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22/01/2003 | LUXEMBOURG | N°15308

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 janvier 2003, 15308


Tribunal administratif N° 15308 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 août 2002 Audience publique du 22 janvier 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15308 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 août 2002 par Maître Jean-Paul SPANG, avocat à la Cour, assisté de Maître Isabelle LENTZ, av

ocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à...

Tribunal administratif N° 15308 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 août 2002 Audience publique du 22 janvier 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15308 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 août 2002 par Maître Jean-Paul SPANG, avocat à la Cour, assisté de Maître Isabelle LENTZ, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Zavidovici (Bosnie-Herzégovine), de nationalité bosniaque, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 29 mars 2002, notifiée le 25 juin 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 26 juillet 2002 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 novembre 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Isabelle LENTZ, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 27 juillet 2001, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu le 28 novembre 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 29 mars 2002, notifiée le 25 juin 2002, le ministre de la Justice informa le demandeur, de même que son épouse, que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous avez quitté la Bosnie le 26 juillet 2001 pour aller d’abord à Split où vous avez trouvé un passeur.

Vous avez pris place dans une camionnette blanche immatriculée en Croatie qui vous a emmené directement au Luxembourg. Vous ne pouvez donner aucune précision concernant votre voyage.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 27 juillet 2001.

Quant à vous, Madame, vous avez quitté Sarajevo le 6 janvier [2002] pour prendre place dans une camionnette qui vous a emmenée au Luxembourg. Vous ne pouvez, vous non plus, donner de précision quant à votre voyage.

Monsieur, vous exposez que vous avez fait votre service militaire en 1988/1989 à Podgorica dans l’ancienne armée yougoslave.

Vous vous seriez engagé comme militaire de carrière dans l’armée bosniaque en 1992. Vous y auriez obtenu le grade d’officier en avril 1996. Vous ajoutez que vous auriez dû, comme officier de carrière, remplir un questionnaire dans lequel on vous aurait demandé pour quel parti vous auriez voté. Ayant adhéré au parti PSD fin 1998 ou début 1999, vous auriez répondu avoir voté pour ce parti. Suite à votre réponse, vous auriez été exclu de l’armée. Vous auriez exercé un recours contre cette décision et vous auriez obtenu partiellement gain de cause : vous auriez, en effet, été réadmis à l’armée, mais avec un grade inférieur. Cette dégradation aurait eu des conséquences sur [votre] solde puisque vous auriez gagné moins. Vos supérieurs ne vous auraient plus confié que de petits travaux et auraient tout fait pour vous dégoûter de l’armée. Vous dites aussi que vos supérieurs hiérarchiques auraient voulu vous embrigader dans l’unité des Moudjahidins, ce que vous auriez refusé.

Vous expliquez qu’actuellement, ayant quitté votre poste à l’armée avant l’expiration de votre contrat en 2003, vous seriez considéré comme déserteur et que risqueriez la prison.

Vous auriez, de toutes façons, beaucoup de difficultés à trouver un travail, la conjoncture économique de votre pays étant mauvaise.

Vous, Madame, vous confirmez les dires de votre mari. Vous dites aussi que vous avez quitté votre pays essentiellement à cause du manque d’argent et parce que votre mari avait un très long trajet à faire tous les jours pour aller de votre domicile à la caserne de Sarajevo. Vous ajoutez qu’après le départ de votre mari, des militaires seraient passé deux fois à votre domicile et qu’à cette occasion, ils auraient un peu crié sur vous.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Il convient d’abord de remarquer, en ce qui concerne la situation en Bosnie-

Herzégovine, que ce pays est toujours sous le contrôle des forces de stabilisation de l’ONU.

En ce qui concerne votre crainte de peines du chef de désertion, Monsieur, elle ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève. De même, la désertion ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

Pour le surplus, vos allégations sont davantages basées sur des difficultés économiques que sur une vraie crainte de persécutions au sens de la prédite Convention.

Ainsi, la preuve que votre dégradation au sein de l’armée serait basée sur un motif de persécution au sens de la Convention de Genève n’est pas rapportée. De même, la crainte que votre contrat ne serait pas renouvelé n’est que pure supposition.

Vous restez donc en défaut d’invoquer une crainte de persécutions en raison de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Par lettre du 19 juillet 2002, Monsieur … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 29 mars 2002.

Par décision du 26 juillet 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 30 août 2002, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation des décisions précitées du ministre de la Justice des 29 mars et 26 juillet 2002.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées. Le recours en réformation formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’il aurait été militaire de carrière dans l’armée bosniaque à partir de 1992 et qu’il aurait obtenu le grade d’officier en avril 1996. En raison de son adhésion au parti politique PSD fin 1998 sinon début 1999, il aurait été exclu de l’armée et suite à un recours contre cette décision d’exclusion réadmis, mais seulement avec le grade de sous-officier. Etant donné que cette dégradation aurait eu une incidence sur son salaire, il aurait décidé de quitter son poste avant l’expiration de son contrat en 2003, de sorte qu’à l’heure actuelle il serait considéré comme déserteur risquant en cas de retour dans son pays d’origine, d’être emprisonné. En substance, il reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits préralatés en rapport avec sa désertion, et son adhésion au parti politique PSD, qui établiraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur … et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition en date du 28 novembre 2001, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le motif de persécution tiré de la désertion de Monsieur …, il convient de rappeler que la désertion n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève. Cette conclusion s’impose à plus forte raison en l’espèce, étant donné que le demandeur est à considérer comme militaire de carrière, même s’il prétend être victime d’une dégradation injustifiée, à la supposer établie.

Concernant le motif de persécution du demandeur ayant trait à sa qualité d’adhérant du parti politique PSD, il y a lieu de retenir que si les activités dans un parti d’opposition peuvent justifier le cas échéant des craintes de persécution au sens de la Convention de Genève, la simple qualité de membre d’un tel parti ne constitue pas, à elle seule, un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié (trib. adm. 13 décembre 2000, n° 12245 du rôle, confirmé par Cour adm. 27 mars 2001, n° 12762C, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, n° 56). Pour le surplus, il y a lieu de relever à cet égard que Monsieur … n’a d’ailleurs pas déclaré avoir eu des problèmes particuliers en raison de l’adhésion à ce parti politique, à l’exception des incidences sur son avenir professionnel au sein de l’armée bosniaque, qui à les supposer établies, ne sont pas suffisantes pour établir que la vie lui est devenue insupportable en Bosnie-Herzégovine.

Il y a lieu partant de retenir que les considérations avancées par le demandeur se rapportent en substance à l’existence d’un climat général d’insécurité, situation qui n’établit pas un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie serait actuellement, à raison, intolérable dans son pays d’origine. A cela s’ajoute que le demandeur a précisé avoir quitté son pays surtout en raison des difficultés économiques suite à sa prétendue dégradation au sein de l’armée bosniaque respectivement en raison du fait que son contrat de militaire ne serait apparemment pas renouvelé en 2003. Or, des considérations d’ordre matériel et économique ne sont pas de nature à justifier une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève et ne constituent partant pas à elles seules un motif d’obtention du statut de réfugié.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 22 janvier 2003, par le président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15308
Date de la décision : 22/01/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-01-22;15308 ?

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