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16/01/2003 | LUXEMBOURG | N°14994

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 janvier 2003, 14994


Tribunal administratif N° 14994 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 juin 2002 Audience publique du 16 janvier 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14994 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 juin 2002 par Maître Jeannot BIVER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. â€

¦, né le … à Dobrusa (Kosovo/Yougoslavie), demeurant actuellement à L-…, tendant à principalement à l’an...

Tribunal administratif N° 14994 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 juin 2002 Audience publique du 16 janvier 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14994 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 juin 2002 par Maître Jeannot BIVER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Dobrusa (Kosovo/Yougoslavie), demeurant actuellement à L-…, tendant à principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 17 avril 2002, notifiée le 13 mai 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 août 2002;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Zohra BELESGAA, en remplacement de Maître Jeannot BIVER, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 25 septembre 2001, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

M. … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut ensuite entendu le 2 octobre 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 17 avril 2002, notifiée le 13 mai 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 1er octobre 2001 que vous auriez quitté votre domicile à Dobrusa/Kosovo en juin 2001. Vous auriez pris un bus en direction de Sarajevo/Bosnie où vous seriez resté pendant 3 mois. Le 22 septembre 2001 vous auriez pris place à bord d’un véhicule qui vous aurait emmené au Luxembourg où vous dites être arrivé le 25 septembre 2001.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 25 septembre 2001.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Kosovo parce que les Bochniaques y seraient une minorité.

Vous ajoutez qu’en 1998 ou 1999, les Albanais auraient attaqué votre maison et vous auraient blessé avec un couteau vous obligeant ainsi de vous cacher. Vous vous seriez alors rendu au Monténégro, mais vous ne pouvez pas donner d’indications quant à la date. Après un mois vous seriez retourné au Kosovo. En juin 2001 vous seriez allé en Bosnie parce que les Albanais seraient à votre recherche, et ceci parce que vous seriez resté au Kosovo pendant la guerre.

Vous seriez resté 3 mois en Bosnie. Fin septembre 2001 vous auriez quitté la Bosnie parce que vous n’y auriez pas de moyens d’existence, pas de maison et parce que vous auriez entendu que le Luxembourg aiderait les minorités du Kosovo.

Enfin, vous exposez être membre du parti politique SDA, mais de ne pas avoir eu de problèmes à cause de cette adhésion.

Concernant la situation particulière des musulmans slaves au Kosovo, je souligne que la reconnaissance du statut de réfugié politique n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile, qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Or, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève.

En effet, l’attaque des Albanais dont vous faites état date déjà de 1998 ou 1999. Il faut souligner qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, est installée au Kosovo pour assurer la coexistence pacifique entre les différentes communautés et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. La situation des minorités ethniques du Kosovo s’est améliorée par rapport à l’année 1999. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec la victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes. A cela s’ajoute qu’à la suite des élections parlementaires du 17 novembre 2001 les minorités nationales du Kosovo, à savoir les Roms, les Bosniaques, les Turcs et autres se sont vus attribuer quelques sièges leur assurant une représentation au sein du parlement du Kosovo. Ainsi une persécution systématique de minorités ethniques est actuellement à exclure.

L’autre motif que vous invoquez, à savoir la peur des Albanais qui ont attaqué votre maison, n’est pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution selon la Convention de Genève, mais traduit plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution.

Par ailleurs, vous n’avez à aucun moment apporté un élément de preuve permettant d’établir des raisons pour lesquelles vous n’auriez pas été en mesure de vous installer en Bosnie chez votre oncle, la Bosnie pouvant être considérée comme premier pays d’accueil. Le fait que vous n’y auriez pas des moyens d’existence ne constitue certainement pas un acte de persécution, car il ne rentre pas dans le cadre d’un motif de persécution prévu par la Convention de Genève de 1951. Un tel motif ne saurait fonder une demande d’asile politique au sens de la prédite Convention.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par requête déposée le 5 juin 2002, M. … a fait introduire un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de la décision précitée du ministre de la Justice du 17 avril 2002.

Encore que le demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision critiquée, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. – Il s’ensuit que le recours principal en annulation est irrecevable.

Le recours en réformation introduit en ordre subsidiaire est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours contentieux, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire du Kosovo, de confession musulmane et qu’il appartiendrait à la minorité « bochniaque » du Kosovo et qu’il aurait quitté son pays d’origine pour échapper à des persécutions dirigées à l’encontre des « Bochniaques ». Il expose encore que ses parents, qui résideraient toujours au Kosovo, recevraient « presque journalièrement des appels téléphoniques anonymes annonçant des représailles » et il estime encore qu’il ne saurait retourner au Kosovo, au motif que les autorités actuellement investies du pouvoir ne seraient pas capables de garantir une cohabitation pacifique des différentes communautés installées au Kosovo.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Selon l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de M. ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 2 octobre 2001, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de prime abord de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité de la décision querellée à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile. - En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

Il convient d’ajouter que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113, nos. 73-s).

En ce qui concerne la situation des membres des minorités au Kosovo, notamment de celle des « Bochniaques », il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, notamment du groupe majoritaire des Albanais, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires.

Il y a lieu d’ajouter dans ce contexte, qu’une situation de conflit interne violent ou généralisé ne peut, à elle seule, justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié, étant donné que la crainte de persécution, outre de devoir toujours être fondée sur l’un des motifs de l’article 1er A de la Convention de Genève, doit avoir un caractère personnalisé.

Or, en l’espèce, les craintes exprimées par le demandeur en raison de la prétendue hostilité des Albanais à son égard en raison de son appartenance à la minorité « bochniaque » et de la situation générale tendue dans sa région d’origine, s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

En effet, le demandeur fait essentiellement état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre de la part de membres de la population albanaise, mais il ne démontre point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo, étant entendu qu’il n’a pas fait état de l’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités actuellement en place. – Dans ce contexte, il y a lieu de relever que pareille preuve ne se dégage nullement de la prétendue attaque de sa maison et de sa blessure causée par des Albanais, les faits restant à l’état de simples allégations et, surtout, même à les supposer établis, ils remontent aux années 1998/1999.

A cela s’ajoute que les craintes de persécution invoquées en l’espèce se cristallisent essentiellement autour de la situation au Kosovo, et que le demandeur reste en défaut d’établir qu’il ne peut trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de son pays d’origine, notamment au Monténégro, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, et lu à l’audience publique du 16 janvier 2003, par le président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 14994
Date de la décision : 16/01/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-01-16;14994 ?

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