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20/01/2003 | LUXEMBOURG | N°14945

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 janvier 2003, 14945


Numéro 14945 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 mai 2002 Audience publique du 20 janvier 2003 Recours formé par les époux … et … …-…, Ettelbruck contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 14945 du rôle, déposée le 22 mai 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat Ã

  la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, n...

Numéro 14945 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 mai 2002 Audience publique du 20 janvier 2003 Recours formé par les époux … et … …-…, Ettelbruck contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 14945 du rôle, déposée le 22 mai 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le …, et de son épouse, Madame … …, née le…, agissant tant en leur nom propre qu’en nom et pour compte de leur enfant mineur …, né le …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 3 décembre 2001, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 12 avril 2002, les deux portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 juillet 2002;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 novembre 2002.

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Le 29 septembre 1999 respectivement le 22 novembre suivant, Monsieur … … et son épouse, Madame … …, préqualifiés, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En dates des mêmes jours, ils furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Les époux …-… furent entendus séparément en dates du 29 octobre 1999 respectivement du 25 novembre suivant par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa les époux …-… par décision du 3 décembre 2001, notifiée le 16 janvier 2002, de ce que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans leur chef.

Le recours gracieux introduit par les époux …-… suivant courrier de leur mandataire du 18 février 2002 s’étant soldé par une décision confirmative du même ministre du 12 avril 2002, ils ont fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre des deux décisions ministérielles des 3 décembre 2001 et 12 avril 2002 par requête déposée le 22 mai 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

Les demandeurs concluent à l’annulation des décisions déférées pour violation de leurs droits de la défense, ainsi que pour violation de l’article 5 de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée, en faisant valoir qu’ils n’auraient pas été informés par l’autorité administrative de leur droit à l’assistance d’un avocat à titre gratuit, ceci ni au jour de l’introduction de leur demande d’asile auprès du ministère de la Justice, ni au moment de l’établissement du rapport du service de police judiciaire, ni encore au début de leurs auditions respectives par un agent du ministère de la Justice en dates des 29 octobre et 25 novembre 1999.

Force est de constater à cet égard qu’il ressort d’une jurisprudence constante des juridictions administratives que l’information du demandeur d’asile, dès l’introduction de sa demande d’asile, de son droit de se faire assister par un avocat ne doit pas nécessairement être donnée lors du dépôt de la demande d’asile. En effet, la loi ne contient pas de précision quant au stade de la procédure d’instruction de la demande d’asile auquel cette information doit être donnée au demandeur d’asile. Comme la finalité de l’assistance d’un avocat et d’un interprète est de mettre les demandeurs d’asile en mesure d’assurer leurs droits de la défense, il est toutefois impératif que cette information lui soit donnée au plus tard lors de la première mesure d’instruction (cf. trib. adm. 13 mars 2000, n° 11832 du rôle, confirmé par Cour adm.

30 mai 2000, n° 11934C du rôle, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, n° 18).

Les demandeurs relèvent ensuite une insuffisance de l’instruction suivie en ce que le ministre aurait confirmé purement et simplement sa décision initiale du 3 décembre 2001 sans prendre en considération les éléments nouveaux par eux soumis dans le cadre de leur recours gracieux, à savoir le fait que l’immeuble abritant l’habitation des parents de Monsieur … et le commerce par lui exploité a été fortement endommagé par une explosion provoquée par des éléments de la population serbe.

Force est cependant de constater que le mandataire des demandeurs déclare dans le recours gracieux du 18 février 2002 « que postérieurement à leur audition mes mandants ont remis des documents supplémentaires à l’autorité compétente responsable du traitement de leur demande d’asile en invoquant des faits nouveaux, dont je dois malheureusement constater que les susdits documents n’ont pas été pris en considération dans votre décision ministérielle … ». Il s’ensuit que ces éléments, déjà soumis au ministre avant la prise de la décision initiale du 3 décembre 2001, ont nécessairement dû être pris en considération par le ministre dans le cadre de la prise de ladite décision et être rejetés, même de manière implicite sans être expressément mentionnés en tant que tels, comme ne justifiant pas la reconnaissance du statut de réfugié, de sorte que le ministre n’était plus légalement tenu d’y prendre à nouveau position à travers sa décision confirmative du 12 avril 2002. Ce moyen des demandeurs est dès lors à écarter.

Quant au fond, les demandeurs reprochent au ministre une appréciation erronée des faits et soutiennent qu’une appréciation plus juste des éléments par eux soumis aurait dû le conduire à admettre dans leur chef l’existence d’une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève. Ils font valoir qu’il faudrait analyser si le comportement d’un demandeur d’asile est perçu par les autorités en place comme un acte d’opposition contre le pouvoir, de manière qu’une simple abstention pourrait être retenue comme étant de nature à fonder une crainte justifiée de persécution, le critère déterminant étant ainsi l’interprétation faite par les autorités de l’attitude du demandeur d’asile. Ils exposent qu’ils ont constamment fait l’objet de discriminations, pressions et menaces de la part de la population et des autorités serbes en raison de leur appartenance à la minorité bochniaque et de leur confession musulmane, que, plus particulièrement, ils auraient subi des intimidations et menaces de la part de leurs voisins serbes de confession orthodoxe et que Monsieur … aurait fait l’objet de menaces à son lieu de travail, de manière qu’il risquerait actuellement de subir des persécutions de la part des autorités en place ainsi que de groupes paramilitaires en raison de son appartenance à une minorité ethnique.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours sous analyse laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, v° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 5 avril 2001, n° 12801C du rôle, Pas. adm. 2002, v° Etrangers, n° 35).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de prime abord de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle à l’égard des demandeurs d’asile dans leur pays de provenance en général et dans leur région d’origine en particulier et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ.

Dans la mesure où les persécutions avancées par les demandeurs n’émanent essentiellement pas d’autorités publiques de leur pays d’origine, mais de groupes de la population, en l’occurrence de groupements serbes essentiellement, il y a lieu de retenir que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel et qu’il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113, nos 73-s).

En ce qui concerne la situation des membres de minorités en Serbie, notamment de celle des bochniaques de confession musulmane, s’il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, notamment par la population serbe, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires.

Or, en l’espèce, les éléments concrets invoqués par les demandeurs et les craintes par eux exprimées en raison de leur religion, de leur appartenance ethnique et de la situation générale en Serbie, sont insuffisants à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné que les demandeurs font état de menaces non autrement précisées et d’un seul incident concret, à savoir la blessure de Monsieur … à la gorge par un Serbe avec une bouteille cassée. En outre, les demandeurs restent en défaut d’établir concrètement, au-delà de l’allégation dans leur recours gracieux non autrement étayée d’avoir déposé une plainte contre l’auteur de l’explosion dans leur immeuble laquelle serait restée sans suites, qu’ils ont effectivement recherché la protection de la part des autorités en place et que celles-ci leur auraient refusé cette protection pour l’un des motifs visés par la Convention de Genève.

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre leur a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique.

PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 janvier 2003 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, M. SPIELMANN, juge en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 14945
Date de la décision : 20/01/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-01-20;14945 ?

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