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29/01/2003 | LUXEMBOURG | N°15118

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 janvier 2003, 15118


Tribunal administratif N° 15118 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 juillet 2002 Audience publique du 29 janvier 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15118 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 juillet 2002 par Maître Jean MINDEN, avocat à la Cour, assisté de Maître Claude CLEMES, avocat, les deux inscrits au ta

bleau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Jaffa, de nationalité israélienn...

Tribunal administratif N° 15118 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 juillet 2002 Audience publique du 29 janvier 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15118 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 juillet 2002 par Maître Jean MINDEN, avocat à la Cour, assisté de Maître Claude CLEMES, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Jaffa, de nationalité israélienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 7 février 2002, notifiée le 22 février 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative prise sur recours gracieux par ledit ministre en date du 29 mai 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 octobre 2002 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 22 novembre 2002 en nom et pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Claude CLEMES, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 9 janvier 2001, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

M. … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut ensuite entendu les 7 juin 2001 et 6 février 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 7 février 2002, notifiée le 22 février 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que, un mois et dix jours avant d’arriver au Luxembourg, vous auriez été conduit par les autorités israéliennes à la frontière égyptienne. Vous auriez été accompagné par un compatriote du nom de MAZBAOUH Ali Hasen avec lequel vous ensuite auriez [sic] voyagé d’Egypte en Lybie, puis à Malte, en Sicile, en Italie, en France pour arriver finalement au Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 9 janvier 2001.

Vous exposez que vous auriez été pris dans une rafle organisée par la police israélienne, suite à une Intifada. Vous auriez été arrêté par hasard alors que vous rentriez de votre journée de travail à Jaffa. Ensuite, les policiers israéliens vous auraient confisqué votre carte d’identité et refoulé à la frontière la plus proche. Vous auriez donc ainsi été remis à la frontière égyptienne. Vous dites ne plus avoir le droit de retourner en Israël et risquer la prison si vous y rentriez. Vous ajoutez que, comme les Palestiniens n’obtiennent pas le droit d’asile dans les pays arabes, il vous serait impossible d’aller vous établir dans cette région.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Il me faut d’abord constater que vous n’avez fait état d’aucun acte de maltraitance par les policiers israéliens lors de votre arrestation.

Je remarque, ensuite, que s’il est vrai que les Palestiniens ne disposent pas d’un Etat reconnu qui leur soit propre, ceux qui vivent en Israël disposent de représentants à la Knesset et peuvent donc faire entendre leur voix.

Vous n’apportez, de plus, aucune preuve de votre impossibilité de revenir en Israël, ni de celle de vous établir dans un autre pays arabe.

Par ailleurs, le fait d’avoir été refoulé vers l’Egypte ne constitue pas un acte de persécution pour un des motifs prévus par la Convention de Genève.

En conclusion, je note que vos dires reflètent davantage un sentiment général d’insécurité qu’une véritable crainte de persécution pour l’une des raisons reprises dans l’article 1er A,2 de la Convention de Genève et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays, c’est-à-dire, une crainte justifiée de persécution en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 20 mars 2002, M. … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 7 février 2002.

Par décision du 29 mai 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée le 12 juillet 2002, M. … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 7 février et 29 mai 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il serait de nationalité israélienne, mais d’origine palestinienne, qu’il aurait vécu et travaillé dans la ville de Jaffa, et qu’à l’occasion d’une rafle de la police israélienne, au cours de laquelle il aurait été arrêté, alors qu’il se trouvait sur le chemin de retour de son travail, il aurait été expulsé par les autorités israéliennes vers l’Egypte. Il soutient qu’il serait dans l’impossibilité de retourner en Israël où il risquerait des persécutions, tout comme il ne saurait trouver refuge dans un autre pays arabe.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé. Il relève spécialement que le demandeur aurait indiqué une fausse identité au service de police judiciaire du ministère de la Justice, étant donné qu’il se serait révélé par la suite que son identité réelle serait A. A., né à Amman (Jordanie) le …, qu’il serait de nationalité jordanienne et qu’il aurait circulé en Italie sous une troisième identité, à savoir celle de A. A., né le … à Jaffa.

Dans sa réplique, le demandeur précise qu’il serait palestinien et « qu’en 1948 de nombreux Palestiniens se sont enfuis vers la Jordanie et notamment aussi les grands-parents de Monsieur …, que ces derniers étaient néanmoins restés propriétaires de leur immeuble à Jaffa en (Palestine) Israël, que par la suite, Monsieur …, Palestinien né à Amman (Jordanie) s’est à nouveau installé à Jaffa dans la maison familiale pour travailler en Israël (…) » et qu’il aurait effectivement été refoulé par les autorités israéliennes vers l’Egypte en raison de ses origines palestiniennes.

Il ajoute encore que « la protection de la Jordanie, pays de sa naissance, lui est très difficile à obtenir à partir du territoire israélien vu la situation précaire du pays et la politique israélienne cultivant la réticence à laisser passer et venir des jeunes hommes arabes » et « que c’est la raison pour laquelle [il essayerait] (…) d’obtenir cette protection par l’Ambassade du Royaume Hachémite de Jordanie à Bruxelles mais en attendant, [il demande] (…) la protection temporaire par le gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg ».

Enfin, il estime qu’on ne saurait lui reprocher d’avoir indiqué de fausses identités, au motif que ce reproche reposerait sur « un malentendu vu que la langue arabe ne se traduit, surtout pour les noms, que phonétiquement ».

Il se dégage de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions des 9 janvier et 7 juin 2001, ainsi que du 6 février 2002, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient en premier lieu de constater que, abstraction faite des considérations relatives aux problèmes de traduction du nom du demandeur, qu’il serait oiseux d’examiner, force est de constater que le demandeur a pour le moins fait de fausses déclarations quant à son lieu et sa date de naissance, déclarant tant être né à Amman en Jordanie, qu’à Jaffa en Israël et indiquant tantôt comme date de naissance le 1er janvier 1972 tantôt celle du 4 avril 1972, de sorte que la crédibilité du demandeur est sensiblement affectée de ce fait.

Pour le surplus, il se dégage d’un certificat émis - à la demande de l’intéressé - par l’ambassade du Royaume Hachémite de Jordanie du 21 juin 2002 que le demandeur est, sans préjudice quant à sa nationalité israëlienne, de nationalité jordanienne et qu’il convient de constater que le demandeur n’expose aucun motif de persécution au sens de la Convention de Genève expliquant pourquoi il ne pourrait pas retourner en Jordanie et bénéficier de la protection de ce pays.

Il échet encore de retenir que le demandeur fait essentiellement état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre, à savoir des représailles ou mauvais traitements de la part du gouvernement actuellement en place en Israël, mais il reste en défaut de démontrer concrètement que la vie lui soit devenue intolérable dans ce pays. En effet, il convient de retenir que mis à part le fait allégué relatif à l’arrestation du demandeur par la police israélienne lors d’une manifestation pro-palestinienne et qu’en raison de cette participation, il aurait été expulsé du territoire israélien, - à supposer ces faits établis - le demandeur ne fait état d’aucun acte concret de persécution intervenu à son égard en raison d’un des motifs prévus par la Convention de Genève, de sorte qu’il y a lieu de retenir que le seul fait d’avoir été expulsé, ne saurait être constitutif d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, et lu à l’audience publique du 29 janvier 2003, par le président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15118
Date de la décision : 29/01/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-01-29;15118 ?

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