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22/01/2003 | LUXEMBOURG | N°15293

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 janvier 2003, 15293


Tribunal administratif N° 15293 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 août 2002 Audience publique du 22 janvier 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15293 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 août 2002 par Maître Sarah TURK, avocat à la Cour, inscrit au tablea

u de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Studenicani/Skopje (Macédoine)...

Tribunal administratif N° 15293 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 août 2002 Audience publique du 22 janvier 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15293 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 août 2002 par Maître Sarah TURK, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Studenicani/Skopje (Macédoine), de nationalité macédonienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 24 mai 2002, notifiée le 18 juin 2002, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 23 juillet 2002, les deux portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondé ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 novembre 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Monsieur Frank WIES, en remplacement de Maître Sarah TURK, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 7 janvier 2002, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grande-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.Il fut en outre entendu en date du 30 janvier 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 24 mai 2002, notifiée le 18 juin 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 7 janvier 2002 que vous auriez quitté la Macédoine le 1er janvier 2002 pour vous rendre à Tirana en Albanie. En Albanie vous auriez pris un bateau en direction de l’Italie où un passeur vous aurait attendu pour vous emmener à Milan. A Milan vous auriez pris un train à destination de Thionville.

Votre beau-frère serait venu vous chercher à Thionville pour vous emmener au Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 7 janvier 2002.

Monsieur, il résulte de vos déclarations qu’en 2001 vous auriez reçu une convocation pour faire votre service militaire. Vous apportez comme preuve une convocation de juin 1998 vous invitant à vous présenter aux autorités macédoniennes compétentes pour vous inscrire au service militaire. Vous auriez refusé de vous présenter parce que vous n’auriez pas voulu aller au front et parce que vous auriez peur d’aller à la guerre. Vous précisez ne pas avoir eu de problèmes à cause de votre non présentation mais d’avoir dû vous cacher.

Vous ajoutez être simple membre adhérant du parti démocratique albanais mais ne pas avoir eu de problèmes à cause de votre adhésion.

Enfin, vous admettez ne pas avoir subi de persécutions.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Monsieur, l’insoumission, même à la supposer établie dans votre cas, car vous ne fournissez aucune preuve de votre convocation à la réserve en 2001, est insuffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution au sens de l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève de 1951. De même, la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte de persécution au sens de la prédite Convention. En outre, il n’est pas établi que l’appartenance à la réserve de l’armée macédonienne imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

Il est d’ailleurs à constater qu’une situation de paix règne en Macédoine. Un accord est intervenu en Macédoine entre les forces macédoniennes et l’UCK albanaise. Les troupes de l’ONU ont pacifié la région et les Albanais ont déposé les armes. Les autorités macédoniennes ont élaboré une loi d’amnistie et une réforme étatique pour mettre les différentes communautés ethniques sur un pied d’égalité.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 18 juillet 2002, Monsieur … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 24 mai 2002.

Par décision du 23 juillet 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 23 août 2002, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions ministérielles précitées des 24 mai et 23 juillet 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, qui est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il est originaire de la Ville de Studenicani/Skopje en Macédoine, d’origine albanaise et de confession musulmane. Il expose plus particulièrement avoir été appelé à la réserve au courant du mois de juin 2001, mais qu’il aurait refusé de s’y présenter de peur de devoir participer à la guerre, de sorte qu’il risquerait à l’heure actuelle une peine d’emprisonnement du chef de son insoumission.

Le demandeur fait encore ajouter être adhérant du parti démocratique albanais depuis 1999 et que depuis la guerre au Kosovo et l’intervention de l’OTAN « l’intolérance interethnique a été réouverte et les communautés se sont franchement tournées le dos » .

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours sous analyse laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient en effet au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 30 janvier 2002, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant d’abord le moyen basé sur l’insoumission de Monsieur …, le tribunal constate que les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait qu’il n’est pas établi qu’actuellement il risque encore de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables et qu’il n’est pas non plus établi à suffisance qu’une condamnation serait encore susceptible d’être prononcée à son encontre du chef de sa désertion, voire qu’un jugement déjà prononcé serait encore effectivement exécuté, ceci au vu de l’évolution de la situation actuelle en Macédoine et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par le Parlement macédonien le 7 mars 2002 et visant les déserteurs et insoumis de l’armée macédonienne pendant la crise que le pays a connu au cours de l’année 2001.

Concernant ensuite les craintes de persécution en raison de la qualité de membre de Monsieur … du parti démocratique albanais, il échet de relever que s’il est vrai que les activités dans un parti d’opposition peuvent justifier des craintes de persécution, tel n’est pas le cas en l’espèce, étant donné que Monsieur … indique simplement avoir été membre adhérant dudit parti politique, sans affirmer avoir exercé des activités politiques plus poussées. Dans ce contexte, il convient encore de relever que Monsieur … a lui même déclaré ne pas avoir eu des problèmes à cause de cette adhésion.

Concernant finalement les autres craintes de persécution du demandeur eu égard à son appartenance à la communauté musulmane, Monsieur … ne démontre point que les autorités administratives en place et chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de la Macédoine, étant entendu qu’il n’a pas fait état du moindre fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités actuellement en place. – Dans ce contexte, il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ et de mettre en lumière qu’il est indéniable que la situation politique en Macédoine s’est considérablement modifiée (cessez-

le-feu, pacification de l’UCK, accord d’Ohrid, loi d’amnistie) et que le demandeur n’a pas fait état d’une raison suffisante justifiant à l’heure actuelle qu’il ne puisse pas utilement se réclamer de la protection des autorités en place.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 22 janvier 2003, par le président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15293
Date de la décision : 22/01/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-01-22;15293 ?

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