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15/01/2003 | LUXEMBOURG | N°15214

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 janvier 2003, 15214


Tribunal administratif Numéro 15214 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 août 2002 Audience publique du 15 janvier 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15214 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 août 2002 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-

…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision...

Tribunal administratif Numéro 15214 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 août 2002 Audience publique du 15 janvier 2003 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15214 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 août 2002 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 22 mai 2002 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée et de celle confirmative du 10 juillet 2002, intervenue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 novembre 2002 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 3 décembre 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Stéphanie JACQUET, en remplacement de Maître François MOYSE, et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 janvier 2003.

Le 1er mars 1999, Monsieur … introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 4 janvier 2000, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 22 mai 2002, notifiée le 4 juin 2002, le ministre de la Justice l’informa de ce que sa demande a été refusée comme non fondée au motif qu’il n'invoquerait aucune crainte raisonnable de persécution du fait de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social.

Par courrier de son mandataire du 2 juillet 2002, Monsieur … fit introduire un recours gracieux à l’encontre de cette décision.

Par décision du 10 juillet 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision du 2 juillet 2002.

Le 6 août 2002, Monsieur … a fait déposer au greffe du tribunal administratif un recours en réformation, sinon en annulation contre la décision ministérielle du 10 juillet 2002 et celle confirmative du 6 août 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que seul un recours en réformation a pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours subsidiaire en annulation est par voie de conséquence irrecevable.

En premier lieu, Monsieur … reproche au ministre de la Justice que les deux décisions prises à son encontre manqueraient de motivation.

Quant au fond, Monsieur …, de nationalité yougoslave et appartenant à la minorité ethnique des Roms et de confession musulmane, fait valoir qu’il aurait effectué son service militaire, en tant que tireur de char, auprès de l’armée yougoslave entre 1990 et 1991. Il explique qu’en février 1999, quatre militaires serbes seraient rentrés dans un café, dans lequel il se trouvait, pour l’amener à la caserne et le contraindre à servir comme réserviste en lui confisquant sa carte d’identité et en le forçant de monter dans un camion. Il continue qu’il aurait pu profiter d’une halte dans un deuxième café pour s’enfuir. Il fait valoir que cette désertion serait motivée par le fait que les Serbes auraient engagé des Musulmans pour faire une guerre à laquelle il ne pourrait pas adhérer, de sorte que ce seraient donc bien des raisons politiques qui l’auraient conduit à déserter. Il ajoute que, bien que la guerre soit terminée, il aurait toujours des raisons valables de craindre le retour dans son pays, parce qu’il risquerait, malgré la loi d’amnistie, une peine d’emprisonnement arbitraire et totalement disproportionnée par rapport à l’infraction commise et donc contraire aux principes inscrits dans la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. Il se réfère à cet égard à un article du journal VESTI du 13 mars 2001 pour faire valoir que postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi d’amnistie dans son pays d’origine, des demandeurs d’asile auraient fait l’objet d’une condamnation. Il souligne qu’en dépit de tout jugement qui pourrait être porté sur la situation actuelle en ex-Yougoslavie, il importerait de prendre conscience que l’instabilité politique, religieuse et sociale serait toujours de rigueur. Il s’appuie sur différentes publications pour alléguer que, malgré la représentation des minorités tziganes au Parlement, la situation des Roms n’aurait pas changé et qu’ils seraient toujours la cible de multiples attaques tant du côté des Serbes que des Albanais.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

L’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition du 4 janvier 2000, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En ce qui concerne le défaut de motivation soulevé par le demandeur, force est de constater que ce moyen manque de pertinence. En effet, la décision du ministre de la Justice du 22 mai 2002 est suffisamment motivée. Les faits tels que résumés dans la décision du 22 mai 2002 correspondent aux faits sous-jacents à la demande d’asile du demandeur et les motifs de refus sont énumérés et appuyés par des références légales et jurisprudentielles. En ce qui concerne la décision confirmative du 10 juillet 2002, intervenue sur recours gracieux du 2 juillet 2002, il ressort clairement du libellé de la décision confirmative que le ministre s’est référé à la décision initiale du 22 mai 2002, de sorte que les motifs à la base de cette dernière font partie intégrante de la décision confirmative du 10 juillet 2002. Le ministre a partant indiqué de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait sur lesquels il s’est fondé pour justifier son refus et les motifs ont ainsi été portés à suffisance de droit à la connaissance du demandeur.

Le premier moyen fondé sur le défaut de motivation des deux décisions soumises au tribunal n’est donc pas fondé.

Quant à la situation de Monsieur …, force est de constater que son insoumission, même à la supposer établie, n’est pas en elle-même un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, ceci d’autant plus qu’il n’est pas établi qu’il subsiste à l’heure actuelle un risque de poursuite en raison d’une éventuelle insoumission. Il convient par ailleurs de relever que Monsieur … n’établit pas à suffisance qu’une condamnation serait encore susceptible d’être prononcée à son encontre de ce chef,ceci au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées par le demandeur que la loi d’amnistie ne s’appliquerait pas à ceux qui ont refusé d’utiliser les armes à feu ou qui ont évité de faire le service en quittant le pays.

En effet, cette interprétation reviendrait à vider la loi d’amnistie de sa substance en ce sens qu’au moment où une demande d’application de ladite loi est présentée aucun déserteur ou insoumis qui s’était éloigné vers l’étranger ne serait susceptible d’en bénéficier. Cette hypothèse est pourtant contredite par une large application que cette loi connaît d’ores et déjà, étant entendu par ailleurs que l’affirmation que la loi d’amnistie ne serait pas applicable aux insoumis ayant quitté la Yougoslavie est démentie par le Haut Commissariat pour les réfugiés qui est au contraire d’avis que les termes de cette loi témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et qui n’a pas encore eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs, n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000, qui n’auraient pu bénéficier de cette loi, de manière à ne pas entrevoir de raisons de penser que celle-ci ne serait pas appliquée aux personnes ayant été à l’étranger après le 7 octobre 2000 et n’ayant pas reçu de nouvel appel après cette date (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13854C du rôle).

En ce qui concerne les persécutions des Albanais et des Serbes vis-à-vis de la minorité tzigane, s’agissant de persécutions commises par des tiers et non par les autorités étatiques, il y a lieu de relever qu’elles ne sauraient en tout état de cause être retenues que si les autorités étatiques tolèrent ces actes ou si elles sont incapables d’offrir une protection contre ces actes.

Ce défaut de protection doit être mis suffisamment en évidence par le demandeur. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

Or, en l’espèce, le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit une crainte personnelle de persécution, voire une incapacité des autorités en place d’assurer sa protection. En effet, même si les pièces versées en cause font état de la situation certes difficile des Roms au Kosovo, elles ne démontrent pas en quoi le demandeur serait tout particulièrement touché dans sa situation personnelle. En effet, Monsieur …, de nationalité yougoslave et appartenant à la minorité des Roms, déclare dans son audition du 4 janvier 2000 qu’il n’a pas personnellement subi de persécutions, mais qu’il a été insulté par les Serbes et les Albanais. Ces insultes certes condamnables ne revêtent cependant pas un caractère de gravité suffisant rendant le retour du demandeur dans son pays impossible.

A cela s’ajoute que la situation a changé au Kosovo depuis l’arrivée du demandeur au Luxembourg en 1999. Force est tout d’abord de constater qu’à la fin du conflit armé au Kosovo, les forces de police dépendant des autorités serbes, à l’origine des répressions et exactions commises au Kosovo, ont quitté le territoire. Une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, est installée au Kosovo pour assurer la coexistence pacifique entre les différentes communautés et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mis en place. La situation des minorités ethniques du Kosovo s’est améliorée par rapport à l’année 1999. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec la victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes. A cela s’ajoute qu’à la suite des élections parlementaires du 17 novembre 2001 les minorités nationales du Kosovo, à savoir les Roms, les Bosniaques, les Turcs et autres se sont vus attribuer quelques sièges leur assurant une représentation au sein du parlement du Kosovo.

C’est donc à bon droit que le ministre de la Justice a refusé de faire droit à la demande en obtention du statut de réfugié.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne le demandeur au frais.

Ainsi jugé par et prononcé à l’audience publique du 15 janvier 2003 :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. SCHMIT s. LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15214
Date de la décision : 15/01/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-01-15;15214 ?

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