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09/01/2003 | LUXEMBOURG | N°15139

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 janvier 2003, 15139


Tribunal administratif N° 15139 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 juillet 2002 Audience publique du 9 janvier 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15139 du rôle, déposée le 17 juillet 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, a

u nom de Monsieur …, né le … à Ekin Ozu/Palu (Turquie), de nationalité turque, demeurant actuellement ...

Tribunal administratif N° 15139 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 juillet 2002 Audience publique du 9 janvier 2003

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15139 du rôle, déposée le 17 juillet 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Ekin Ozu/Palu (Turquie), de nationalité turque, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 4 septembre 2001, lui notifiée en date du 5 avril 2002, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative prise sur recours gracieux par ledit ministre en date du 29 mai 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 octobre 2002;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 24 octobre 2000, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut ensuite entendu en date des 12 novembre 2000 et 31 mai 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 4 septembre 2001, notifiée le 5 avril 2002, le ministre de la Justice informa Monsieur … de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre domicile pour aller d’abord à Istanbul où vous avez fait la connaissance d’un passeur. Vous avez quitté Istanbul le 15 octobre 2000 en vous cachant dans un camion qui transportait des vêtements. Trois jours plus tard, vous avez changé de camion et votre voyage s’est poursuivi jusqu’à Luxembourg. Vous ne pouvez donner aucune autre précision quant à votre trajet.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 24 octobre 2000.

Vous exposez que vous auriez été membre du parti HDP et ensuite du HADEP qui sont des partis kurdes. Vous auriez été sympathisant du PKK pour lequel vous auriez travaillé. A cause de vos activités politiques, vous auriez été constamment surveillé et tous vos déplacements auraient été contrôlés. Vous auriez été interrogé à de nombreuses reprises par la police et vous auriez fait l’objet de perquisitions. Les pressions ainsi exercées sur vous, vous auraient incité à quitter votre pays et à aller en Allemagne en 1988 et en 1992. Vous auriez déposé alors deux demandes d’asile dans ce pays, mais aucune d’elles n’aurait abouti à l‘obtention du statut de réfugié.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Vous dites avoir participé en Turquie à des manifestations et des distributions de tracts en faveur des mouvements kurdes. Vous dites avoir pris part, en Allemagne, dans des locaux appartenant à des Kurdes, à des réunions ayant pour but de discuter de la situation de votre pays.

Cependant, d’après les renseignements en notre possession, vous auriez, en Allemagne, participé à des manifestations politiques, notamment à un « sit-in » devant l’immeuble de la Radio de la Sarre, marquant ainsi votre engagement certain pour le PKK.

Vous ajoutez que votre frère se trouve emprisonné aux Pays-Bas, également pour ses activités au sein du PKK, et vous reconnaissez avoir, vous aussi, séjourné dans ce pays, il y a dix-sept ou dix-huit ans pour des motifs toujours liés à vos activités au sein du PKK.

Vous dites avoir été emprisonné en Turquie une fois en 1991, pendant trois semaines et une seconde fois, en 2000, pendant une semaine. A ces occasions, vous auriez été maltraité.

En ce qui concerne la période postérieure à votre retour d’Allemagne, soit depuis 1995, vous ne faites pas état d’autres actes de maltraitance ou de persécution.

Je constate qu’il résulte, tant de vos déclarations que des renseignements en notre possession, que vos activités au sein du PKK ne se limitaient pas à en être simple sympathisant. Vos activités, tant en Turquie qu’à l’étranger prouvent que vous êtes véritablement actif au sein de ce mouvement.

Or, il est de notoriété publique que le PKK est une organisation qui incite à la lutte armée et qui l’applique partout où cela est possible, tant en Turquie qu’à l’étranger.

Le fait d’être mis sous surveillance, voire de passer quelques jours en garde à vue, dans votre pays d’origine, en admettant que cela soit le cas, ne peut être considéré comme persécutions au sens de la Convention de Genève, dans la mesure où il ne peut être mis en doute que vous militez au sein d’une organisation internationalement qualifiée de terroriste.

Vous n’alléguez donc aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre la vie intolérable dans votre pays, telle une crainte justifiée de persécution en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1006 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 6 mai 2002, Monsieur … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 4 septembre 2001.

Par décision du 29 mai 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée le 17 juillet 2002, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 4 septembre 2001 et 29 mai 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur soulève d’abord un moyen d’annulation tiré de ce que les décisions du ministre de la Justice, et, plus particulièrement, la décision confirmative du 29 mai 2002, devraient encourir l’annulation pour défaut de motivation, dans la mesure où ces décisions auraient fait l’objet d’une instruction insuffisante. Il soutient à ce titre que le ministre n’aurait pas pris en considération des éléments nouveaux, à savoir les activités politiques et les aides logistiques fournis par lui aux mouvements d’opposition en Turquie et les conséquences qui en découleraient pour lui. Il fait encore valoir qu’à l’appui de son recours gracieux, il aurait sollicité une mesure d’instruction supplémentaire dont l’objet aurait été de « clarifier notamment cet aspect du dossier », mais que le ministre de la Justice, en confirmant tout simplement la décision initiale, aurait omis de la prendre en considération.

Il estime qu’il découlerait de ces considérations que la décision serait insuffisamment motivée et que le tribunal serait dans l’impossibilité d’évaluer le bien-fondé de sa demande d’asile. - Il sollicite en outre que le tribunal ordonne une mesure d’instruction supplémentaire « portant sur la situation des opposants Kurdes en Turquie et son influence sur le degré de persécution dont le requérant est à souffrir en cas de retour en Turquie [sic]».

Ensuite, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation de sa situation de fait, étant donné que sa situation spécifique serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte légitime de persécution dans son pays d’origine au sens de la Convention de Genève.

Il fait exposer qu’il serait originaire de Turquie et qu’il appartiendrait à la minorité des Kurdes, qu’il aurait quitté son pays en raison du fait qu’il aurait fait l’objet, ensemble avec sa famille, de nombreuses discriminations de la part des autorités étatiques et ceci uniquement en raison de leur appartenance à la minorité kurde, de leurs opinions politiques et de son activisme pour la cause kurde. Il fait préciser qu’il aurait été membre du parti « HDP » et ensuite, du « HADEP » et qu’en raison de son engagement, impliquant notamment la distribution de tractes, il aurait été arrêté et interrogé par la police. Il soutient par ailleurs qu’en tant que Kurde, il aurait été privé de l’accès à l’enseignement, du droit à un travail et à l’exercice d’une profession libérale. Il renvoie en outre à différents rapports établis par des organisations non-gouvernementales qui prouveraient que la minorité kurde ferait l’objet de discriminations et de persécutions de la part des autorités turques.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Concernant le moyen d’annulation soulevé par le demandeur, il y a lieu de constater que le ministre avait connaissance du fait que Monsieur … est un sympathisant de la cause kurde, ainsi que de son engagement pour les mouvements d’opposition en Turquie, étant relevé que ces motifs ont été invoqués par le demandeur à l’appui de la demande d’asile et que le ministre les a pris en considération dans sa décision initiale du 4 septembre 2001, tel qu’il se dégage du libellé ci-avant repris de celle-ci. Or, en l’absence d’un élément supplémentaire et nouveau soumis par le demandeur au ministre dans le cadre de son recours gracieux, une instruction supplémentaire de sa demande d’asile n’était dès lors pas requise. Ledit ministre a donc pu s’estimer utilement informé quant à la situation de fait du demandeur et par sa décision confirmative se référer à la motivation - exhaustive en fait et en droit - contenue dans la décision initiale.

Il s’ensuit que le moyen afférent n’est pas fondé et doit être écarté.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, n° 9699 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié (cf. Cour adm. 5 avril 2001, n°12801C du rôle, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, C. Convention de Genève, n° 35).

En l’espèce, sur base des éléments du dossier et sans qu’il soit nécessaire de recourir à des vérifications ou mesures d’instructions supplémentaires - telle que celle proposée par le demandeur -, l’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de ses auditions en date des 12 novembre 2000 et 31 mai 2001, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, en ce qui concerne la situation du demandeur en tant que membre de la minorité kurde de la Turquie, il échet de relever que s’il est vrai que la situation générale des membres de cette minorité est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population turque, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

Or, en l’espèce, les craintes de persécutions invoquées par le demandeur, basées sur son appartenance à la minorité kurde, sont vagues et non autrement circonstanciées, de sorte qu’elles sont insuffisantes pour établir un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les autorités qui sont au pouvoir en Turquie ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant à leurs habitants ou tolèrent voire encouragent des agressions notamment à l’encontre des Kurdes.

En ce qui concerne le fait que le demandeur serait issu d’une famille kurde, sympathisante des mouvements d’oppositions militant pour la cause kurde, et qu’il aurait été un membre actif des partis « HDP » et « HADEP », il y a lieu de retenir que si les activités dans un parti d’opposition peuvent justifier des craintes de persécutions au sens de la Convention de Genève, tel n’est pas le cas en l’espèce, étant donné que le demandeur, à part la distribution de tractes ou la participation à des manifestations n’a pas établi avoir joué un rôle actif au sein dudit parti et avoir eu des activités politiques, qui revêtaient une importance telle qu’une crainte de persécution pour un des motifs prévus par la Convention de Genève serait justifiée.

Il convient encore d’ajouter que les faits allégués par le demandeur relativement à des interrogatoires, des brimades et des gardes à vue qu’il aurait dû subir, à les supposer établis, en raison de ses sympathies déclarées pour la cause kurde et les activités de la « PKK », constituent certainement des pratiques condamnables, mais, en l’espèce, ne dénotent pas une gravité telle qu’ils établissent à l’heure actuelle, un risque de persécution dans le chef du demandeur en raison de ses opinions politiques, tel que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 9 janvier 2003, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15139
Date de la décision : 09/01/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-01-09;15139 ?

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