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15/01/2003 | LUXEMBOURG | N°14843

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 janvier 2003, 14843


Numéro 14843 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 avril 2002 Audience publique du 15 janvier 2003 Recours formé par les époux … et … …, … contre un bulletin d’impôt émis par le bureau d’imposition Luxembourg 2 en matière d’impôt sur le revenu

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 14843 du rôle, déposée le 29 avril 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Fernand ENTRINGER

, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …,...

Numéro 14843 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 avril 2002 Audience publique du 15 janvier 2003 Recours formé par les époux … et … …, … contre un bulletin d’impôt émis par le bureau d’imposition Luxembourg 2 en matière d’impôt sur le revenu

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 14843 du rôle, déposée le 29 avril 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Fernand ENTRINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, …, et de son épouse, Madame …, …, demeurant ensemble à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’un bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année 1993, émis à leur encontre le 19 février 1998 par le bureau d’imposition Luxembourg 2;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 octobre 2002;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 12 novembre 2002 par Maître Fernand ENTRINGER pour compte des époux …;

Vu les pièces versées en cause et notamment le bulletin critiqué;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Fernand ENTRINGER et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Marie KLEIN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 27 novembre 2002.

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Par acte passé pardevant Maître…, à l’époque notaire de résidence à…, du 27 janvier 1988, Monsieur … et Madame …, préqualifiés, constituèrent la société à responsabilité limitée …, établie et ayant son siège à… , au capital social de 1.250.000 LUF, souscrit et apporté à concurrence de 950.000 LUF par Monsieur … et à concurrence de 300.000 LUF par Madame …, la gérance de cette société ayant été confiée à Monsieur ….

Monsieur … et Madame … s’engagèrent dans les liens du mariage en date du ….

Par bulletin de l'impôt sur le revenu pour l’année 1993 à l’adresse des époux … imposables collectivement, émis le 19 février 1998, le bureau d'imposition Luxembourg 2 imputa à Monsieur … un revenu de capitaux mobiliers net de 1.460.520 LUF, représentant la somme de dividendes distribués par la société … à hauteur de 1.459.200 LUF et de distributions cachées à concurrence de 62.320 LUF après déduction de la tranche exonérée de 60.000 LUF et du forfait de frais d’obtention de 1.000 LUF. Le même bulletin d’impôt imputa de manière parallèle à Madame … un revenu de capitaux mobiliers net de 419.480 LUF constitué de dividendes distribués par la dite société à hauteur de 460.800 LUF et de distributions cachées d’un import de 19.680 LUF après imputation des mêmes déductions que celles opérées dans le chef de Monsieur …. Ces redressements furent justifiés par la considération que les « revenus de capitaux mobiliers [sont] imposés suivant information bureau sociétés 4 … sàrl ».

Les époux … réclamèrent à l’encontre de ce bulletin d’impôt du 19 février 1998 par courrier de leur fiduciaire du 19 mars 1998 dans lequel ils firent valoir que les dividendes mis en compte, provenant intégralement de la société …, devraient être exemptés de l'impôt sur le revenu.

Cette réclamation étant restée sans réponse de la part du directeur de l’administration des Contributions directes, désigné ci-après par « le directeur », les époux … ont fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre dudit bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année 1993 émis le 19 février 1998 suite au silence observé par le directeur face à leur prédite réclamation, à travers lequel ils demandent également au tribunal d’ordonner la restitution des impôts indûment payés avec les intérêts légaux à partir du paiement jusqu’à solde.

Au vœu des dispositions combinées du paragraphe 228 de la loi générale des impôts, communément appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », et de l’article 8 (3) 3. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le tribunal est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours dirigé contre un bulletin de l'impôt sur le revenu en cas de silence du directeur de plus de six mois suite à une réclamation dûment introduite par le contribuable. Il s’ensuit que le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre principal, lequel est encore recevable pour avoir été déposé dans les formes et délai de la loi dans la mesure où il entend déférer au tribunal le bulletin litigieux du 19 février 1998. Le recours subsidiaire en annulation est dès lors irrecevable.

La perception de l’impôt se divise en trois phases, à savoir la phase d’assiette, la phase de liquidation de l’impôt et la phase de recouvrement de l’impôt (cf. Jean OLINGER, Le droit fiscal, Etudes Fiscales nos 93-95, p. 63). Un bulletin de l’impôt sur le revenu, dans la mesure où il comporte les seules détermination du revenu imposable et fixation de la cote d’impôt sur le revenu y relative, ne porte que sur les deux premières phases. Les questions relatives respectivement à l’obligation du contribuable de régler un solde d’impôt ou son droit de se voir restituer un impôt déjà payé relèvent par contre de la phase de recouvrement.

Les demandeurs sollicitent à travers le dispositif de leur requête la restitution des impôts payés indûment avec les intérêts légaux à partir du paiement jusqu’à solde.

Dans le cadre de l’impôt sur le revenu et de la réformation d’un bulletin par une instance de recours, le contribuable tire à la fois de l’article 154 de la loi du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, en abrégé « LIR », et du paragraphe 151 AO un droit au remboursement du trop-payé d’impôt sur le revenu. Dès lors que l’administration n’entend pas exécuter le remboursement dans la mesure voulue par le contribuable, elle doit, conformément au paragraphe 150 (2) AO, matérialiser son refus par un bulletin qui constitue ainsi une décision autonome propre à la phase de recouvrement de l’impôt et soumise aux voies de recours prévues par le paragraphe 235, n° 5 AO.

En l’espèce, le tribunal est saisi du bulletin de l’impôt sur le revenu se confinant à déterminer le revenu imposable dans le chef des demandeurs au titre de l’années 1993 et à fixer les cotes d’impôt sur le revenu afférentes dont ils sont redevables, mais ne comportant aucun élément décisionnel quant à une restitution d’impôt. En l’absence d’une décision de l’administration, préalablement contestée devant le directeur de l’administration des Contributions directes, sur le remboursement d’un trop-perçu d’impôt sur le revenu aux demandeurs et faute de disposition légale investissant le tribunal d’un pouvoir spontané pour ordonner un remboursement d’impôts, le tribunal, bien qu’étant en principe compétent pour connaître de ces contestations, ne saurait connaître à ce stade de la demande en question laquelle doit dès lors être déclarée irrecevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs renvoient à la jurisprudence existante en la matière et plus particulièrement au jugement du tribunal administratif du 25 juillet 2001 (n° 12033 du rôle) ayant reconnu leur droit à l’exonération des dividendes distribués par la société … durant les années 1990 et 1991 pour réclamer l’exonération des montants de dividendes distribués leur imputés par le bureau d'imposition au titre de l’année d’imposition 1993, étant donné que le bulletin d’impôt pour 1993 serait fondé sur la même interprétation erronée que les bulletins ayant fait l’objet du jugement susdit du 25 juillet 2001.

Le délégué du Gouvernement rétorque que le recours se bornerait à renvoyer au jugement prévisé du 25 juillet 2001 et à imputer au bureau d’imposition une erreur en droit sans s’expliquer sur les faits qui justifieraient l’exemption de l’impôt sur le revenu en l’espèce, de manière que les recourants n’auraient pas satisfait à la charge processuelle de preuve leur incombant et que le recours devrait en conséquence être rejeté comme n’étant pas fondé.

Les demandeurs font préciser en termes de réplique que ce serait le bénéfice dégagé au titre de l’année 1992 par la société … qui aurait fait l’objet d’une distribution au cours de l’année 1993 à leur profit. Ils ajoutent que le bénéfice de l’exercice 1992 se serait élevé à 1.411.369 LUF et qu’un résultat reporté de 514.919 LUF aurait également été disponible, de manière qu’une distribution brute à hauteur de 1.920.000 LUF aurait été décidée par l’assemblée générale. Ils concluent que ce serait à tort que les distributions de bénéfices leur auraient été imputées et incluses dans leur revenu imposable par le bureau d’imposition.

Il est constant, à travers les pièces versées au dossier, que le bureau d’imposition a refusé l’exonération, en vertu de la loi modifiée du 27 avril 1984 visant à favoriser les investissements productifs des entreprises et la création d’emplois au moyen de la promotion de l’épargne mobilière, communément désignée par « loi Rau », de l’intégralité des parts de bénéfice et de distributions cachées imputées à ce titre aux demandeurs pour l’année 1993.

L’article 4 (1) de la loi Rau précitée du 27 avril 1984 dispose que « les dividendes et parts de bénéfice alloués en raison des titres représentatifs d’apports en numéraire sont exempts de l’impôt sur le revenu, lorsque les titres sont détenus par le contribuable à la fin de l’année de leur acquisition. Toutefois, s’ils continuent à être détenus à la fin d’une ou de plusieurs années subséquentes, l’exemption se prolonge pendant cinq années d’imposition ».

Bien que l’article 4 (1) en question ait été remplacé par la loi du 7 juin 1989 portant prorogation et modification de la loi prédite du 27 avril 1984, entrée en vigueur le 1er janvier 1989, il n’en reste pas moins qu’en raison du principe de non rétroactivité, les apports en numéraire effectués pendant les années d’imposition 1984 à 1988 ont continué à engendrer de possibles exemptions conformément à l’article 4 (1) de la loi du 27 avril 1984 prérelaté pendant cinq années d’imposition suivant celle durant laquelle les apports en question ont été faits.

Concernant plus particulièrement les apports en numéraire effectués en l’espèce en 1988, une exemption a dès lors pu être demandée pendant l’année d’imposition 1993, de sorte que les demandeurs ont pu utilement solliciter ratione temporis l’exemption en vertu de l’article 4 (1) de ladite loi du 27 avril 1984 pour la même année relativement à laquelle le bulletins d’imposition est actuellement déféré au fond.

Etant donné qu’il ressort des éléments en cause que la société … a été constituée au cours de l’année 1988, l’ensemble des apports souscrits et libérés en numéraire à raison de la constitution de cette société doit être qualifié d’acquisition de titres représentatifs d’apports en numéraire au sens de l’article 2 (2) de la loi Rau sans qu’il n’y ait lieu de procéder à une ventilation quelconque. Il s’ensuit qu’en l’absence de contestation quant à la réunion de toutes les conditions prévues par la loi Rau et plus particulièrement quant à la libération du capital de ladite société lors de sa constitution, l’ensemble des parts de bénéfices allouées par cette société doit être considéré comme ayant été allouées en raison des titres représentatifs d’apports en numéraire et bénéficier partant de l’exemption de l'impôt sur le revenu inscrite à l’article 4 de ladite loi au titre de l’année d’imposition 1993.

Par contre, alors même qu’une distribution cachée de bénéfices est certes un avantage octroyé en raison de la qualité d’associé du bénéficiaire et constitue partant une recette rentrant dans la notion de revenu de capitaux mobiliers, elle est cependant qualifiée comme autre produit par l’article 97 (1) 1 LIR et ne peut dès lors être qualifiée de dividende ou part de bénéfices alloués en raison des titres représentatifs d’apports en numéraire au sens de l’article 4 (1) de la loi Rau.

Il se dégage des développements qui précèdent que le recours est seulement partiellement fondé en ce que l’exemption prévue par la loi Rau ne peut pas être appliquée aux montants de 62.320 LUF dans le chef de Monsieur … et de 19.680 LUF dans celui de Madame …, lesquels doivent être qualifiés de revenus de capitaux mobiliers soumis à l’impôt sur le revenu sous réserve de l’application des tranches exemptées et du forfait pour frais d’obtention, mais doit trouver application aux dividendes alloués par la société ….

Par voie de conséquence, le bulletin déféré du 19 février 1998 encourt la réformation en ce sens que les montants bruts de dividendes distribués au cours de l’année 1993 par la société … de  1.459.200 LUF imputés à Monsieur … et  460.800 LUF imputés à Madame … doivent être exemptés de l'impôt sur le revenu.

Au vu de la solution au fond ainsi dégagée et plus particulièrement du fait que le bulletin encourt la réformation quant à l’essentiel des bases d’imposition en cause, il y a lieu de faire masse des frais et de les imposer à raison de quatre cinquièmes à l’Etat et d’un cinquième aux demandeurs.

PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours principal en réformation en la forme dans la mesure où il est dirigé contre le bulletin d’impôt critiqué, le déclare irrecevable pour le surplus, de même que le recours en annulation, au fond, déclare le recours partiellement justifié, partant, par réformation du bulletin d’impôt critiqué, dit que les montants de dividendes distribués durant l’année 1993 par la société … de  1.459.200 LUF imputé à Monsieur … et  460.800 LUF imputé à Madame … sont à exempter de l'impôt sur le revenu, renvoie l’affaire au directeur de l’administration des Contributions directes en vue de son transfert au bureau d'imposition compétent aux fins d’exécution, fait masse des frais et les impose à raison de quatre cinquièmes à l’Etat et d’un cinquième aux demandeurs.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 15 janvier 2003 par:

M. DELAPORTE, premier vice-président, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT DELAPORTE 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 14843
Date de la décision : 15/01/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-01-15;14843 ?

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