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06/01/2003 | LUXEMBOURG | N°15013

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 janvier 2003, 15013


Tribunal administratif N° 15013 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 juin 2002 Audience publique du 6 janvier 2003

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Recours formé par Madame …, épouse … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15013 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 juin 2002 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxemb

ourg, au nom de Mme …, épouse …, née le … à Jakninovo (Macédoine), agissant en son nom personnel, ainsi q...

Tribunal administratif N° 15013 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 juin 2002 Audience publique du 6 janvier 2003

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Recours formé par Madame …, épouse … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15013 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 juin 2002 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mme …, épouse …, née le … à Jakninovo (Macédoine), agissant en son nom personnel, ainsi qu’en celui de ses enfants mineurs …, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 9 avril 2002, notifiée le 15 mai 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 août 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en ses plaidoiries.

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En date du 5 février 2002, Mme …, épouse …, agissant en son nom personnel, ainsi qu’en celui de ses enfants mineurs …, introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Mme … fut entendue le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Elle fut en outre entendue le 28 février 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 9 avril 2002, notifiée le 15 mai 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté la Macédoine le 1er février 2002. Vous avez pris place dans une camionnette qui vous a emmenée au Luxembourg. Vous dites ignorer quels pays vous avez traversés et ne pouvoir donner aucune précision quant au trajet suivi.

Vous êtes arrivée au Luxembourg le 5 février 2002.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 5 février 2002.

Vous exposez que votre maison aurait été brûlée par l’armée macédonienne le 15 mars 2001 et que tous les musulmans de votre village auraient été chassés. Vous dites être sans nouvelle de votre mari qui aurait été appelé à la réserve en mars 2001. De même, vous seriez sans nouvelles de votre famille depuis mai 2001.

Vous ajoutez que vous n’avez plus de logement, mais vous reconnaissez néanmoins que la maison de votre famille, située dix minutes de chez vous n’est pas détruite et qu’elle est actuellement vide puisque toute votre famille l’aurait quittée en mai 2001.

Vous dites avoir quitté votre pays parce que vous avez peur de la vengeance des Macédoniens sur les musulmans.

Vous dites aussi que vous n’étiez membre d’aucun parti politique.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentive au fait que votre récit présente quelques invraisemblances. En effet, maintenant que l’UCK a déposé les armes et qu’un accord est intervenu entre les différentes communautés ethniques, il est peu vraisemblable que votre mari soit encore à la réserve actuellement. Il est de même fort curieux que vous ne vous soyez pas installée avec vos enfants dans la maison familiale, vide depuis mai 2001. Il est tout aussi peu crédible que vous n’ayez de nouvelles d’aucun membre de votre famille, alors que vous dites avoir encore trois frères et quatre sœurs.

De toutes façons, après le dépôt des armes par l’UCK et l’intervention des émissaires occidentaux, un plan de paix a été élaboré, qui accorde des droits aux différentes communautés ethniques.

Enfin, les autres faits invoqués reflètent surtout un sentiment d’insécurité générale.

Or, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Je constate qu’il résulte de vos dires que vous auriez pu profiter du départ de votre famille pour vous reloger sans dommage dans la propriété familiale et vous mettre ainsi à l’abri sans avoir à quitter votre pays d’origine. Quant au sentiment d’insécurité générale, il ne saurait fonder une persécution au sens de la prédite Convention.

Eu égard à ces circonstances, je dois constater que vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est donc refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par requête déposée le 11 juin 2002, Mme …, agissant en son nom personnel, ainsi qu’en celui de ses enfants mineurs …, a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision précitée du ministre de la Justice du 9 avril 2002.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. Le recours en réformation formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.- Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

La procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, le fait que l’avocat constitué pour un demandeur n’est ni présent, ni représenté à l’audience de plaidoiries, est indifférent. Comme la demanderesse a pris position par écrit par le fait de déposer sa requête introductive d’instance, le jugement est réputé contradictoire entre parties.

A l’appui de son recours, la demanderesse soulève en premier lieu un moyen d’annulation tiré de ce que le ministre de la Justice n’aurait pas respecté les prescriptions de l’article 10 (1) de la loi précitée du 3 avril 1996 en ce qu’il prévoit qu’en cas d’irrecevabilité ou de non-fondement manifeste d’une demande d’asile, le ministre doit statuer dans un délai de deux mois.

C’est à juste titre que le délégué du gouvernement a conclu au rejet de ce moyen, étant donné que la prescription invoquée ne vise que la prise des décisions sur base de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 et non pas celles prises dans le cadre de l’article 11 de ladite loi - pour lesquelles aucun délai dans lequel le ministre doit statuer n’est prévu -, et qu’il appert à la lecture de la décision critiquée que le ministre n’a pas agi sur base de l’article 9, mais de l’article 11 de la loi.

La demanderesse soulève encore une violation de ses droits de la défense, au motif que la commission consultative pour les réfugiés n’aurait pas été appelée à s’exprimer et qu’un examen individuel n’aurait pas été réservé à sa demande.

Il convient en premier lieu de relever que depuis que le législateur de 2000 a supprimé le caractère obligatoire de la consultation de la commission consultative pour les étrangers, le ministre de la Justice a la faculté de consulter cette commission en vue d’obtenir son avis sur un dossier individuel, mais que la saisine de la commission n’est en aucun cas obligatoire.

Ainsi, le fait de ne pas avoir soumis le dossier de la demanderesse et de ses enfants à ladite commission ne saurait entraîner l’annulation de la procédure d’élaboration ou de la décision ministérielle prise pour juger du bien fondé de sa demande d’asile (cf. trib. adm. 25 octobre 2001, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, n° 11).

Par ailleurs, force est de constater que la demanderesse a été auditionnée individuellement et en présence d’un traducteur par un agent du ministère de la Justice quant aux raisons justifiant sa demande d’asile et que le ministre de la Justice a répondu à sa demande dans une décision individuelle exhaustivement motivée, de sorte qu’on ne saurait lui reprocher de ne pas avoir respecté les droits de la défense de la demanderesse ou de ne pas avoir réservé un examen individuel à son dossier.

Sur ce, la demanderesse expose encore être de confession musulmane et partant, d’appartenir à une communauté minoritaire en Macédoine, que sa maison aurait été incendiée par des militaires « pour des raisons de vengeance » et qu’elle craindrait qu’en cas de retour en Macédoine, elle risquerait d’être persécutée par la population non-musulmane de son pays d’origine en raison de sa religion musulmane.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Mme … et de ses enfants et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle de la demanderesse et de ses enfants, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Mme ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de son audition en date du 28 février 2002, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef ou celui de ses enfants une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de rappeler qu’un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.

Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Or, en l’espèce, les craintes exprimées par la demanderesse en raison de la prétendue hostilité des non-musulmans à son égard en raison de sa religion musulmane s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

En effet, dans son recours contentieux, la demanderesse fait essentiellement état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre ainsi qu’à l’encontre de ses enfants de la part de membres de la communauté non-musulmane de Macédoine, mais elle ne démontre point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de Macédoine, étant entendu qu’elle n’a pas fait état de l’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités actuellement en place.

Il suit de ce qui précède que la demanderesse n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef ou dans celui de ses enfants. Partant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 6 janvier 2003, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15013
Date de la décision : 06/01/2003

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2003-01-06;15013 ?

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