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08/01/2003 | LUXEMBOURG | N°15715

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 janvier 2003, 15715


Numéro 15715 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 décembre 2002 Audience publique du 8 janvier 2003 Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15715 du rôle, déposée le 12 décembre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au t

ableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le …, de nationalité y...

Numéro 15715 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 décembre 2002 Audience publique du 8 janvier 2003 Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15715 du rôle, déposée le 12 décembre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le …, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d'une décision du ministre de la Justice du 5 novembre 2002 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme étant manifestement infondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 décembre 2002;

Vu le mémoire en réplique déposé le 2 janvier 2003 par Maître François MOYSE pour compte de Madame …;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Stephanie JACQUET, en remplacement de Maître François MOYSE, et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 janvier 2003.

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Le 18 septembre 2002, Madame …, préqualifiée, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, elle fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Madame … fut entendue le 10 octobre 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Madame … par décision du 5 novembre 2002, notifiée par courrier recommandé du 14 novembre 2002, de ce que sa demande avait été rejetée comme étant manifestement infondée au motif qu’elle n'alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution pour une des raisons invoquées par la Convention de Genève.

Par requête déposée en date du 12 décembre 2002, Madame … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de cette décision ministérielle de rejet du 5 novembre 2002.

L’article 10 (3) de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant expressément un recours en annulation en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées, le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation. Le recours subsidiaire en annulation est par contre recevable pour avoir été déposé dans les formes et délai de la loi.

A l'appui de son recours, la demanderesse reproche en premier lieu au ministre le non-

respect de l'article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes et de l'article 12 de la loi susvisée du 3 avril 1996 en ce qu'il n'aurait pas satisfait à l'obligation de motivation inscrite dans ces dispositions. Elle fait valoir à cet égard que la décision déférée du 5 novembre 2002 ne ferait pas allusion à sa situation personnelle et n'en tiendrait pas compte, mais se limiterait à reprendre une décision-type pour affirmer notamment l’existence d’une possibilité de fuite interne. Elle ajoute que le ministre se référerait à tour de rôle à l'article 4 du règlement grand-

ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996, relatif à une possibilité de fuite interne, et au fait que la demande d'asile serait abusive, hypothèse pourtant visée par l'article 6 dudit règlement grand-ducal du 22 avril 1996, de manière qu'elle n'aurait pas été mise en mesure de déceler le motif exact de refus de sa demande d'asile et plus particulièrement de voir en quoi consisterait l’abus de droit.

Force est de constater que ledit moyen laisse d’être fondé, étant donné qu’il ressort du libellé de la décision déférée du 5 novembre 2002 que le ministre de la Justice a indiqué de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait, sur lesquels il s’est basé pour justifier sa décision de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance de la demanderesse. L’appréciation de la réalité des motifs figurant dans la décision ministérielle litigieuse relève de l’examen au fond de la justification de ladite décision.

Quant au fond, la demanderesse expose appartenir à la minorité des bochniaques du Kosovo et avoir subi des persécutions en raison notamment de ses convictions religieuses et politiques. Elle relève plus particulièrement avoir fait l'objet de menaces du fait de la fonction occupée par son père au sein du ministère des Affaires intérieures, en ce que ce dernier aurait été soupçonné d’avoir coopéré avec les Serbes. La demanderesse estime que, même si elle n'a jamais fait l'objet d'une agression physique, elle ne pourrait pas retourner dans son pays d'origine qui serait « toujours emprunt d’instabilité et de terreur du fait des disparités religieuses, politiques et ethniques persistantes ».

La demanderesse conteste l’existence d’une possibilité de fuite interne laquelle supposerait qu’elle s’installerait dans une autre région de son pays d’origine, à savoir du Kosovo, vu qu’elle ferait partie d’une minorité ethnique dans n’importe quelle région de ce pays. Elle soutient qu’on ne saurait pas non plus l’inviter à déménager dans une autre province de la Yougoslavie contre son gré, vu qu’elle y serait « complètement déracinée » et que le ministre n’aurait pas établi qu’elle y serait en sécurité, le gouvernement fédéral au pouvoir censé lui assurer une protection adéquate y étant le même qu’au Kosovo et des Albanais se trouvant également au Monténégro et en Serbie. Par renvoi à certaines jurisprudences étrangères, elle estime dès lors être en droit de bénéficier du statut de réfugié dans la mesure où son Etat d’origine ne lui fournirait pas une protection appropriée.

Le délégué du Gouvernement rétorque que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New-York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

Au vœu de l’article 4 du règlement grand-ducal précité du 22 avril 1996, « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur d’asile, invoquant des persécutions qui sont limitées à une zone géographique déterminée, aurait pu trouver une protection efficace dans une autre partie de son propre pays, qui lui était accessible ».

En l’espèce, la demanderesse fait essentiellement état de persécutions émanant d’Albanais habitant au Kosovo en raison de son appartenance à la minorité bochniaque et de la fonction revêtue par son père au sein de l’administration au Kosovo. Il y a partant lieu de retenir que les persécutions invoquées en l’espèce se limitent à la zone géographique du Kosovo, sans que la demanderesse ne se prévale d’une persécution s’étendant sur tout le territoire de la République Fédérale de Yougoslavie.

A partir des éléments ainsi dégagés, il y a lieu de conclure que la situation de la demanderesse est en principe susceptible de s’inscrire dans le cas d’ouverture de l’article 4 du règlement grand-ducal précité du 22 avril 1996, étant donné que la Convention de Genève vise le pays d’origine sans restriction teritoriale (trib. adm. 27 novembre 2002, n° 14928, non encore publié).

Cette même disposition subordonne néanmoins le rejet d’une demande d’asile comme étant manifestement infondée en raison d’une possibilité de fuite interne au double constat qu’il existe un endroit sur le territoire du même Etat d’origine qui est raisonnablement accessible au demandeur d’asile et que celui-ci pourrait y séjourner tout en bénéficiant d’une protection efficace.

Etant donné que dans le cadre d’un recours en annulation, la mission du juge administratif implique l’examen de l’existence et de l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée et la vérification si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée (Cour adm. 17 juin 1997, n° 9481C, Commune de Bourscheid, Pas. adm. 2002, v° Recours en annulation, n° 8 et autres décisions y visées), le tribunal est amené à vérifier en l’espèce s’il y a lieu d’admettre à partir des éléments du dossier lui soumis que la demanderesse disposait effectivement d’un accès raisonnable à une autre partie du territoire yougoslave au moment de la prise de la décision déférée et qu’elle y pouvait bénéficier d’une protection efficace.

Il ressort des éléments du dossier et notamment du rapport de l’audition de la demanderesse que son père et son frère résident au Monténégro dans la ville de Rozaje et que d’autres membres de sa famille vivent dans d’autres villes du Monténégro. La demanderesse a admis à cette même occasion qu’elle avait déjà vécu au Monténégro, mais qu’elle n’y avait pas trouvé de travail et vécu avec de l’aide fournie par des membres de sa famille. La demanderesse a en outre nié, sur question afférente posée lors de son audition, l’existence d’un risque de persécution au Monténégro.

Il y a partant lieu d’admettre que la demanderesse disposait effectivement d’un accès raisonnable au Monténégro au moment de la prise de la décision déférée et qu’elle n’y serait pas « complètement déracinée » au vu de la présence de membres de sa proche famille.

Concernant l’existence d’une protection efficace au Monténégro, la demanderesse a infirmé elle-même l’existence d’un risque de persécutions dont elle ferait l’objet au Monténégro, un défaut de protection efficace ne ressortant par ailleurs pas à suffisance de droit des éléments du dossier.

Force est partant de conclure que la demanderesse disposait effectivement d’un accès raisonnable au Monténégro au moment de la prise de la décision déférée et qu’elle pouvait y bénéficier d’une protection efficace. Il y a lieu d’ajouter que la situation économique de la demanderesse au Monténégro ne peut pas être qualifiée de conséquence directe de son départ du Kosovo suite aux problèmes y rencontrés, la notion de fuite interne ne comportant pas la garantie d’un certain niveau de vie, mais étant essentiellement fonction de la possibilité d’échapper à une persécution. En outre, en l’état actuel de la législation l’octroi du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève ne saurait en principe être étendu au point de couvrir une situation de pauvreté en l’absence de circonstances spécifiques permettant de raccrocher l’état de pauvreté allégué à la situation non pas générale dans le pays d’origine du demandeur d’asile, mais à sa situation personnelle en ce sens que cet état serait en relation directe avec une raison de persécution énoncée par la Convention de Genève (trib. adm. 6 janvier 2003, n° 15690, non encore publié).

Il s’ensuit que le ministre a valablement pu se fonder sur l’article 4 du règlement grand-ducal précité du 22 avril 1996 pour rejeter la demande d’asile de la demanderesse comme étant manifestement infondée, de manière que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé sans qu’il n’y ait lieu d’examiner le moyen de la demanderesse relatif au caractère prétendument abusif de sa demande d’asile.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation, reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 13 janvier 2003 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, Mme THOMÉ, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT S. LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15715
Date de la décision : 08/01/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-01-08;15715 ?

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