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10/02/2003 | LUXEMBOURG | N°14748

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 février 2003, 14748


Numéro 14748 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 mars 2002 Audience publique du 10 février 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière d'autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 14748 du rôle, déposée le 27 mars 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’

Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité yougoslave, ...

Numéro 14748 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 mars 2002 Audience publique du 10 février 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière d'autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 14748 du rôle, déposée le 27 mars 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité yougoslave, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d'une décision du 21 novembre 2001, signée conjointement par le ministre de la Justice et le ministre du Travail et de l'Emploi et portant rejet de sa demande en obtention d'une autorisation de séjour dans le cadre de la campagne dite de régularisation;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 juin 2002;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Edmond DAUPHIN et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 16 septembre 2002.

Vu la rupture du délibéré prononcée le 2 octobre 2002;

Vu le mémoire complémentaire du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 octobre 2002;

Vu le mémoire complémentaire déposé le 31 octobre 2002 par Maître Edmond DAUPHIN pour compte de Monsieur …;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport complémentaire, ainsi que Maître Edmond DAUPHIN et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 novembre 2002.

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Par demande déposée le 16 juillet 2001 auprès du service commun des ministères du Travail et de l'Emploi, de la Justice et de la Famille, de la Solidarité sociale et de la Jeunesse, Monsieur …, préqualifié, sollicita l'obtention d'une autorisation de séjour dans le cadre de la campagne dite de régularisation de certaines catégories d'étrangers séjournant sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg.

Par courrier du 21 novembre 2001, les ministres de la Justice et du Travail et de l'Emploi informèrent Monsieur … de ce qui suit:

« Suite à l’examen de la demande en obtention d’une autorisation de séjour que vous avez déposée en date du 16 juillet 2001 auprès du service commun des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille, de la Solidarité sociale et de la Jeunesse, nous sommes au regret de vous informer que nous ne sommes pas en mesure de faire droit à votre demande.

En effet, selon l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l’entrée et le séjour des étrangers ; 2° le contrôle médical des étrangers ; 3° l’emploi de la main-

d’œuvre étrangère, la délivrance d’une autorisation de séjour est subordonnée à la possession de moyens d’existence personnels suffisants légalement acquis permettant à l’étranger de supporter ses frais de séjour au Luxembourg, indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir.

Comme vous ne remplissez pas cette condition, une autorisation de séjour ne saurait vous être délivrée.

Par ailleurs, le dossier tel qu’il a été soumis au service commun ne permet pas au Gouvernement de vous accorder la faveur d’une autorisation de séjour ».

Cette décision fut notifiée à Monsieur … en personne le 27 décembre 2001 dans les locaux du service commun des ministères du Travail et de l'Emploi, de la Justice et de la Famille, de la Solidarité sociale et de la Jeunesse.

A l’encontre de cette même décision du 21 novembre 2001, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation par requête déposée le 27 mars 2002.

Dans la mesure où ni la loi prévisée du 28 mars 1972, ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière de refus d’autorisation de séjour, le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur estime d’abord que, dans la mesure où la portée de la décision attaquée porterait sur le destin d’un homme et dépasserait dès lors de loin celle d’un simple acte d’administration, la signature y apposée par un fonctionnaire par délégation à la place du ministre lui-même ne conférerait pas la garantie que le membre de l’exécutif assumant la responsabilité politique et morale de cet acte en aurait effectivement pris connaissance. Il ajoute que le document diffusé par le Gouvernement au sujet de la campagne de régularisation de certaines catégories d’étrangers indiquerait que trois membres du Gouvernement seraient chargés de la prise des décisions individuelles y relatives, de manière que la décision attaquée du 21 novembre 2001, portant seulement deux signatures, serait illégale en ce qu’elle ne comporterait pas la preuve que « tous les membres du Gouvernement formant le groupe « Régularisation » aient assumé la responsabilité de la décision refusant au requérant le permis de séjour ».

Force est de constater, comme l’a relevé à bon droit le délégué du Gouvernement, qu’en l’état actuel de la législation, une décision relative à l’entrée et au séjour d’un étranger au Grand-Duché au sens de la loi prévisée du 28 mars 1972 relève de la seule compétence du ministre de la Justice, ceci conformément aux dispositions de l’article 11 de ladite loi et sous les restrictions y énoncées tenant notamment au fait que les décisions afférentes sont prises sur proposition du ministre de la Santé lorsqu’elles sont motivées par des raisons de santé publique.

Il s’ensuit qu’en dépit du fait que la demande en obtention d’une autorisation de séjour du demandeur a été introduite auprès d’un service commun regroupant des représentants des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille et que cette demande a par ailleurs été traitée dans le cadre de la régularisation des sans-papiers ainsi désignée, seul le ministre de la Justice est légalement investi de la compétence pour statuer en la matière.

Ainsi, le défaut de signature du ministre de la Famille, face à la compétence exclusive du ministre de la Justice en la présente matière, n’est pas de nature à affecter la légalité de la décision attaquée, cette conclusion n’étant pas ébranlée par le fait que l’instruction du dossier a été faite, en tout ou partie, par un service commun regroupant des représentants de plusieurs ministères.

Pareillement, la circonstance que la décision attaquée a été signée par deux fonctionnaires en remplacement des ministres respectifs de la Justice et du Travail et de l’Emploi sur base de délégations n’est pas de nature à énerver sa légalité, étant donné que la possibilité pour les membres du Gouvernement de conférer des délégations de signature en matière administrative est prévue par l’arrêté grand-ducal du 22 décembre 2000 concernant les délégations de signature par le Gouvernement sans comporter une restriction plus particulière quant à la catégorie de décisions visée en l’espèce. Dans la mesure où le demandeur ne conteste pas l’existence en l’espèce de délégations en faveur des fonctionnaires signataires de la décision attaquée du 21 novembre 2001 et le respect par ces derniers des confins de leurs délégations, les moyens afférents quant à la forme de la décision litigieuse avancés par le demandeur sont à écarter.

Quant au fond, le demandeur déclare se prévaloir de la rubrique « A » du document intitulé « Informations pratiques aux personnes concernées – Régularisation de certaines catégories de personnes séjournant sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg » et affirme satisfaire à toutes les conditions y posées, sauf celle relative à l’existence d’un emploi stable. Il fait néanmoins valoir qu’après son abstention, en qualité de demandeur d’asile, de tout travail faute de permis de travail, des patrons seraient disposés à l’engager dès la délivrance d’un tel permis et que le refus de ce dernier le pénaliserait par rapport à un étranger ayant travaillé au noir en violation de la loi, qui bénéficierait des dispositions de la rubrique « B » dudit document relatif à la campagne de régularisation et se verrait délivrer tant le permis de travail que l’autorisation de séjour. Le demandeur en déduit que ledit document fixerait une condition impossible et « récompense l’administré qui a violé la loi », de manière que la décision déférée du 21 novembre 2001 serait fondée sur un texte contraire à l’ordre public et devrait partant encourir l’annulation. Il ajoute qu’il se serait conformé à toutes les conditions fixées par la loi prévisée du 28 mars 1972 auxquelles il aurait pu satisfaire et que le non-respect par lui de la condition relative aux moyens de subsistance personnels serait dû « au fait du Prince ».

Par avis du 2 octobre 2002, le tribunal a prononcé la rupture du délibéré, en constatant que la brochure susvisée indique que les demandes de régularisation sont à déposer auprès du Service Commun des ministères en charge de la campagne de régularisation et que toute personne qui tombe dans l’une des 7 catégories visées dans ce document peut obtenir une autorisation de séjour et/ou un permis de travail, soit, le cas échéant, les deux autorisations ainsi mises en expectative, la régularisation étant par ailleurs annoncée comme consistant dans son premier volet en une « régularisation par le travail », afin de soulever la question de savoir si la demande de régularisation soumise par le demandeur en invoquant la rubrique « A » de la brochure est susceptible d’être considérée comme ayant tendu à la délivrance tant d’une autorisation de séjour que d’un permis de travail. Le tribunal a invité les parties à lui indiquer si le ministre du Travail et de l’Emploi a déjà statué sur le volet de la demande de régularisation visant l’obtention d’un permis de travail et à verser, le cas échéant, la décision afférente au dossier, sinon, à défaut d’une telle décision, à prendre position par rapport à la question de savoir si la décision déférée du ministre de la Justice du 20 décembre 2001, fondée sur un défaut de moyens de subsistance personnels légaux, peut le cas échéant être considérée comme étant intervenue prématurément eu égard à la finalité et à l’esprit de la campagne de régularisation par le travail et plus particulièrement au parallélisme susvisé entre la délivrance d’une autorisation de séjour et d’un permis de travail, ainsi que sur l’incidence éventuelle de ce caractère prématuré en l’espèce.

Dans son mémoire complémentaire, le délégué du Gouvernement rappelle que la loi prévisée du 28 mars 1972 représenterait la seule base légale concernant le séjour de tout étranger au pays et que l’article 2 de cette loi subordonnerait la délivrance d’une autorisation de séjour à la production d’un permis de travail, lequel n’aurait en l’espèce pas été délivré par le ministre du Travail. Le représentant étatique insiste sur le fait que le demandeur aurait coché la case « B » et non la case « A » dans sa demande de régularisation et qu’il n’aurait pas établi pouvoir remplir tous les critères de cette catégorie de personnes pouvant bénéficier de la régularisation. Il ajoute que le demandeur ne satisferait pas non plus aux critères de la catégorie « A » à défaut d’affiliation auprès des organismes de sécurité sociale. Il précise enfin que le ministère du Travail et de l’Emploi n’aurait été saisi à aucun moment d’une demande en obtention d’un permis de travail, laquelle devrait être introduite conjointement par l’employeur et le salarié. Le délégué du Gouvernement conclut que la décision litigieuse du 21 novembre 2001 ne serait dès lors pas prématurée, étant donné par ailleurs que le demandeur aurait versé à l’appui de sa demande seulement une promesse d’embauche et que le contrat de travail n’aurait été signé que postérieurement à la décision litigieuse.

Le demandeur de rétorquer que le ministre du Travail n’aurait pas pris position par rapport à sa demande en obtention d’un permis de travail et se serait confiné à marquer son accord avec la décision déférée du ministre de la Justice du 21 novembre 2001 concernant exclusivement la question de la délivrance d’une autorisation de séjour sans fournir une motivation ratione materiae afférente, mais en adoptant des motifs en dehors de sa sphère de compétence. Le demandeur soutient en outre que les deux ministres signataires de la décision déférée n’auraient pas tenu compte de la disposition de la deuxième partie de l’article 4, alinéa 3, 2) du règlement grand-ducal du 28 mars 1972 relatif aux formalités à remplir par les étrangers séjournant au pays, laquelle admettrait la simple possibilité d’acquérir des moyens de subsistance de manière légale. Il fait valoir qu’aucune disposition légale ou réglementaire n’empêcherait l’introduction d’une demande d’autorisation de séjour par un étranger ayant déposé par ailleurs une demande d’asile, alors qu’il s’agirait d’un « acte de bon père de famille » au vu du nombre infime de reconnaissances du statut de réfugié et de la situation concrète des demandeurs d’asile. Il déclare avoir voulu en réalité cocher la case « A » dans sa demande de régularisation et qu’il se serait « peut-être » trompé en présence des fonctionnaires du service commun. Alors qu’il estime satisfaire les conditions de la catégorie « A » quant à la durée de son séjour et à l’affiliation à la sécurité sociale, le demandeur, tout en admettant ne pas satisfaire le critère de l’existence d’un emploi stable depuis le 1er janvier 2000, critique cette condition en faisant valoir qu’elle ne pourrait lui être opposée, vu l'interdiction légale de s’adonner à une activité lucrative dont il aurait été frappé en sa qualité de demandeur d’asile, sous peine de récompenser ceux qui ont fait fi de cette interdiction et travaillé au mépris de la loi. Le demandeur argue finalement qu’il aurait clairement fait savoir dans sa démarche en obtention de la régularisation qu’il demandait à pouvoir travailler en versant un certificat de la société … attestant son intention de l’embaucher comme débosseleur et qu’il disposerait actuellement d’un contrat de travail en bonne et due forme qu’il pourrait honorer dès l’émission d’un permis de travail.

L’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : – qui est dépourvu de papiers de légitimation prescrits, et de visa si celui-ci est requis, – qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

Au vœu de l’article 2 précité, une autorisation de séjour peut dès lors être refusée notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (cf. trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 2002, v° Etrangers, 2. Autorisations de séjour – Expulsions, n° 121 et autres références y citées, p.149). Le ministre dispose d'un pouvoir d’appréciation dans chaque espèce pour déterminer si la condition de disposer de moyens personnels suffisants est remplie et si elle justifie l'octroi ou le refus de l'entrée et du séjour au Grand-Duché de Luxembourg, étant entendu que ses décisions sont susceptibles d’être soumises au juge administratif dans le cadre d’un recours en annulation (cf. Cour adm. 12 novembre 2002, n° 15102C, non encore publié).

En outre, la seule preuve de la perception de sommes, en principe suffisantes pour permettre à l'intéressé d'assurer ses frais de séjour au pays, est insuffisante; il faut encore que les revenus soient légalement perçus (cf. trib. adm. 15 avril 1998, n° 10376 du rôle, Pas. adm 2002, v° Etrangers, n° 125). Ne remplissent pas cette condition les revenus perçus par un étranger qui occupe un emploi alors qu'il n'est pas en possession d'un permis de travail et qu'il n'est dès lors pas autorisé à occuper un emploi au Grand-Duché de Luxembourg et toucher des revenus provenant de cet emploi (cf. trib. adm. 30 avril 1998, n° 10508 du rôle, Pas. adm 2002, v° Etrangers, n° 125 et autres références y citées).

En l’espèce, eu égard aux considérations ci-avant faites, la production par le demandeur de la promesse d’engagement établie le 13 juillet 2001 par la société … n’est pas de nature à établir l’existence de moyens personnels suffisants dans son chef, étant donné qu’il reste en défaut d’établir l’existence d’un permis de travail, légalement requis en application de l’article 26 de la loi précitée du 28 mars 1972 qui dispose qu’aucun étranger ne pourra être occupé sur le territoire du Grand-Duché sans permis de travail. En effet, le défaut de permis de travail fait obstacle à l’exécution légale et régulière du contrat de travail invoqué à l’appui de la demande en obtention d’une autorisation de séjour, de sorte que la rémunération escomptée à travers la relation de travail mise en expectative ne saurait être considérée, au jour de la prise de la décision déférée, comme ayant été légalement acquise par le demandeur.

A défaut par le demandeur d’avoir rapporté la preuve de l’existence de moyens personnels, le ministre de la Justice a dès lors valablement pu refuser l’autorisation de séjour sollicitée sur base de ce motif.

Concernant l’argumentation du demandeur basée sur l’article 4, alinéa 3, 2) du prédit règlement grand-ducal du 18 mars 1972 ayant trait à la possibilité d’obtenir de manière légale des moyens d’existence personnels au vu des perspectives d’embauche dont il disposerait, il convient de retenir que l’étranger qui, au moment de la prise de décision ministérielle n’est pas en possession d’un permis de travail ne justifie pas de la possibilité légale de toucher à l’avenir de pareils moyens d’existence personnels, la délivrance d’un permis de travail étant fonction notamment de considérations tirées des impératifs dérivant du marché de l’emploi du point de vue notamment de sa situation, de son évolution et de son organisation et ceci en vue de la protection sociale aussi bien des travailleurs désirant occuper un emploi au Luxembourg que des travailleurs déjà occupés au pays (cf. trib. adm.

14 octobre 1998, n° 10572 du rôle, Pas. adm. 2002, v° Travail, n° 20 et autres références y citées).

Au-delà de ces considérations tenant à l’application directe de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972, le demandeur entend tirer argument du fait qu’à travers la brochure intitulée « Régularisation du 15.3 au 13.7.2001 de certaines catégories d’étrangers séjournant sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg », éditée par le service commun des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille et de la Solidarité sociale et de la Jeunesse, le Gouvernement aurait fixé des critères particuliers en vue de l’octroi d’une autorisation de séjour, applicables en l’espèce.

Abstraction faite de toute question relative à la constitutionnalité et à la légalité des critères énoncés dans cette brochure, le tribunal est amené à constater d’abord qu’un service commun des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille, de la Solidarité sociale et de la Jeunesse a spécialement été établi en vue de la réception et du traitement de toutes les demandes soumises dans le cadre de cette procédure dite de régularisation de certaines catégories d’étrangers, lequel a regroupé des fonctionnaires et employés des trois ministères concernés.

Ensuite, sans préjudice de la question de savoir si le demandeur a entendu se prévaloir de la catégorie « A » ou de la catégorie « B » de ladite brochure, force est encore au tribunal de relever que ces deux catégories de la brochure visent les hypothèses dites de « régularisation par le travail » concernant des personnes ayant séjourné et travaillé au pays durant une certaine période de temps sans le couvert des autorisations légalement requises à cet égard. Il s’ensuit qu’une demande de régularisation d’un étranger prétendant rentrer dans l’une de ces deux catégories doit nécessairement être considérée comme tendant à l’obtention tant d’une autorisation de séjour que d’un permis de travail, ces deux autorisations étant cumulativement requises pour régulariser sa situation administrative.

Il y a partant lieu de conclure que la demande de Monsieur … déposée auprès dudit service commun et ayant tendu à se voir régulariser par application des critères de régularisation portés à la connaissance des personnes potentiellement concernées à travers une médiatisation afférente doit être considérée comme ayant tendu à la délivrance tant d’un permis de travail que d’une autorisation de séjour. Cette qualification de la demande de régularisation s’impose d’autant plus que le demandeur a joint à sa demande de régularisation une promesse d’engagement de la société … et qu’il demande dans un courrier d’accompagnement à sa demande expressément le droit de s’adonner légalement à cette occupation salariée.

En considération du fait que les autorités administratives respectivement compétentes pour connaître de cette double demande, en l’occurrence le ministre de la Justice en ce qui concerne le volet de l’autorisation de séjour et le ministre du Travail et de l’Emploi quant au volet du permis de travail, ont toutes les deux été représentées au sein du service commun mis en place notamment afin de faciliter les démarches administratives des personnes concernées tendant à la régularisation préconisée, il y a lieu d’admettre que lesdits ministres ont été valablement saisis de la double demande du demandeur et qu’il leur incombait, sur pied de l’article 3 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, d’appliquer d’office le droit applicable à l’affaire dont ils ont été saisis, de même que, par application du principe de collaboration qui doit s'instituer entre l'administration et un administré au sujet d'une demande de celui-ci, inscrit à l’article 1er alinéa 3 de la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse, ils étaient tenus d’analyser la demande de régularisation sous ses deux volets et d’inviter le cas échéant le demandeur à préciser ou à compléter sa demande en vue de leur permettre, chacun dans sa sphère de compétence, d'y statuer utilement.

Cette conclusion ne saurait être infirmée par l’absence d’une déclaration d’engagement conjointe du demandeur et de son employeur potentiel soumise en due forme en guise de demande de permis de travail invoquée par le délégué du Gouvernement pour soutenir que le ministre du Travail n’aurait pas été saisi d’une demande de permis de travail, étant donné que la démarche du demandeur qui s’est adressé à un service commun regroupant des représentants du ministère du Travail et de l’Emploi, a apporté suffisamment de précisions à sa demande pour en afficher l’objet, en l’occurrence sa régularisation à travers l’octroi tant d’un permis de travail que d’une autorisation de séjour.

Enfin, même si aucune disposition légale ne règle l'ordre chronologique dans lequel un étranger est obligé de se procurer une autorisation de séjour et un permis de travail pour se mettre en accord avec l'article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 qui soumet l'entrée et le séjour d'un étranger à la condition qu'il dispose de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, il est indispensable que l'étranger produise en premier lieu une demande en obtention d'un permis de travail et que seul l'octroi subséquent d'une autorisation de séjour met le postulant étranger en situation régulière au Grand-Duché (Cour adm. 13 janvier 1998, n° 10241C, Pas. adm. 2002, v° Etrangers, n° 41).

Par la mise en place d’un service commun regroupant les autorités appelées à intervenir en la matière et par la publicité accordée à la campagne de régularisation et plus particulièrement par la diffusion d’une brochure indiquant implicitement mais nécessairement pour les personnes y visées sous les catégories « A » et « B » la possibilité d’obtenir à la fois une autorisation de séjour et un permis de travail, le Gouvernement a clairement affiché son intention notamment de faciliter les démarches requises pour aboutir à une éventuelle régularisation et de légaliser globalement la situation administrative des personnes rentrant dans les catégories concernées en ce qui concerne leur séjour et l’acquisition de leurs moyens de subsistance.

Il s’ensuit qu’indépendamment de toute question pouvant se poser par ailleurs quant à l’application au fond et à la légalité des critères de régularisation, le demandeur pouvait légitimement s’attendre, au vu de la finalité de la campagne de régularisation, à voir traiter sa double demande de manière utile en ce que son volet relatif au permis de travail, conditionnant la reconnaissance l’existence de moyens de subsistance personnels légaux dans son chef, fasse d’abord l’objet d’une décision du ministre du Travail et de l’Emploi et que le ministre de la Justice en tienne compte dans le cadre de sa propre décision.

Par voie de conséquence, il aurait incombé en l’espèce au ministre de la Justice, conformément aux principes ci-avant dégagés, de surseoir à statuer sur la demande en délivrance d’une autorisation de séjour jusqu’à la prise, par le ministre du Travail et de l’Emploi, d’une décision relative à la demande parallèle en obtention d’un permis de travail.

Dans la mesure où il ressort des éléments complémentaires soumis au tribunal suite à la rupture du délibéré que le ministre du Travail et de l’Emploi n’a pas encore statué sur la demande pendante du demandeur en obtention d’un permis de travail, la décision ministérielle de refus attaquée du 21 novembre 2001 doit être qualifiée de prématurée, le ministre de la Justice n’ayant pas respecté les principes ci-avant énoncés en statuant avant que le ministre du Travail et de l’Emploi n’ait pris une décision quant à la demande en octroi d’un permis de travail.

Il résulte des développements qui précèdent que la décision ministérielle de refus attaquée du 21 novembre 2001 encourt l’annulation.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond, le déclare justifié, partant, annule la décision attaquée du ministre de la Justice du 21 novembre 2001 et renvoie l’affaire devant le dit ministre, condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 février 2003 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, M. SPIELMANN, juge en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT s. LENERT 8


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 14748
Date de la décision : 10/02/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-02-10;14748 ?

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