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29/01/2003 | LUXEMBOURG | N°15085

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 janvier 2003, 15085


Tribunal administratif N° 15085 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 juillet 2002 Audience publique du 29 janvier 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15085 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 juillet 2002 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M.

…, né le … à Tutin (Serbie/Yougoslavie), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon...

Tribunal administratif N° 15085 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 juillet 2002 Audience publique du 29 janvier 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15085 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 juillet 2002 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Tutin (Serbie/Yougoslavie), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 8 mai 2002, notifiée le 3 juin 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 octobre 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en ses plaidoiries.

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En date du 4 avril 2002, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

M. … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu le même jour par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 8 mai 2002, notifiée le 3 juin 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté la Macédoine environ dix jours avant d’arriver au Luxembourg. Comme votre maison aurait été détruite, vous seriez allé à Skopje où vous auriez appris par un passeur que votre famille se trouverait au Luxembourg. Vous avez alors pris place dans un camion qui vous a emmené au Luxembourg. Vous dites ignorer quels pays vous avez traversés et ne pouvoir donner aucune précision quant au trajet suivi. Vous êtes arrivé au Luxembourg le 3 avril 2002.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 4 avril 2002.

Vous exposez que vous avez fait votre service militaire en 1988/1989 en Croatie. Vous auriez ensuite reçu un premier appel à la réserve auquel vous n’avez pas donné suite. Un second appel vous serait parvenu et le 10 mars 2001, des militaires seraient venus vous chercher. Vous auriez été affecté à la surveillance d’un poste de contrôle et vous seriez resté à la réserve jusqu’à votre départ. De retour chez vous, vous auriez constaté que votre maison aurait été brûlée et des voisins vous auraient dit que votre famille était partie. Dans un café de Skopje, vous auriez appris par hasard que des passeurs emmenaient des candidats réfugiés au Luxembourg et vous auriez pris contact avec l’un d’eux pour venir ici. Toujours par hasard, vous auriez retrouvé votre épouse et vos enfants ici.

Vous dites n’avoir plus de moyens d’existence dans votre pays et vous expliquez que vous avez peur, à la fois des Albanais et des Macédoniens car la haine entre les différentes ethnies se ferait toujours sentir en Macédoine.

Vous dites aussi que vous n’étiez pas membre d’aucun parti politique.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, après le dépôt des armes par l’UCK et l’intervention des émissaires occidentaux, un plan de paix a été élaboré, qui accorde des droits aux différentes communautés ethniques.

Le fait que votre maison a brûlé ne peut pas être considéré comme une persécution au sens de la Convention de Genève.

Quant aux autres faits invoqués, ils reflètent surtout un sentiment d’insécurité générale qui ne saurait, lui non plus, entrer dans le cadre de l’article 1er A,2 de la prédite Convention.

Eu égard à ces circonstances, je dois constater que vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est donc refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par requête déposée le 4 juillet 2002, M. … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision précitée du ministre de la Justice du 8 mai 2002.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. Le recours en réformation formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.- Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

La procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, le fait que l’avocat constitué pour un demandeur n’est ni présent, ni représenté à l’audience de plaidoiries, est indifférent. Comme le demandeur a pris position par écrit par le fait de déposer sa requête introductive d’instance, le jugement est réputé contradictoire entre parties.

A l’appui de son recours, le demandeur soulève en premier lieu un moyen d’annulation tiré de ce que ses droits de la défense n’auraient pas été respectés, au motif que la commission consultative pour les réfugiés n’aurait pas été appelée à s’exprimer et qu’un examen individuel n’aurait pas été réservé à sa demande.

Il convient en premier lieu de relever que depuis la suppression, en l’année 2000, du caractère obligatoire de la consultation de la commission consultative pour les étrangers, le ministre de la Justice a la faculté de consulter cette commission en vue d’obtenir son avis sur un dossier individuel, mais que la saisine de la commission n’est en aucun cas obligatoire.

Ainsi, le fait de ne pas avoir soumis le dossier du demandeur à ladite commission ne saurait entraîner l’annulation de la procédure d’élaboration ou de la décision ministérielle prise pour juger du bien fondé de sa demande d’asile (cf. trib. adm. 25 octobre 2001, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, n° 11).

Par ailleurs, force est de constater que le demandeur a été auditionné individuellement et en présence d’un traducteur par un agent du ministère de la Justice quant aux raisons justifiant sa demande d’asile et que le ministre de la Justice a répondu à sa demande dans une décision individuelle exhaustivement motivée, de sorte qu’on ne saurait lui reprocher de ne pas avoir respecté les droits de la défense du demandeur ou de ne pas avoir réservé un examen individuel à son dossier.

Sur ce, le demandeur expose avoir résidé en Macédoine, d’appartenir à la confession musulmane et, partant, d’appartenir à une communauté minoritaire en Macédoine, que sa maison aurait été incendiée par des militaires « pour des raisons de vengeance » et qu’il craindrait qu’en cas de retour en Macédoine, il risquerait d’être persécuté par la population non-musulmane de son pays d’origine en raison de sa religion musulmane.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de M. ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 4 avril 2002, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de rappeler qu’un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.

Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Or, en l’espèce, les craintes exprimées par le demandeur en raison de la prétendue hostilité des non-musulmans à son égard en raison de sa religion musulmane s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

En effet, dans son recours contentieux, le demandeur fait essentiellement état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre de la part de membres de la communauté non-musulmane de Macédoine, mais il ne démontre point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de Macédoine, étant entendu qu’il n’a pas fait état de l’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités actuellement en place.

Ceci dit, il convient encore de relever qu’il se dégage des éléments d’appréciation soumis au tribunal que le demandeur, qui déclare avoir résidé en Macédoine, avec son épouse et ses enfants, est né à Tutin en Serbie et qu’il a conservé la nationalité yougoslave et de constater qu’il n’expose aucun motif de persécution au sens de la Convention de Genève expliquant pourquoi il ne pourrait pas retourner et trouver refuge dans son pays d’origine.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, et lu à l’audience publique du 29 janvier 2003, par le président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15085
Date de la décision : 29/01/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-01-29;15085 ?

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