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15/01/2003 | LUXEMBOURG | N°15204

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 janvier 2003, 15204


Tribunal administratif Numéro 15204 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 août 2002 Audience publique du 15 janvier 2003 Recours formé par les époux … et consort, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15204 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 août 2002 par Maître Alain GROSS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg au nom de Monsieur…, né le …, de nationalité macédonienne, et de son épouse, M

adame…, née le …, ainsi que de leurs deux enfants …, né le … et …, né le …, demeurant actuel...

Tribunal administratif Numéro 15204 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 août 2002 Audience publique du 15 janvier 2003 Recours formé par les époux … et consort, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15204 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 août 2002 par Maître Alain GROSS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg au nom de Monsieur…, né le …, de nationalité macédonienne, et de son épouse, Madame…, née le …, ainsi que de leurs deux enfants …, né le … et …, né le …, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 3 juin 2002 en ce qu’il a rejeté leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 novembre 2002 ;

Vu le mémoire en réplique de Maître Alain GROSS déposé au greffe du tribunal administratif le 5 décembre 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Rachel JAZBINSEK, en remplacement de Maître Alain GROSS, et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience du 6 janvier 2002.

Le 30 novembre 1999, respectivement le 15 avril 2002, Monsieur … et ses deux fils … et…, ainsi que Madame … introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les mêmes jours Monsieur … et ses deux fils … et … … et Madame … furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, respectivement de la police grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 6 décembre 1999, respectivement le 14 mai 2002, Messieurs … et … … ainsi que Madame … et Monsieur … … furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 3 juin 2002, notifiée le 24 juin 2002, le ministre de la Justice informa les époux …-… et leurs enfants … et … … de ce que leurs demandes avaient été rejetées comme non fondées au motif qu’ils n'invoqueraient aucune crainte raisonnable de persécution du fait de leurs opinions politiques, de leur race, de leur religion, de leur nationalité ou de leur appartenance à un groupe social.

Le 17 juillet 2002, les époux …-… et leurs fils … et … firent introduire un recours gracieux à l’encontre de cette décision ministérielle de refus du 3 juin 2002.

Par décision du 23 juillet 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision du 3 juin 2002.

Le 5 août 2002, les époux …-… et leurs enfants … et … ont fait déposer au greffe du tribunal administratif un recours en réformation contre la décision ministérielle de refus du 3 juin 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, les demandeurs, de nationalité macédonienne et de confession musulmane, font valoir qu’ils auraient fuit leur pays parce que Monsieur … aurait été condamné par un jugement du 29 octobre 1999 du tribunal de … à une peine d’emprisonnement de trois ans et demi pour le délit de « détention d’armes illégale ou trafic de matériel » dû au fait que la police aurait trouvé le 13 avril 1999 dans la cour de sa maison à … deux fusils utilisés de la marque Kalasnikov et deux rangées de balles pour le même type d’arme. Monsieur … explique que ces armes lui auraient été confiées contre son gré par des Albanais à une époque où les conflits entre l’UCK albanaise et les autorités macédoniennes auraient été encore très intenses et où la détention d’une arme par une personne appartenant à la minorité albanaise aurait été considérée comme un crime de guerre et non comme un délit de droit commun. Il ajoute que la décision de justice se distinguerait en plus par son caractère particulièrement arbitraire, alors qu’elle l’aurait identifié comme « citoyen de la République de Macédoine, de nationalité albanaise » et démontrerait ainsi, de par la référence à l’appartenance ethnique du demandeur, sa connotation discriminatoire. En plus il soutient que la condamnation à une peine d’emprisonnement de trois ans et demi pour le prétendu délit commis serait disproportionnée par rapport à une sanction comparable pour une même infraction dans un Etat respectant les droits de l’homme.

Les demandeurs précisent qu’au moment où la police aurait trouvé les armes cachées, les deux enfants … et … … auraient subi des violences de la part des forces de l’ordre.

En ce qui concerne plus particulièrement Madame … venue au Luxembourg en avril 2002, ils signalent qu’elle serait parfaitement en droit de retrouver sa famille après une séparation de trois ans. Ils concluent que les Albanais demeureraient en Macédoine une minorité de deuxième classe et ne seraient aucunement reconnus comme citoyens macédoniens à part entière.

Le délégué du gouvernement rétorque que le demandeur aurait reconnu avoir quitté la Macédoine sans avoir épuisé les voies de recours internes et qu’il tenterait d’échapper à la justice moyennant le dépôt d’une demande d’asile, étant entendu qu’il aurait été condamné pour un délit de droit commun dans son pays d’origine. En ce qui concerne la situation actuelle en Macédoine, il précise que des élections libres ont eu lieu le 15 septembre 2001, dans le prolongement des accords d’Ohrid d’août 2001, que la majorité politique aurait changé en Macédoine et que l’OTAN viendrait d’annoncer sa satisfaction de ce changement. En plus des pourparlers seraient en cours afin de former un gouvernement de coalition. En fin de compte l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, invoqué par les demandeurs, ne serait pas pertinent dans le cadre d’une procédure réglementée par la Convention de Genève.

Les demandeurs répliquent que l’issue du procès suite à un éventuel appel interjeté par Monsieur … aurait été complètement incertaine et qu’une « réformation in mejus » aurait été à cette époque un leurre pour les consorts …. Ils soutiennent, en s’appuyant sur une jurisprudence de la Cour administrative, que l’affirmation selon laquelle la Convention de Genève anéantirait l’application des dispositions protectrices des droits fondamentaux issus de la Convention européenne des droits de l’homme tomberait à faux. En ce qui concerne le changement politique en Macédoine, ils affirment qu’il serait hypothétique et qu’ils n’auraient aucune garantie de poursuivre dans leur pays d’origine une vie en paix, à l’abri de toute persécution et de risque d’emprisonnement de Monsieur ….

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives du 6 décembre 1999 et du 14 mai 2002, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

La condamnation de Monsieur … à un emprisonnement de trois ans et six mois pour le délit de détention d’armes illégale ou trafic de matériel ne constitue pas à elle seule un motif de reconnaissance du statut de réfugié, dès lors qu’il n’est pas établi que cette condamnation s’ananlyserait en une persécution en raison d’un des motifs énumérés par la Convention de Genève. La simple identification de Monsieur …, comme citoyen de la République Macédoine de nationalité albanaise, ne témoigne pas en elle-même de l’attitude discriminatoire des tribunaux. En ce qui concerne les faits, Monsieur … ne conteste pas avoir caché les armes, mais, pour sa défense, explique qu’il aurait été contraint de le faire. D’ailleurs le juge tient compte de cette circonstance tel qu’il résulte des dépositions de Monsieur … lors de son audition du 6 décembre 1999 : « Je devais apparaître le 5 mai 1999 à 11.00 heures. On m’a lu le rapport de police. J’ai dit au juge que j’étais obligé d’accepter. Le juge comprenait cela, mais m’a dit fautif, parce que je ne l’avais pas déclaré à la police. J’ai dit que j’avais peur pour ma famille. Le juge m’a dit que d’après tel article, je risquai de un à cinq ans de prison.

Il m’a dit que je serais mis en liberté provisoire et que je pouvais prendre un avocat. » Le jugement du tribunal de … est libellé comme suit : « En interrogeant l’accusé et en présentant les preuves, le tribunal a conclu que l’accusé a commis un délit et qu’il devrait être au courant des armes à feu cachées dans la cour de la maison et d’avoir omis de déclarer ceci au commissariat ». Il apparaît que Monsieur … n’a pas été condamné à la peine maximale et qu’il lui est surtout reproché de ne pas avoir déclaré que les armes ont été cachées contre son gré. Il en résulte que la fuite du pays conditionnée par la peur d’un risque d'emprisonnement encouru pour une infraction de droit commun, avant même l’épuisement des voix de recours disponibles, ne saurait justifier l'octroi du statut de réfugié.

Les violences, d’autant plus qu’il s’agit d’un événement isolé, dont font état Messieurs … et … … lors de la perquisition de la police dans la cour de leur maison ne sont pas d’une gravité telle qu’elles justifient une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

En ce qui concerne plus particulièrement Madame … …, il résulte de son audition qu’elle n’a pas subi de persécutions personnelles et que la crainte dont elle fait état ne saurait être qualifiée d’une crainte raisonnable de persécution au sens de la Convention de Genève.

Elle déclare en effet qu’elle a quitté le pays parce que son mari avait des problèmes avec la police, que même après la condamnation et la fuite de son mari, la police à la recherche de Monsieur … n’était pas désagréable avec elle et qu’après trois mois la police n’était plus venue. Elle confirme que sa peur de la police était seulement liée au fait de la découverte d’armes cachées dans la cour de leur maison.

De même, en ce qui concerne leur appartenance à la minorité des Albanais en Macédoine, les demandeurs restent en défaut d’établir concrètement en quoi cette appartenance leur vaudrait des traitements discriminatoires en cas de retour, d’autant plus que la situation a changé en Macédoine avec la proclamation le 15 juin 2002 par le Parlement macédonien de la nouvelle Constitution, axe central de l’accord de paix d’Ohrid d’août 2001, qui élargit les droits de la minorité albanaise vivant dans le pays, et avec l’organisation d’élections libres en septembre 2002.

En ce qui concerne la référence à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, force est de constater que cet article ne saurait influer sur les critères de reconnaissance du statut de réfugié, régis par la seule Convention de Genève.

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une crainte raisonnable de persécution leur rendant le retour dans leur pays impossible, de sorte que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a rejeté leur demande en obtention du statut de réfugié.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs au frais.

Ainsi jugé par et prononcé à l’audience publique du 15 janvier 2003 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15204
Date de la décision : 15/01/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-01-15;15204 ?

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