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09/01/2003 | LUXEMBOURG | N°14982

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 janvier 2003, 14982


Tribunal administratif N° 14982 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 juin 2002 Audience publique du 9 janvier 2003

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Recours formé par Mademoiselle … contre une décision conjointe prise par le ministre de la Justice et le ministre du Travail et de l’Emploi en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 juin 2002 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, assisté de Maître Sandra CORTINOVIS, avocat,

tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mademoiselle …, née...

Tribunal administratif N° 14982 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 juin 2002 Audience publique du 9 janvier 2003

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Recours formé par Mademoiselle … contre une décision conjointe prise par le ministre de la Justice et le ministre du Travail et de l’Emploi en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 juin 2002 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, assisté de Maître Sandra CORTINOVIS, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mademoiselle …, née le …, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision conjointe prise par le ministre de la Justice et le ministre du Travail et de l’Emploi le 4 mars 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en obtention d’une autorisation de séjour ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er juillet 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Ariane KORTÜM, en remplacement de Maître François MOYSE, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 30 septembre 1998, Mademoiselle … introduisit, ensemble avec sa mère et deux autres enfants de celle-ci, une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Par décision du 23 novembre 2000, le ministre de la Justice l’informa que sa demande était rejetée, étant donné qu’elle n’alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social ne serait pas établie.

Un recours gracieux formulé par lettre du 8 janvier 2001 à l’encontre de cette décision ministérielle ayant été rejeté par décision du ministre de la Justice du 16 janvier 2001, Mademoiselle …, ensemble avec ses parents et ses deux frères, introduisit un recours contentieux le 16 février 2001 à l’encontre des deux décisions précitées. Ce recours fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 8 octobre 2001.

A la suite d’une demande afférente présentée en date du 6 juillet 2001 par Mademoiselle …, les ministres de la Justice et du Travail et de l’Emploi prirent le 4 mars 2002 une décision conjointe, portant refus de lui accorder une autorisation de séjour, au motif qu’elle ne disposerait pas de moyens d’existence personnels suffisants légalement acquis lui permettant de supporter ses frais de séjour au Luxembourg, « indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir » et que « le dossier tel qu’il a été remis au Service Commun [des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille, de la Solidarité Sociale et de la Jeunesse] ne permet pas au Gouvernement de [lui] accorder la faveur d’une autorisation de séjour provisoire ».

Par requête déposée le 3 juin 2002, Mademoiselle … a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 4 mars 2002.

Aucune disposition légale ne conférant compétence à la juridiction administrative pour statuer comme juge du fond en matière d’autorisation de séjour, seul un recours en annulation a pu être introduit à l’encontre de la décision ministérielle litigieuse.

Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, la demanderesse conclut d’abord à l’annulation de la décision déférée pour incompétence ratione materiae de l’un de ses auteurs, à savoir le ministre du Travail et de l’Emploi, étant donné que ce dernier n’aurait aucune compétence pour accorder ou refuser une autorisation de séjour, la compétence afférente appartenant au seul ministre de la Justice. Elle estime que le fait d’être signée par un ministre incompétent vicierait la décision sous analyse de manière à devoir en entraîner l’annulation et que le simple fait que la demande afférente présentée par elle en date du 6 juillet 2001 a été introduite dans le cadre d’une procédure dite de régularisation des « sans-papiers », auprès d’un service commun composé de représentants de trois ministères différents, dont celui du Travail et de l’Emploi, ne saurait rendre le ministre du Travail et de l’Emploi compétent pour prendre une décision de refus de délivrance d’une autorisation de séjour. Par ailleurs, le simple fait que la décision en question a également été signée par le ministre de la Justice, compétent en matière d’autorisations de séjour, ne saurait valider ladite décision ou « couvrir par une ratification » la décision prise par un organe incompétent, étant donné qu’il ne serait pas établi en cause que le ministre de la Justice aurait pris une décision allant dans le même sens sans « l’intervention du ministre du Travail ».

En second lieu, la demanderesse conclut à l’annulation de la décision querellée pour « détournement sinon excès de pouvoir et violation de la loi de la part du ministre du Travail et de l’Emploi, sinon des deux ministres signataires ». Elle soutient que sa demande aurait uniquement dû être examinée par les services du ministère de la Justice et que le ministre du Travail et de l’Emploi aurait volontairement usé de ses pouvoirs à des fins autres que celles en vue desquelles ils lui ont été conférés.

Dans un troisième ordre d’idées, qualifié de subsidiaire, la demanderesse critique l’absence de co-signature du ministre de la Famille. Ainsi, elle estime pour le « cas où le tribunal estimerait qu’une telle décision peut être co-signée par plusieurs Ministres, sans violer la loi et la répartition des pouvoirs ministériels, la logique veut que l’on saurait tout au plus concevoir une compétence en la matière du Ministère de la Famille, de la Sécurité Sociale et de la Jeunesse étant donné que parmi ses compétences figurent « l’intégration des étrangers et l’action sociale en faveur des étrangers (…) ». Constatant l’absence de signature dudit ministre, la demanderesse soutient que la décision aurait également dû être signée par lui, en tant que membre de la cellule de régularisation et elle conclut à l’annulation de la décision attaquée.

Enfin, en dernier lieu, la demanderesse soutient que la décision serait illégalement motivée et violerait l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, étant donné qu’elle aurait disposé, au moment de l’introduction de sa demande, d’un logement adéquat auprès de ses employeurs, ainsi que de moyens d’existence personnels suffisants, indépendamment de l’aide matérielle de tiers. Elle reproche ainsi aux ministres de ne pas avoir tenu compte de sa situation personnelle. Dans ce contexte, elle estime remplir les conditions de la « catégorie énoncée sous B) » d’une brochure émise par le « service commun sur la régularisation », composé des ministères de la Justice, du Travail et de l’Emploi et de la Famille, en ce qu’elle résiderait au Luxembourg depuis le 30 septembre 1998, qu’elle serait au service d’une famille résidant au Luxembourg depuis novembre 1999, qu’en contrepartie de ses prestations en faveur de la prédite famille, elle percevrait le salaire social minimum pour travailleurs non qualifiés et qu’en outre, elle serait logée et nourrie par celle-ci, de sorte que ses revenus réels seraient supérieurs au minimum légalement requis pour être « régularisée ».

Concernant les premier, deuxième et troisième moyens d’annulation pris ensemble, force est de constater, comme l’a relevé à bon droit le délégué du gouvernement, qu’en l’état actuel de la législation, une décision relative à l’entrée et au séjour d’un étranger au Grand-

Duché au sens de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère relève de la seule compétence du ministre de la Justice, ceci conformément aux dispositions de l’article 11 de ladite loi et sous les restrictions y énoncées tenant notamment au fait que les décisions afférentes sont prises sur proposition du ministre de la Santé lorsqu’elles sont motivées par des raisons de santé publique.

Il s’ensuit qu’en dépit du fait que la demande en obtention d’une autorisation de séjour de la demanderesse a été introduite auprès d’un service commun regroupant des représentants des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille et que cette demande a par ailleurs été traitée dans le cadre de la régularisation des sans-papiers ainsi désignée, seul le ministre de la Justice est légalement investi de la compétence pour statuer en la matière.

Ainsi, les premier et deuxième moyens soulevés par la demanderesse, basés sur le fait qu’à côté de la signature du ministre de la Justice figure également celle du ministre du Travail et de l’Emploi sur la décision attaquée laissent d’être fondés, étant donné que la signature du ministre du Travail et de l’Emploi n’est pas de nature à mettre en échec, voire de relativiser la compétence en la matière du ministre de la Justice qui, à travers sa signature, a pleinement exercé son pouvoir de décision en la matière. Dans ce contexte, il convient d’ajouter qu’il n’est par ailleurs pas établi que le ministre du Travail et de l’Emploi ait influencé de quelque manière que ce soit la prise de décision du ministre de la Justice.

Par ailleurs, la même conclusion s’impose par rapport au troisième moyen d’annulation, étant donné que le défaut de signature du ministre de la Famille, face à la compétence exclusive du ministre de la Justice en la présente matière, n’est pas de nature à affecter la légalité de la décision attaquée, cette conclusion n’étant pas ébranlée par le fait que l’instruction du dossier a été faite, en tout ou en partie, par un service commun regroupant des représentants de plusieurs ministères.

Ensuite, le moyen tiré d’une insuffisance voire d’une absence de motivation de la décision de refus déférée manque notamment en fait, étant donné qu’il y a lieu de constater qu’il se dégage clairement de la décision attaquée que l’autorisation de séjour a été refusée à Mademoiselle … au motif que celle-ci ne dispose pas de moyens d’existence personnels suffisants légalement acquis lui permettant de supporter ses frais de séjour au Luxembourg, indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir, ceci sur base des dispositions de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972.

L’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : (…) qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

Au vœu de l’article 2 précité, une autorisation de séjour peut dès lors être refusée notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 2002, v° Etrangers, 2. Autorisation de séjour – Expulsion, n° 121 et autres références y citées, page 205).

En outre, la seule preuve de la perception de sommes, en principe suffisantes pour permettre à l’intéressé d’assurer ses frais de séjour au pays, est insuffisante ; il faut encore que les revenus soient légalement perçus (trib.adm. 15 avril 1998 n° 10376 du rôle, Pas. adm.

2002, v° Etrangers, n° 125). Ne remplissent pas cette condition, les revenus perçus par un étranger qui occupe un emploi alors qu’il n’est pas en possession d’un permis de travail et qu’il n’est dès lors pas autorisé à occuper un emploi au Grand-Duché de Luxembourg et toucher des revenus provenant de cet emploi (trib. adm. 30 avril 1998, n° 10508 du rôle, Pas.

adm. 2002, v° Etrangers, n° 125 et autres références y citées).

En l’espèce, force est de constater qu’il ne se dégage ni des éléments du dossier, ni des renseignements qui ont été fournis au tribunal, que Mademoiselle … disposait de moyens personnels propres suffisants et légalement acquis au moment où la décision attaquée fut prise.

En ce qui concerne plus particulièrement les allégations de la demanderesse suivant lesquelles elle aurait travaillé au service d’une famille établie au Luxembourg, il échet de constater, eu égard aux considérations faites ci-avant, que non seulement la demanderesse n’a versé aucun élément de preuve permettant d’établir la réalité d’une telle relation de travail, malgré ses promesses faites dans la requête introductive d’instance, mais qu’en outre, elle reste en défaut d’établir l’existence d’un permis de travail légalement requis en application de l’article 26 de la loi précitée du 28 mars 1972, qui dispose qu’aucun étranger ne pourra être occupé sur le territoire du Grand-Duché sans permis de travail.

En effet, le défaut d’un permis de travail fait obstacle à l’exécution légale et régulière du contrat de travail invoqué à l’appui de la demande en obtention d’une autorisation de séjour, de sorte que la rémunération y fixée ne saurait être considérée, au jour de la prise de la décision litigieuse, comme ayant été légalement acquise par la demanderesse.

A défaut pour la demanderesse d’avoir rapporté la preuve de l’existence de moyens personnels, le ministre de la Justice a dès lors valablement pu refuser l’autorisation de séjour sollicitée sur base de ce motif.

Au-delà de ces considérations tenant à l’application de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, la demanderesse entend tirer argument du fait qu’elle remplirait les conditions posées sous la « catégorie B) » de la brochure intitulée « régularisation du 15.3 au 13.7.

2001 de certaines catégories d’étrangers séjournant sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg », dénommée ci-après la « brochure », éditée par le service commun des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille, et de la Solidarité sociale et de la Jeunesse, dénommé ci-après le « service commun », et que, de ce fait, elle remplirait les critères fixés par le gouvernement en vue de l’octroi d’une autorisation de séjour, lesquels seraient inconciliables avec l’exigence de moyens personnels légalement acquis sous le couvert d’un permis de travail valable.

Conformément à l’article 36 de la Constitution, c’est le Grand-Duc qui fait les règlements et arrêtés nécessaires pour l’exécution des lois. Il se dégage ainsi de cette disposition constitutionnelle que seules les lois, au sujet desquelles la Chambre des députés émet son assentiment conformément à l’article 46 de la Constitution, et qui sont par la suite sanctionnées et promulguées par le Grand-Duc, conformément à l’article 34 de la Constitution, peuvent donner lieu à des règlements grand-ducaux d’application en vue d’assurer leur exécution efficace.

Il s’ensuit qu’une motion adoptée par la Chambre des députés ou tout autre acte voté par celle-ci, à l’exception des propositions ou projets de loi, dûment sanctionnés et promulgués par la suite par le Grand-Duc, ne sauraient conférer au Grand-Duc ou au gouvernement une base valable pour adopter une réglementation dans un domaine déterminé.

Il s’ensuit encore que les motions adoptées par la Chambre des députés lors de ses séances des 14 et 22 mars 2001 portant, d’une part, sur la régularisation de personnes en situation administrative irrégulière et, d’autre part, sur les demandeurs d’asile en cours de procédure ou déboutés ainsi qu’à des personnes susceptibles de bénéficier d’un statut humanitaire, ne sauraient constituer une base légale autorisant le Grand-Duc ou le gouvernement d’instituer un régime portant sur la régularisation d’étrangers se trouvant sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg en situation irrégulière ou en leur qualité de demandeurs d’asile.

Il est vrai que le gouvernement, pris dans son ensemble, ou chaque ministre pris individuellement, dans le cadre de son champ de compétence, tel qu’il est défini par la législation en vigueur, peuvent adopter des directives internes pour se donner des lignes de conduite en fixant notamment des procédures ou critères suivant lesquels certaines affaires qui leur sont soumises ou qui relèvent de leur domaine de compétence doivent être traitées notamment par les fonctionnaires qui se trouvent sous leurs ordres. Toutefois, de telles directives doivent obligatoirement se situer dans le cadre des dispositions légales et réglementaires applicables et elles ne peuvent en aucun cas comprendre des règles allant au-

delà de ce qui est expressément prévu par la loi ou un règlement grand-ducal d’application de celle-ci, sous peine pour le gouvernement ou le ou les ministres ainsi visés, d’excéder leurs pouvoirs et d’empiéter sur une compétence réservée soit au pouvoir législatif soit au pouvoir réglementaire tel que déterminé par l’article 36 de la Constitution.

Il est vrai également que les droits français et belge, tel qu'interprétés par la jurisprudence, reconnaissent les directives qui y sont qualifiées de mécanisme d'autolimitation du pouvoir discrétionnaire de l'administration (v. M.-A. FLAMME, Droit administratif, tome 1er, n° 168, p. 396, Bruylant 1989). Selon le Conseil d'Etat belge, "une directive se distingue précisément d'une règle de droit en cela qu'elle se réfère à une règle de conduite générale par laquelle l'autorité se laissera guider ou du moins de laquelle elle s'inspirera, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, à l'occasion de cas concrets" (C.E. b. 20 juin 1964, cité in M.-

A. FLAMME, op. cit., p. 397).

Dans un contexte constitutionnel identique à celui existant au Luxembourg, le droit belge reconnaît, à côté des directives qui constituent une sorte de "codification des motifs" en matière d'appréciation discrétionnaire, des directives de nature réglementaire ajoutant des règles nouvelles aux règles existantes (v. M.-A. FLAMME, op. cit., n° 168 bis, p. 398).

En l’espèce, force est de constater qu’à travers la brochure, le gouvernement a fixé d’une manière générale et abstraite des critères particuliers afin de permettre à certaines catégories d’étrangers d’obtenir « une autorisation de séjour et/ou un permis de travail » et la brochure, loin de tracer à l'administration un cadre pour guider ses décisions discrétionnaires en matière d'autorisation de séjour et de permis de travail à délivrer à des étrangers séjournant sur le territoire luxembourgeois, crée des règles nouvelles qui dérogent partiellement aux règles légales existantes. C'est ainsi que la brochure permet de considérer qu'un étranger dispose de moyens personnels suffisants au sens de l'article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 dans des cas qui ne sont pas visés par cette disposition, de même qu'elle permet de régulariser par le travail des étrangers qui sont en infraction manifeste avec la législation sur le permis de travail et mettrait ainsi à néant les conditions posées par la loi pour l'octroi d'un tel permis.

Or, si le droit belge reconnaît un pouvoir réglementaire à d'autres organes que ceux constitutionnellement prévus, tel n'est pas le cas au Luxembourg où la Cour constitutionnelle dénie radicalement un tel droit à tout autre organe que celui prévu par l'article 36 de la Constitution (v. Cour const. 6 mars 1998 P. 30, p. 357, pour la différence avec la Belgique, v.

note sous cet arrêt, n° 3, p. 362).

Il faut en conclure que toute directive qui va au-delà de la fixation de lignes de conduite à l'administration dans le cadre d'une législation existante et qui prétend fixer des règles nouvelles voire déroger à des règles existantes, est anti-constitutionnelle.

Il résulte des développements qui précèdent que contrairement aux développements de la demanderesse, la brochure ainsi élaborée par le service commun ne saurait ni déroger à l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 ni rendre celui-ci inapplicable à certaines catégories de personnes.

Par ailleurs, d’une manière générale, les critères ainsi fixés par le gouvernement, dans la mesure où ils doivent en tout état de cause se mouvoir dans le cadre des dispositions légales applicables en matière d’entrée et de séjour des étrangers, ne sauraient trouver application que dans la mesure où ils ne dérogent ni à une disposition légale ni à une disposition réglementaire applicable.

En l’espèce, la demanderesse soutient remplir les conditions posées par la catégorie B) de la brochure suivant laquelle une personne, âgée de 18 ans au moins, qui réside et travaille de manière ininterrompue au Luxembourg depuis le 1er janvier 2000 et qui n’est pas affiliée à la sécurité sociale luxembourgeoise, mais qui a un emploi stable et touche, soit un salaire égal au salaire social minimum pour travailleur non-qualifié, soit un salaire égal au RMG auquel elle peut prétendre compte tenu de sa situation familiale, est susceptible de bénéficier d’« une autorisation de séjour et/ou d’un permis de travail ».

Il appartient donc au tribunal d’analyser si la réglementation telle que décrite sous la catégorie B) de la brochure fixe des lignes de conduite à appliquer par l’administration dans le cadre de la législation existante, sans créer des règles nouvelles ou dérogatoires à des règles existantes.

Dans la mesure où la réglementation ainsi posée par le gouvernement au sujet de la catégorie B), telle que décrite dans la brochure, n’a pas pu faire abstraction des conditions posées par l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, celles-ci restent d’application même en ce qui concerne les étrangers tombant sous le champ d’application de la catégorie B) ainsi définie et c’est partant à bon droit que le ministre de la Justice a pu exiger des demandeurs de disposer de moyens personnels suffisants légalement acquis pour supporter les frais de voyage et de séjour, conformément à l’article 2 précité. Par ailleurs, la réglementation ainsi décrite dans la brochure n’a pas pu déroger aux conditions posées par la loi précitée du 28 mars 1972, et notamment dans ses articles 26 et 27 et par ses règlements grand-ducaux d’application et notamment celui du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers, au sujet de la délivrance d’un permis de travail en faveur d’un non-

ressortissant communautaire. En outre, en posant des critères plus stricts quant aux conditions à remplir par des étrangers afin de se voir délivrer une autorisation de séjour au Grand-Duché de Luxembourg, en ce qu’il est notamment exigé que l’étranger réside et travaille au Luxembourg depuis le 1er janvier 2000 et qu’il doit être âgé d’au moins 18 ans, la réglementation ainsi visée par la catégorie B) décrite dans la brochure dépasse le cadre légal tel que tracé par l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, de sorte que les règles fixées au sujet de la catégorie B) font partie d’une réglementation prise en violation de l’article 36 de la Constitution.

Pour le surplus, il échet de relever qu’il n’est pas établi en cause que la demanderesse remplit les conditions posées par la catégorie B) précitée, aucun élément de preuve afférent n’ayant été produit par elle, malgré la promesse faite par son mandataire de verser en cours d’instance « l’ensemble des pièces justificatives ».

En l’espèce, dans la mesure où il est constant que, d’un côté, la loi permet au ministre de refuser une autorisation de séjour au motif tiré du défaut de moyens personnels suffisants légalement acquis et que, d’un autre côté, aucun texte légalement obligatoire ne prévoit une restriction par rapport à cette possibilité légale de refus dans le chef de l’autorité compétente et, de troisième part, il n’est pas établi que la demanderesse dispose de moyens personnels légalement perçus en exécution d’un contrat de travail ayant fait l’objet de l’approbation sur base d’un permis de travail, il se dégage dès lors de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties;

reçoit le recours en annulation en la forme;

au fond, le déclare non justifié et partant en déboute;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 9 janvier 2003, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 8


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 14982
Date de la décision : 09/01/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-01-09;14982 ?

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