madame … fit alors l’objet d’une mesure de rétention ordonnée en date du même jour par un substitut du procureur d’Etat près du tribunal d’arrondissement de Luxembourg.

En date du 27 janvier 2003, le ministre de la Justice ordonna le placement de Madame … au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification dudit arrêté dans l’attente de son éloignement du territoire luxembourgeois. La décision de placement fut fondée sur les considérations et motifs suivants :

« Considérant que l’intéressée a été contrôlée en date du 25 janvier 2003 par la Police Grand-Ducale, Considérant que le Parquet a prononcé une mesure de rétention en date du 25 janvier 2003 ;

Considérant que l’intéressée a fait usage d’un passeport français volé ;

Considérant que l’intéressée est démunie de toute pièce d’identité et de voyage valable ;

- qu’elle ne dispose pas de moyens d’existence personnels ;

- qu’elle se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Considérant qu’un laissez-passer sera demandé dans les meilleurs délais auprès des autorités congolaises ;

- qu’en attendant l’émission de ce document de voyage, l’éloignement immédiat de l’intéressée n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressée est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ; » Par requête déposée en date du 31 janvier 2003, Madame … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 27 janvier 2003.

L’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-

d’oeuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, de sorte que le tribunal est compétent pour statuer en tant que juge du fond à l’encontre de la décision ministérielle litigieuse. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, la demanderesse fait exposer qu’elle aurait quitté son pays d’origine en raison des violences policières extrêmes à l’égard notamment des opposants au régime politique en place et que son propre époux aurait été tué au Congo pour ses seules croyances politiques opposantes au régime. La demanderesse relève encore que tous les enfants du couple résideraient dans un pays de l’Union Européenne sous le statut de réfugiés politiques. Elle critique l’arrêté ministériel déféré en faisant d’abord valoir qu’aucun arrêté d’expulsion ne lui aurait été notifié au jour de la décision litigieuse, et que par ailleurs les conditions de forme et de fond justifiant un refoulement dans son chef, telles que déterminées par l’article 12 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, ne seraient plus remplies, étant donné que le motif de l’insuffisance de moyens personnels ne serait pas un motif suffisant pour fonder une mesure de placement. Elle ajoute que, concernant la question du séjour irrégulier au pays, elle aurait certes été en possession d’un passeport volé, mais elle n’aurait pourtant à aucun moment cherché à fuir lors de son arrestation à l’aéroport, et que, s’agissant d’un éventuel danger de fuite dans son chef, elle relève que l’incarcération dans un centre pénitentiaire d’une personne sous le coup d’une mesure de placement, non poursuivie ou condamnée pour une infraction pénale, ne se justifierait qu’au cas où cette personne constituerait un danger pour la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics, condition pourtant non remplie dans son chef. Elle relève encore à cet égard que la privation de liberté par l’incarcération constituerait une mesure d’exception et qu’en l’espèce, cette mesure pourrait être suppléée facilement par une autre forme de placement permettant au Gouvernement d’exercer une surveillance appropriée et d’empêcher une éventuelle soustraction à un éloignement ultérieur dans son chef.

La demanderesse fait valoir en outre que l’impossibilité de l’expulsion ou du refoulement pour une raison de fait invoquée à la base de la décision déférée, si elle pouvait certes consister dans des difficultés d’organisation des autorités nationales, ne saurait pour autant perdurer au-delà d’un délai essentiellement bref. Elle estime qu’en l’espèce les autorités administratives seraient restées en défaut de déployer toutes les diligences nécessaires afin d’organiser son éloignement dans les meilleurs délais. Elle fait valoir plus particulièrement à cet égard que les diligences élémentaires n’auraient pas encore été effectuées au jour de la prise de décision de placement, soit deux jours après son arrestation et que, le délai déjà écoulé au jour de l’introduction du recours sous examen pour procéder à son expulsion ou à son refoulement serait inadmissible en la matière.

Le délégué du Gouvernement rétorque que le jour même de la prise de l’arrêté ministériel déféré, le ministre de la Justice a saisi le service de police judiciaire pour enquête et que le lendemain, 28 janvier 2003, le ministre a pris un arrêté de refus d’entrée et de séjour à l’encontre de la demanderesse. Il conteste par ailleurs formellement l’affirmation que les enfants de la demanderesse bénéficieraient du statut de réfugié politique dans d’autres pays européens, alors qu’en tant qu’ascendant d’un réfugié politique, la demanderesse aurait le droit au regroupement familial dans les pays concernés, de manière à ne pas avoir besoin de voyager moyennant un passeport falsifié. Quant au fond, il fait valoir que la demanderesse remplirait manifestement les conditions de refoulement telles que prévues par la loi, étant donné qu’elle se trouve en séjour irrégulier et ne dispose ni de documents de voyage, ni de moyens d’existence propres. Il rappelle en outre qu’elle n’est pas placée dans un centre pénitentiaire, mais au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, de manière à ne pas être en contact avec des prévenus ou des détenus de droit commun.

Concernant d’abord le reproche tiré de « l’absence des conditions pour prononcer une mesure de placement », il est constant en cause que la mesure de placement n’est pas basée sur une décision d’expulsion, celle versée en cause datant du 28 janvier 2003 étant postérieure en date et n’ayant partant pas pu servir de base légale à l’arrêté ministériel litigieux. Il convient dès lors d’examiner si la mesure en question est basée sur une mesure de refoulement qui, en vertu de l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972, peut être prise, « sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal », à l’égard d’étrangers non autorisés à résidence :

« 1) qui sont trouvés en état de vagabondage ou de mendicité ou en contravention à la loi sur le colportage;

2) qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour;

3) auxquels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 de [la loi précitée du 28 mars 1972];

4) qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis;

5) qui, dans les hypothèses prévues à l’article 2 paragraphe 2 de la Convention d’application de l’accord de Schengen, sont trouvés en contravention à la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions ou sont susceptibles de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics ».

Aucune disposition législative ou réglementaire ne déterminant la forme d’une décision de refoulement, celle-ci est censée avoir été prise par le ministre de la Justice à partir du moment où les conditions de forme et de fond justifiant un refoulement, telles que déterminées par l’article 12 de la loi du 28 mars 1972 précitée sont remplies, et où, par la suite, une mesure de placement a été décidée à l’encontre de l’intéressé. En effet, une telle décision de refoulement est nécessairement sous-jacente à la décision de mise à la disposition du Gouvernement, à partir du moment où il n’existe pas d’arrêté d’expulsion.

Encore faut-il que la mesure afférente soit prise légalement, c'est-à-dire pour un des motifs prévus par l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972 auquel renvoie l’article 15.

A l’appui de la décision litigieuse, le ministre de la Justice fait état du fait que la demanderesse se trouve en séjour irrégulier au pays et qu’elle n’est pas en possession de moyens d’existence personnels suffisants.

Dans la mesure où il n’est pas contesté en cause qu’au moment de la prise de la décision litigieuse, la demanderesse ne disposait effectivement ni de papiers de légitimation prescrits, ni de moyens d’existence personnels suffisants, il y a dès lors lieu de retenir qu’une mesure de refoulement telle que prévue par l’article 15 de la loi du 28 mars 1972, précitée, était en principe justifiée.

Dans la mesure où il n’est par ailleurs pas contesté que la demanderesse était en situation irrégulière et qu’elle a subi une mesure de rétention administrative sur base dudit article 15 en vue de son éloignement du territoire luxembourgeois, il y a lieu de constater qu’elle rentre directement dans les prévisions de la définition des « retenus » telle que consacrée à l’article 2 du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, de sorte que toute discussion sur l’existence d’un risque de porter atteinte à l’ordre public et d’un risque de fuite dans son chef s’avère désormais non pertinente en la matière, étant donné que la mise en place d’un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière repose précisément sur la prémisse qu’au-delà de toute considération tenant à une dangerosité éventuelle des personnes concernées, celles-ci, eu égard au seul fait de l’irrégularité de leur séjour et de l’imminence de l’exécution d’une mesure d’éloignement dans leur chef, présentent par essence un risque de fuite, fût-il minime, justifiant leur rétention dans un centre de séjour spécial afin d’éviter que l’exécution de la mesure prévue ne soit compromise.

Au vu de ce qui précède le moyen basé sur l’absence de tout risque de trouble à l’ordre public et de soustraction à l’exécution d’une mesure de rapatriement dans le chef de la demanderesse est à rejeter comme étant non pertinent.

Concernant ensuite le reproche basé sur le défaut allégué du ministre de la Justice d’avoir entrepris en temps utile et dans les plus brefs délais toutes les diligences qui se seraient imposées en vue de l’éloignement de la demanderesse, force est de constater que c’est à juste titre que le ministre de la Justice expose que des démarches administratives ont dû être entreprises en vue du rapatriement de Madame … vers son pays d’origine. Dans la mesure où il ressort du dossier administratif qu’en date du 27 janvier 2003, soit le jour même de la prise de l’arrêté ministériel litigieux, le ministre de la Justice a saisi le service de police judiciaire du dossier en vue d’enquêter sur la personne de la demanderesse, jusque-là non régulièrement identifiée, afin d’organiser son éloignement et de pouvoir notamment contacter utilement les autorités compétentes en vue de la délivrance d’un laissez-passer, le reproche formulé à l’égard des autorités luxembourgeoises de ne pas avoir entrepris des démarches suffisantes dans un délai rapproché en vue de l’éloignement de la demanderesse, laquelle était dépourvue de papiers d’identité valables, laisse d’être fondé.

Dans la mesure où c’est en effet précisément dans l’attente de la finalisation des formalités préalables à son éloignement que la demanderesse fut mise en placement, la décision déférée ne saurait encourir le reproche de ne pas être intervenue dans le cadre des prévisions légales et réglementaires en la matière.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous examen laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond le dit non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 février 2003 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15928
Date de la décision : 10/02/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-02-10;15928 ?

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