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22/01/2003 | LUXEMBOURG | N°15205

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 janvier 2003, 15205


Tribunal administratif N° 15205 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 août 2002 Audience publique du 22 janvier 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15205 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 août 2002 par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de

M. …, né le … à Novi Pazar (Serbie/Yougoslavie), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation ...

Tribunal administratif N° 15205 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 août 2002 Audience publique du 22 janvier 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15205 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 août 2002 par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Novi Pazar (Serbie/Yougoslavie), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 23 mai 2002, notifiée le 5 juin 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative prise sur recours gracieux par ledit ministre en date du 10 juillet 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 novembre 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Frank WIES, en remplacement de Maître Pascale PETOUD, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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Le 4 avril 2002, M. … se présenta au ministère de la Justice pour faire une déclaration d’arrivée au Luxembourg. A cette occasion, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 11 avril 2002, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut ensuite entendu le 22 avril 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 23 mai 2002, notifiée le 5 juin 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté votre pays d’origine parce que vous auriez des problèmes avec la police serbe. En effet, vous déclarez être membre du parti politique SDA sans pour autant avoir de fonction particulière au sein de ce parti. Vous ajoutez que vous auriez travaillé volontairement, sans contrepartie pécuniaire pour le SDA. Ce travail aurait consisté dans du trafic d’armes que vous auriez pratiqué pour le parti de 1998 à 2002. Vous indiquez pourtant que vous auriez été obligé de faire ceci. Dans le cadre de vos activités, vous auriez été arrêté et interrogé plusieurs fois par la police serbe, la première fois en 1998 et la dernière fois en mars 2002. Vous précisez que lors de ces interrogations vous auriez subi de mauvais traitements par la police. Elle serait également venue plusieurs fois à votre domicile.

Vous auriez maintenant peur de la police serbe.

Vous ajoutez avoir également peur parce que vous seriez de confession musulmane.

Monsieur, la simple qualité de membre à un parti politique ne saurait suffire pour bénéficier de la reconnaissance du statut de réfugié dès lors que vous n’exerciez aucune activité politique particulièrement exposée. En effet, vous précisez vous même ne pas avoir eu un rôle politique prépondérant au sein du SDA. A cela s’ajoute, que vous ne connaissez même pas les noms des leaders principaux du SDA, ses revendications et le fait que ce parti politique existe également au Monténégro et en Bosnie-Herzégovine. Il est peu crédible que vous auriez volontairement adhéré à un parti dont vous semblez tout ignorer.

Les motifs que vous relevez à l’appui de votre demande en obtention du statut de réfugié, à les supposer établis, à savoir les problèmes avec la police et les maltraitances de celle-ci, constituent des pratiques certes condamnables, mais ne sont pas d’une gravité telle qu’ils justifient une crainte de persécutions au sens de la Convention de Genève. Le fait que vous auriez été interrogé par la police en ce qui concerne votre trafic d’armes, activité prohibée dans toute la Yougoslavie, est tout à fait légal et légitime. Vous avez agi en parfaite connaissance de cause et vous devriez connaître les risques que vous couriez. Un tel motif ne saurait fonder une demande en obtention du statut de réfugié. A cela s’ajoute, qu’il est également peu crédible qu’on vous aurait forcé à faire du trafic d’armes et que vous vous seriez laissé faire et ceci pendant une période de 4 ans.

Concernant la situation particulière des ressortissants de confession musulmane en Serbie, je souligne que la reconnaissance du statut de réfugié politique n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile, qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Or, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er , A., §2 de la Convention de Genève.

Ainsi, votre peur liée au fait que vous seriez de confession musulmane, n’est pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution selon la Convention de Genève, mais traduit plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. A ce sujet, il faut noter que dans votre région d’origine, à savoir le Sandjak, la confession musulmane est largement majoritaire et qu’une persécution systématique liée à la religion est à exclure.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie a changé au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie a retrouvé sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par sa réadmission à l’ONU et à l’OSCE. De plus, l’ancien Président Milosevic a été extradé et traduit devant le Tribunal Pénal International de La Haye, ce qui montre l’esprit de collaboration dont la Yougoslavie fait preuve actuellement. A cela s’ajoute que le 15 mars 2002 un accord serbo-monténégrin a été signé par les présidents Kostunica et Djukanovic, prévoyant l’adoption d’une nouvelle Constitution et l’organisation d’élections permettant de donner plus d’indépendance au Monténégro. La République fédérale de Yougoslavie cessera d’exister pour être remplacée par un Etat de Serbie et de Monténégro.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 3 juillet 2002, M. … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 23 mai 2002.

Par décision du 10 juillet 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée le 5 août 2002, M. … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 23 mai et 10 juillet 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire de Serbie et, plus particulièrement, de la ville de Novi Pazar, qu’il appartiendrait à la minorité musulmane et qu’il aurait quitté son pays d’origine, en raison de persécutions qu’il aurait subies du fait de ses opinions politiques et de son engagement pour le parti « SDA », que son engagement aurait consisté en sa participation à un trafic d’armes auquel les proches de ce parti se seraient livrés pour renforcer la résistance musulmane anti-serbe et qu’à cause de ce trafic, il aurait été arrêté à plusieurs reprises par la police serbe, qui l’aurait interrogé voire battu. Dans ce contexte, il relève plus particulièrement, que le 20 mars 2002, la police se serait présentée à trois heures du matin à son domicile et l’aurait emmené au poste de police, où il aurait été retenu pendant 24 heures, interrogé et battu à plusieurs reprises et même attaché à un radiateur.

En droit, le demandeur conclut à la réformation des décisions ministérielles pour erreur d’appréciation des faits.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Selon l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de M. ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 22 avril 2002, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, abstraction faite de ce que les déclarations faites par le demandeur sont très succinctes en ce qui concerne les circonstances particulières relatives à son activisme et les persécutions dont il prétend avoir été victime ou qu’il risque de subir, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que la simple appartenance à un mouvement ou parti politique d’opposition de la part de M. …, sans qu’il n’ait exercé une fonction particulière au sein dudit parti et sans qu’il n’ait établi voire fait état de persécutions concrètes en raison de cette appartenance, ne saurait constituer l’expression d’une persécution vécue ou d’une crainte de persécution et, d’autre part, les arrestations sans mandat et des interrogatoires, en raison de sa participation à un trafic d’armes, lors desquels il aurait été insulté et maltraité par la police, à les supposer vrais, constituent certes des actes et pratiques condamnables, mais n’établissent pas que la vie du demandeur lui soit devenue insupportable dans son pays d’origine, cette conclusion s’imposant d’autant plus au regard de l’évolution favorable de la situation actuelle en Yougoslavie et, plus particulièrement, de celle des minorités ethniques, notamment de celle des musulmans.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 22 janvier 2003, par le président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15205
Date de la décision : 22/01/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-01-22;15205 ?

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