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03/02/2003 | LUXEMBOURG | N°15323

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 février 2003, 15323


Tribunal administratif N° 15323 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 septembre 2002 Audience publique du 3 février 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15323 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 septembre 2002 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxe

mbourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant...

Tribunal administratif N° 15323 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 septembre 2002 Audience publique du 3 février 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15323 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 septembre 2002 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 29 mai 2002, notifiée le 25 juin 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 31 juillet 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 novembre 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Frank WIES, en remplacement de Maître Olivier LANG, et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 janvier 2003.

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En date du 14 mars 2002, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu en outre en date du 11 avril 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 29 mai 2002, notifiée le 25 juin 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée aux motifs que l’événement par lui invoqué datant du 24 décembre 2001 ne serait étayé par aucune preuve et qu’il serait fort probable que cette agression, à la supposer établie, constituerait un délit de droit commun sans connotation politique. Le ministre a retenu en outre que le récit du demandeur exprimerait surtout un sentiment général d’insécurité non susceptible de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève et qu’il ne ressortirait par ailleurs pas du dossier qu’il lui aurait été impossible de s’installer au Monténégro ou en Serbie et de profiter d’une possibilité de fuite interne.

Par lettre du 25 juillet 2002, Monsieur … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 29 mai 2002.

Par décision du 31 juillet 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 4 septembre 2002, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions ministérielles prévisées des 29 mai et 31 juillet 2002.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées. Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il est né au Kosovo et d’origine albanaise et que les faits ayant motivé sa fuite de son pays d’origine se seraient situés dans la période de décembre 2001 à février 2002. Il se réfère plus particulièrement aux indications par lui fournies dans le cadre de son audition du 11 avril 2002 relatives à deux violentes agressions commises à son égard par des inconnus masqués parlant l’albanais. Il précise que les auteurs de ces agressions l’auraient frappé et menacé en lui reprochant d’être un traître et un espion à la solde de la KFOR, étant donné qu’ils l’auraient soupçonné d’avoir donné à la KFOR les noms de certains Albanais qui auraient détenu des armes et auraient combattu en Macédoine, de manière à l’avoir rendu responsable du fait que certains officiers auraient été relevés de leurs fonctions par l’UNMIK en raison de leurs agissements en matière de trafic d’armes, ainsi que de leurs participations à des actions de guérilla en Macédoine. Dans la mesure où il aurait été incapable de dire à ses agresseurs qui étaient les personnes qui auraient été dénoncées, lui-

même ayant été étranger à de tels faits, ils l’auraient frappé, notamment à la nuque avec une crosse de Kalachnikov, et l’auraient menacé de mort au cas où il ne quitterait pas le pays. Il estime qu’eu égard aux circonstances de ces agressions, leur motivation politique serait patente. Quant au motif de refus basé sur l’absence d’avoir établi une impossibilité de fuite interne en Serbie ou au Monténégro, le demandeur fait valoir qu’aucune disposition de la Convention de Genève ne conditionnerait l’octroi de l’asile politique à l’absence de l’alternative d’une fuite interne. Il se réfère en outre aux dispositions de l’article 4 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 pour soutenir qu’en cas de persécution limitée à une zone géographique déterminée, le ministre serait tenu de rejeter la demande d’asile lui présentée sur base de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée et que ledit motif ne pourrait dès lors être invoqué dans le cadre d’une décision de refus basée sur l’article 11 de la même loi. Quant à la situation générale dans son pays d’origine, il fait valoir que depuis la fin du conflit armé au Kosovo et le retrait de l’armée yougoslave de ce territoire, certains membres de la communauté albanaise se livreraient à des actes de vengeance et de persécution contre des prétendus traîtres à la cause albanaise en visant tant les ressortissants serbes que d’autres minorités vivant au Kosovo, de manière à constituer une menace permanente tant pour les biens que pour les vies des personnes concernées.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur … et que son recours laisserait d’être fondé.

D’après l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition en date du 11 avril 2002, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de prime abord de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ. En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

Il convient encore d’ajouter que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113, nos. 73-s).

En l’espèce, les craintes exprimées par le demandeur s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

En effet, le demandeur fait essentiellement état de craintes de voir répéter certaines agressions commises à son égard par des personnes de souche albanaise, mais il ne démontre point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo, étant entendu qu’il n’a pas fait état d’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités actuellement en place.

A cela s’ajoute que les craintes de persécution invoquées en l’espèce se cristallisent essentiellement autour de la situation du Kosovo, et que le demandeur reste en défaut d’établir qu’il ne peut trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de son pays d’origine, soit au Kosovo ou au Monténégro, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale.

La considération ci-avant ne saurait être énervée par le moyen du demandeur basé sur l’article 4 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 précité, étant donné que si un motif est reconnu par la loi comme justifiant le rejet d’une demande d’asile comme étant manifestement infondée, le même motif doit a fortiori pouvoir fonder une simple décision de rejet d’une même demande, étant donné que si les possibilités de déclarer une demande d’asile manifestement infondée sont certes limitées en raison du caractère accéléré de la procédure afférente prévue par la loi, elles ne sont pas pour autant réservées à ce seul cas de figure.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 3 février 2003 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15323
Date de la décision : 03/02/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-02-03;15323 ?

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