La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/01/2003 | LUXEMBOURG | N°15168

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 janvier 2003, 15168


Tribunal administratif N° 15168 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 juillet 2002 Audience publique du 29 janvier 2003

==============================

Recours formé par Monsieur et Madame …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

----------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15168 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 juillet 2002 par Maître Christian GAILLOT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxem

bourg, au nom de M. … …, né le … à Dragas (Kosovo/Yougoslavie), et de son épouse, Mme …, née le … à Dr...

Tribunal administratif N° 15168 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 juillet 2002 Audience publique du 29 janvier 2003

==============================

Recours formé par Monsieur et Madame …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

----------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15168 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 juillet 2002 par Maître Christian GAILLOT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … …, né le … à Dragas (Kosovo/Yougoslavie), et de son épouse, Mme …, née le … à Dragas, agissant tant en leur nom personnel, qu’en celui de leurs enfants mineurs …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 4 juin 2002, notifiée le 24 juin 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 octobre 2002;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Christian GAILLOT, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------

En date du 2 avril 2002, M. … … et son épouse, Mme …, agissant tant en leur nom personnel, qu’en celui de leurs enfants mineurs … introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux … furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les époux … et leur fille Sabina furent encore entendus séparément le 26 avril 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 4 juin 2002, notifiée le 24 juin 2002, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit:

« Monsieur, vous exposez que vous avez fait votre service militaire en 1985/1986 à Subotica/Serbie. Vous avez été convoqué à trois réserves, dont la dernière en date de la guerre du Kosovo, et vous les avez toutes faites. Ceci vous aurait valu des ennuis sur votre lieu de travail. Vous auriez été interrogé plusieurs fois au sujet de la dernière réserve et vous auriez finalement été licencié.

Vous dites que la vie serait difficile au Kosovo pour ceux qui ne parlent pas albanais et que la vie y serait peu sûre. Vous citez comme exemple la fête goranaise de la Saint-

Georges, qui a dû être annulée car on aurait placé des mines anti-personnels sur le lieu des réjouissances.

Vous expliquez aussi que votre fille aurait fait l’objet d’une tentative d’enlèvement sur le chemin de l’école et que vous auriez quitté le pays pour la mettre en sûreté. Vous ajoutez que les Goranais n’auraient aucun droit.

Vous exposez aussi que vous auriez pas été membre d’un parti politique.

Vous, Madame, vous confirmez les dires de votre époux. Vous dites craindre les Albanais du Kosovo et ceux d’Albanie.

Vous, Mademoiselle, vous exposez que votre père devait toujours vous conduire à l’école car le chemin n’était pas sûr. En mars 2001, à la sortie de l’école une camionnette vous aurait suivie et vous auriez pris peur. Vous pensez qu’il s’agissait d’une tentative d’enlèvement.

Je vous informe d’abord, que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je constate que rien ne permet de prouver que vous, Mademoiselle, auriez vraiment fait l’objet d’une tentative d’enlèvement. De plus, à supposer ce fait établi, rien ne prouve que cet incident ait eu comme cause votre appartenance à la minorité goranaise.

De toutes façons, les faits que vous alléguez, à les supposer établis, ne sont pas d’une gravité suffisante pour justifier une crainte de persécution pour l’un des motifs prévus par la Convention de Genève. Ils traduisent, en effet, davantage un sentiment général d’insécurité qu’une réelle crainte de persécution.

Enfin, en ce qui concerne le Kosovo, force est de constater qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée et qu’une administration civile, placée également sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place.

Après les élections du 18 novembre 2001, Ibrahim RUGOVA a formé un gouvernement de coalition, ce qui constitue une garantie pour les minorités ethniques.

En ce qui concerne la situation plus précise des Goranais, il ressort qu’actuellement [sic] ceux-ci ont, non seulement le droit de vote, mais encore accès à l’enseignement, aux soins de santé et aux avantages sociaux, ce qui fait qu’une discrimination à leur égard ne saurait plus être retenue pour fonder une persécution au sens de la Convention de Genève.

De plus, les Albanais ne sauraient constituer des agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, il ne ressort pas du dossier qu’il vous aurait été impossible de vous installer au Monténégro ou en Serbie pour profiter d’une possibilité de fuite interne.

Je dois donc constater qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-

dire une crainte justifiée de persécutions en raisons de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays. Vous ressentez tout au plus un sentiment général d’insécurité qui ne saurait non plus constituer une crainte de persécution au sens de la prédite Convention.

Par conséquent, vos demandes en obtention du statut de réfugié sont refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par requête déposée le 24 juillet 2002, les consorts … ont fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre de la Justice du 4 juin 2002.

Le recours est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours contentieux, les demandeurs font exposer qu’ils seraient originaires du Kosovo, de confession musulmane et qu’ils appartiendraient à la minorité « goranaise » du Kosovo, qu’ils auraient quitté leur pays d’origine pour échapper à des persécutions dirigées à l’encontre des « goranais », persécutions que les autorités actuellement investies du pouvoir au Kosovo ne seraient pas capables de prévenir. Ils ajoutent encore qu’en tant que membres de la communauté goranaise et du fait que M. … aurait servi dans l’armée serbe et qu’il aurait été amené à combattre les Albanais à l’occasion de la guerre qui sévissait au Kosovo, ils seraient particulièrement exposés à subir des persécutions et discriminations et que d’ailleurs, en raison de ces seuls circonstances M. … aurait été licencié et qu’il aurait même failli être « enlevé » par des hommes armés. Ils ajoutent encore qu’un jour, en sortant de l’école, Melle Sabina … aurait fait l’objet d’une tentative d’enlèvement.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que leur recours laisserait d’être fondé.

Il se dégage de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux … et de leur fille Sabina, lors de leurs auditions respectives du 26 avril 2002, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de prime abord de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité de la décision querellée à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs d’asile. - En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

Il convient d’ajouter que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113, nos. 73-s).

En ce qui concerne la situation des membres des minorités au Kosovo, notamment de celle des « Goranais », il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, notamment du groupe majoritaire des Albanais, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des traitements discriminatoires.

Il y a lieu d’ajouter dans ce contexte, qu’une situation de conflit interne violent ou généralisé ne peut, à elle seule, justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié, étant donné que la crainte de persécution, outre de devoir toujours être fondée sur l’un des motifs de l’article 1er A de la Convention de Genève, doit avoir un caractère personnalisé.

Or, en l’espèce les craintes exprimées par les demandeurs en raison de la prétendue hostilité des Albanais à leur égard en raison de leur appartenance à la minorité « goranaise » et de la situation générale tendue dans leur région d’origine, s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

En effet, les demandeurs font essentiellement état de leur crainte de voir commettre des actes de violence à leur encontre de la part de membres de la population albanaise, mais ils ne démontrent point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo, étant entendu qu’ils n’ont pas fait état de l’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités actuellement en place. – Dans ce contexte, pareille preuve ne se dégage nullement des prétendus licenciements et des deux tentatives d’enlèvement, les faits restant à l’état de simple allégation et, même à les supposer établis, ils ne sont pas d’une gravité telle qu’il s’en dégagerait que la vie leur soit devenue insupportable dans leur région d’origine.

A cela s’ajoute que les craintes de persécution invoquées en l’espèce se cristallisent essentiellement autour de la situation au Kosovo, et que les demandeurs restent en défaut d’établir qu’ils ne peuvent trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de leur pays d’origine, notamment au Monténégro, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, et lu à l’audience publique du 29 janvier 2003, par le président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15168
Date de la décision : 29/01/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-01-29;15168 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award