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29/01/2003 | LUXEMBOURG | N°14988

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 janvier 2003, 14988


Numéro 14988 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 juin 2002 Audience publique du 29 janvier 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 14988 du rôle, déposée le 5 juin 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au ta

bleau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalit...

Numéro 14988 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 juin 2002 Audience publique du 29 janvier 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 14988 du rôle, déposée le 5 juin 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 10 octobre 2001 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision implicite de rejet du même ministre se dégageant du silence observé par ce dernier face au recours gracieux introduit suivant courrier du 14 février 2002;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 août 2002;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Louis TINTI, en remplacement de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 18 novembre 2002.

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Le 26 avril 1999, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur … fut entendu en date du 29 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur … par décision du 10 octobre 2001, notifiée en date du 15 janvier 2002, de ce que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif qu’il n'alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans son chef.

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 14 février 2002 étant resté sans réaction de la part du ministre, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre des décisions ministérielles initiale du 10 octobre 2001 et implicite confirmative se dégageant du silence observé par ce dernier face au recours gracieux du 14 février 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation qui est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

Le demandeur reproche tout d’abord au ministre de ne pas avoir respecté un délai raisonnable au sens de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, alors que sa demande d’asile date du 26 avril 1999 et que le ministre aurait été en possession de tous les éléments requis pour instruire sa demande dans un délai raisonnable, de manière que les décisions entreprises devraient encourir l’annulation pour violation de la loi et excès de pouvoir.

Il convient en premier lieu de relever qu’il est établi par les pièces versées au dossier que préalablement à la décision ministérielle déférée, le demandeur a fait l’objet d’une audition détaillée et individuelle par un agent du service de police judiciaire, ainsi que par un agent du ministère de la Justice en présence d’un traducteur assermenté.

En ce qui concerne la durée qui s’est écoulée entre l’audition du demandeur et la prise des décisions entreprises, force est de constater que le demandeur reste en défaut d’indiquer en quoi ses droits de la défense auraient été lésés, étant donné que, d’une part, le ministre de la Justice est appelé à statuer sur base des déclarations du demandeur en tenant compte de la situation telle qu’elle se présente à l’heure où il statue, c’est-à-dire qu’il doit tenir compte des changements de situation qui sont intervenus depuis l’audition du demandeur d’asile et qui sont de nature à influencer le sort à réserver à la demande d’asile et que, d’autre part, le demandeur n’indique pas dans son recours en quoi sa situation particulière ou celle de son pays d’origine auraient évolué depuis son audition sans que pareil changement n’ait été pris en considération par le ministre dans le cadre de sa décision initiale du 10 octobre 2001.

Il s’ensuit que le reproche d’une violation des droits de la défense du demandeur ne saurait être utilement retenu en l’espèce, à défaut d’éléments concrets avancés à cet égard.

Quant au fond, le demandeur, originaire du Monténégro et de confession musulmane, reproche au ministre d’avoir fait une appréciation erronée des faits et d’avoir conclu à tort à l’absence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans son chef et il affirme qu’une appréciation plus juste des éléments en cause aurait dû le conduire à lui reconnaître le bénéfice du statut de réfugié. Il fait exposer que son départ de son pays d’origine aurait été motivé par sa désertion de l’armée fédérale yougoslave afin de ne pas faire la guerre contre des innocents au Kosovo et devenir ainsi l’outil répressif au service d’une politique d’épuration ethnique réprouvable et de ne plus subir de traitements discriminatoires au sein de l’armée du fait de son appartenance ethnique et religieuse. Il fait valoir que son acte de désertion devrait être considéré comme fondant une crainte justifiée de persécution, vu qu’il aurait été dicté par des raisons politiques ou de conscience valables et qu’il serait perçu par les autorités comme un acte d’opposition contre le pouvoir en place et partant comme l’expression d’une conviction politique. Le demandeur soutient que son insoumission risquerait d’être sévèrement sanctionnée par une condamnation pénale d’une sévérité disproportionnée et discriminatoire au vu de sa confession musulmane et que, même en l’absence de sanction disproportionnée, le fait que son attitude a été dictée par des raisons de conscience valables devrait conduire à le faire bénéficier du statut de réfugié. Le demandeur met en doute l’application effective de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et renvoie à la convocation du département militaire de Bérane l’invitant à se présenter le 6 février 2002 concernant « les questions militaire et son service militaire ». Le demandeur conclut dès lors que son retour dans son pays d’origine risquerait encore à l’heure actuelle d’entraîner son arrestation immédiate et son emprisonnement, de manière que la protection de la Convention de Genève devrait lui être accordée.

Le délégué du Gouvernement rétorque que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 5 avril 2001, n° 12801C du rôle, Pas. adm. 2002, v° Etrangers, n° 35).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 29 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte-rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces versées en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le moyen fondé sur l’insoumission du demandeur, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que l’insoumission n’est pas, en elle-

même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En outre, il n’est établi à suffisance de droit ni qu’actuellement le demandeur risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni qu’il subsiste encore à l’heure actuelle un risque de poursuites en raison de son insoumission, ni encore qu’une condamnation d’ores et déjà prononcée de ce chef serait encore effectivement exécutée. Concernant ce dernier point, il convient d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées, ceci compte tenu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du parlement de la République fédérale yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, dont également ceux qui ont quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires.

Concernant l’allégation relative à une non-application généralisée de ladite loi d’amnistie, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a au contraire exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et qu’il n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle, Pas. adm. 2002, v° Etrangers, n° 50).

Cette conclusion n’est pas énervée par le renvoi par le demandeur à une convocation lui adressée après le 7 octobre 2000, étant donné que ce fait devrait seulement être pris en compte si le demandeur établissait qu’il risquerait alors de devoir participer au sein de l’armée yougoslave à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risqueraient de lui être infligés.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

Il échet finalement de relever que, suivant courrier télécopié du 19 novembre 2002, le mandataire du demandeur a rectifié les déclarations de l’avocat l’ayant remplacé à l’audience, selon lesquelles il aurait déposé son mandat, en ce sens que ces déclarations seraient erronées et qu’étant toujours le mandataire du demandeur, il se rapporterait entièrement à sa requête introductive d’instance.

PAR CES MOTIFS, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 29 janvier 2003 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, M. SPIELMANN, juge en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT s. LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 14988
Date de la décision : 29/01/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-01-29;14988 ?

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