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22/01/2003 | LUXEMBOURG | N°15146

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 janvier 2003, 15146


Tribunal administratif N° 15146 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 juillet 2002 Audience publique du 22 janvier 2003

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Recours formé par Monsieur et Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15146 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 juillet 2002 par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxemb

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Herzégovine), et de son épouse, Mme … …, née le … à ...

Tribunal administratif N° 15146 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 juillet 2002 Audience publique du 22 janvier 2003

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Recours formé par Monsieur et Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15146 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 juillet 2002 par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … …, né le … à Brcko (Bosnie-

Herzégovine), et de son épouse, Mme … …, née le … à Zenica (Bosnie-Herzégovine), de nationalité bosniaque, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 29 mars 2002, notifiée le 16 mai 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par ledit ministre le 18 juin 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 novembre 2002;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Frank WIES, en remplacement de Maître Pascale PETOUD, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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Le 12 novembre 2001, les époux … … et … … introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux … furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent encore entendus séparément le 5 février 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 29 mars 2002, notifiée le 16 mai 2002, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté la Bosnie le 10 novembre 2001 pour prendre place dans une camionnette qui vous a emmenés au Luxembourg. Vous ne pouvez donner aucune précision quant à votre voyage.

Vous avez déposé vos demandes en obtention du statut de réfugié le 12 novembre 2001.

Monsieur, vous exposez que vous avez fait votre service militaire en 1999/2000 à Sarajevo. Vous auriez été inscrit sur la liste des réservistes directement à la fin de votre service militaire, mais vous n’auriez été jamais appelé.

Vous auriez été membre du SDP, mais sans y être actif. Vous auriez eu des ennuis à cause de votre adhésion à ce parti. Vous vous seriez disputé avec des musulmans intégristes qui se réjouissaient des attentats du 11 septembre 2001 aux USA. Ils vous auraient traité d’athée et ils vous auraient battu.

Votre épouse aurait aussi été menacée.

De plus, vous auriez habité à Zavidovici dans une maison abandonnée.

Malheureusement pour vous, le propriétaire aurait réapparu et vous aurait mis à la porte.

Vous ajoutez que vous auriez eu peur de retourner dans la ville de Brcko dont vous êtes originaire car votre père aurait été officier dans l’armée yougoslave.

Vous ajoutez que les Moudjahiddins feraient la loi et qu’ils seraient craints de tous.

Vous Madame, vous confirmez les allégations de votre mari. Vous dites avoir fait l’objet de remarques désobligeantes des Moudjahiddins parce que vous ne portiez pas le tchador musulman.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié politique n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je constate que vos assertions font davantage état d’un sentiment général d’insécurité que d’une réelle crainte de persécution pouvant entrer dans le cadre de la Convention de Genève. En effet, la situation en Bosnie-Herzégovine est sous le contrôle des forces de stabilisation de l’ONU qui veillent au respect mutuel des différentes communautés ethniques.

De plus, la ville de Brcko où vous auriez pu vous établir est une de celle où les forces de l’ONU sont le plus présentes, de sortes que toutes les ethniques y vivent en harmonie.

Enfin, les moudjahiddin ne sauraient constituer des agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je constate donc que les faits que vous invoquez, à les supposer établis, ne peuvent entrer dans le cadre de l’article 1er A.2 de la prédite Convention. En effet, vous restez en défaut d’invoquer une crainte de persécutions en raison de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, vos demandes en obtention du statut de réfugié sont refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 13 juin 2002, les époux … introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 29 mars 2002.

Par décision du 18 juin 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée le 18 juillet 2002, les époux … ont fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 29 mars et 18 juin 2002.

Le recours est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours contentieux, les demandeurs font exposer qu’ils seraient originaires de Bosnie-Herzégovine, qu’ils auraient quitté la ville de Zavidovici, où ils auraient résidé, en raison d’un « climat propice au développement des idées nationalistes dans chacune des communautés la composant permettant ainsi à des réseaux islamistes de s’implanter durablement dans le pays avec l’aide de certains dirigeants musulmans » et, plus particulièrement, en raison du fait qu’ils feraient parti de la communauté bosniaque qui ne cautionnerait pas ce fondamentalisme religieux et qui, de ce fait, serait exposée à de fortes pressions. Ils ajoutent encore que, suite à l’attentat terroriste perpétré aux Etats-Unis d’Amérique le 11 septembre 2001, M. … aurait été « pris à partie par des extrémistes pour le seul motif qu’il n’approuvait pas ces attentas et a été battu ce qui a occasionné dans son chef des blessures au poignet et à la tête » et que, concernant Mme …, elle aurait peur des représailles des extrémistes du fait qu’elle refuserait de porter le tchador. Enfin, ils estiment ne pas pouvoir obtenir une protection efficace des autorités au pouvoir dans leur pays d’origine.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que leur recours laisserait d’être fondé.

Il ressort de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux …, lors de leurs auditions respectives du 5 février 2002, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leur convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que même abstraction faite de ce que les allégations des demandeurs relativement à leur crainte en raison de leur appartenance à la communauté musulmane modérée et des risques de représailles émanant d’extrémistes musulmans se révèlent en substance vagues et non autrement circonstanciées et qu’elles ne sont pas confortées par un quelconque élément de preuve tangible, lesdites allégations - même à les supposer vraies - sont insuffisantes pour établir un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les autorités qui sont au pouvoir en Bosnie-

Herzégovine ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de la Bosnie-Herzégovine ou tolèrent voire encouragent des agressions émanant des milieux fondamentalistes. Dans ce contexte, le tribunal doit encore relever spécialement qu’aucun fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités actuellement en place dans le pays d’origine des demandeurs ne se dégage des éléments d’appréciation produits en cause, les demandeurs n’alléguant même pas s’être adressés aux autorités chargées du maintien de l’ordre et de la sécurité publique, notamment en raison de l’altercation que M. … soutient avoir eue avec certains fondamentalistes musulmans.

Au contraire, le récit des demandeurs traduit essentiellement un sentiment général d’insécurité, sans qu’ils n’aient fait état d’une persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur ville d’origine.

Pour le surplus, force est de constater que les risques allégués par les demandeurs se limitent essentiellement à la ville de Zavidovici et les demandeurs restent en défaut d’établir qu’ils ne peuvent trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de la Bosnie-

Herzégovine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité des demandeurs d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib.

adm 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, n° 40 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 22 janvier 2003, par le président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15146
Date de la décision : 22/01/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-01-22;15146 ?

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