La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/12/2002 | LUXEMBOURG | N°15712

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 décembre 2002, 15712


Tribunal administratif N° 15712 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 décembre 2002 Audience publique extraordinaire du 20 décembre 2002

=========================================

Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du Gouvernement

--------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15712 du rôle et déposée le 12 décembre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADE

H, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …,...

Tribunal administratif N° 15712 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 décembre 2002 Audience publique extraordinaire du 20 décembre 2002

=========================================

Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du Gouvernement

--------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15712 du rôle et déposée le 12 décembre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité yougoslave, actuellement détenu au Centre de séjour provisoire de Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 28 novembre 2002 instituant à son égard une mesure de placement pour la durée d’un mois ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 décembre 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 18 décembre 2002.

------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

En date du 28 novembre 2002, Monsieur … fut refoulé par les autorités allemandes vers le Luxembourg après avoir traversé irrégulièrement la frontière moyennant un billet de train émis à Luxembourg en date du 27 novembre 2002.

Par arrêté du même jour, le ministre de la Justice refusa l’entrée et le séjour à Monsieur … au motif « que l’intéressé est dépourvu de tout document d’identité et de voyage valable, - qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels ; - qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ».

Monsieur … fut placé, par arrêté ministériel datant également du 28 novembre 2002, au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification dudit arrêté dans l’attente de son éloignement du territoire luxembourgeois.

La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants :

« Considérant que l’intéressé est dépourvu de tout document d’identité et de voyage valable ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Considérant qu’un éloignement immédiat n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ».

Par requête déposée le 12 décembre 2002, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 28 novembre 2002.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 28 novembre 2002. Ledit recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur soulève en premier lieu la nullité du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, pour défaut de base légale, estimant que la loi modifiée du 27 juin 1997 portant réorganisation de l’administration pénitentiaire n’offrirait pas de base légale suffisante à la création, par voie de règlement grand-ducal, d’une structure spécifique au sein du Centre Pénitentiaire de Luxembourg destinée à accueillir les étrangers faisant l’objet d’une mesure de placement.

Le demandeur invoque ensuite « l’absence des conditions pour prononcer une mesure de placement », au motif que l’autorité administrative resterait en défaut de prouver un risque réel dans son chef de se soustraire à une mesure de rapatriement ultérieure, que pareil risque n’existerait en effet pas dans son chef, et que, en outre, le ministre de la Justice n’aurait pas entrepris les démarches nécessaires en vue d’assurer l’exécution sans retard et dans les délais les plus brefs d’une mesure d’éloignement à son encontre. Il fait valoir en outre qu’il ressortirait du dossier administratif que le ministre de la Justice n’aurait pris ni une mesure de refoulement, ni une décision d’expulsion à son encontre et que, par ailleurs, il n’y aurait pas lieu de considérer qu’en l’espèce, il y avait impossibilité d’exécuter une mesure d’expulsion ou de refoulement, le demandeur d’estimer à cet égard que le ministre omettrait d’indiquer dans sa décision les circonstances de fait qui l’ont conduit à retenir cette impossibilité. Il relève à cet égard qu’il serait clair en l’espèce qu’il est venu au Luxembourg en provenance d’Allemagne, de sorte qu’une expulsion ou un refoulement ne seraient nullement impossibles puisque les autorités luxembourgeoises auraient connaissance du pays européen à partir duquel il s’est rendu sur le territoire luxembourgeois, de manière à pouvoir solliciter sans délai sa reprise en tant qu’étranger en situation irrégulière ayant pénétré illégalement sur le territoire luxembourgeois à partir de ce pays.

Le délégué du Gouvernement estime que les conditions justifiant la décision de mise à disposition du Gouvernement seraient remplies, étant donné qu’une décision de refoulement serait sous-jacente à la décision de mise à disposition du Gouvernement et que, par ailleurs, un arrêté de refus d’entrée et de séjour a été pris à l’encontre du demandeur par le ministre en date du 28 novembre 2002. Concernant l’illégalité du règlement grand-ducal précité du 20 septembre 2002, il renvoie à l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée, comme base légale du prédit règlement grand-ducal, qui prévoit dans son alinéa 1er que les étrangers en séjour irrégulière peuvent être placés dans un « établissement approprié ». Partant, ledit règlement grand-ducal ne ferait qu’exécuter la loi, conformément à l’article 36 de la Constitution. Concernant le prétendu caractère disproportionné du placement de Monsieur …, le délégué souligne que ce dernier se trouve placé dans un établissement approprié, à savoir le Centre de séjour provisoire et non pas au Centre Pénitentiaire de Luxembourg proprement dit.

Concernant d’abord le reproche tiré de « l’absence des conditions pour prononcer une mesure de placement », il est constant en cause que la mesure de placement n’est pas basée sur une décision d’expulsion. Il convient partant d’examiner si la mesure en question est basée sur une mesure de refoulement qui, en vertu de l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972, peut être prise, « sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal », à l’égard d’étrangers non autorisés à résidence: « 1) qui sont trouvés en état de vagabondage ou de mendicité ou en contravention à la loi sur le colportage;

2) qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour;

3) auxquels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 de [la loi précitée du 28 mars 1972];

4) qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis;

5) qui, dans les hypothèses prévues à l’article 2 paragraphe 2 de la Convention d’application de l’accord de Schengen, sont trouvés en contravention à la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions ou sont susceptibles de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics ».

Aucune disposition législative ou réglementaire ne déterminant la forme d’une décision de refoulement, celle-ci est censée avoir été prise par le ministre de la Justice à partir du moment où les conditions de forme et de fond justifiant un refoulement, telles que déterminées par l’article 12 de la loi du 28 mars 1972 sont remplies, et où, par la suite, une mesure de placement a été décidée à l’encontre de l’intéressé. En effet, une telle décision de refoulement est nécessairement sous-jacente à la décision de mise à la disposition du gouvernement, à partir du moment où il n’existe pas d’arrêté d’expulsion.

En l’espèce, il est constant que le demandeur a fait l’objet d’un arrêté de refus d’entrée et de séjour de la part du ministre de la Justice en date du 28 novembre 2002.

Parmi les motifs invoqués à l’appui de la décision de placement, le ministre de la Justice fait état du fait que le demandeur se trouve en séjour irrégulier au pays et qu’il n’est pas en possession de moyens d’existence personnels suffisants.

Or, il est patent en cause que le demandeur ne dispose ni des papiers de légitimation prescrits ni de moyens d’existence personnels suffisants, ce qui justifie une mesure de refoulement telle que prévue par l’article 15 de la loi du 28 mars 1972, précitée.

Il suit des considérations qui précèdent que la mesure de refoulement incriminée a été légalement prise.

Concernant ensuite la légalité du prédit règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en séjour irrégulier, c’est à juste titre que le délégué du Gouvernement a relevé que la base légale est donnée par l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, tel que cela ressort d’ailleurs du libellé même dudit règlement grand-ducal. Dans ce contexte, il est indifférent que le Conseil d’Etat, au moment de l’élaboration de la loi du 27 juillet 1997 portant réorganisation de l’administration pénitentiaire, a estimé que l’intervention du législateur serait de mise pour l’hypothèse d’une modification des attributions d’un établissement pénitentiaire, étant donné que le Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière n’est pas à considérer comme un établissement pénitentiaire.

Il s’ensuit que le moyen tiré de la nullité du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 n’est pas fondé.

Pour le surplus, il est constant en cause que par application de la décision litigieuse, le demandeur fut placé non pas dans un établissement pénitentiaire, mais au nouveau Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière créé par le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002, de sorte que le caractère approprié de l’établissement au sens de l’article 15 (1) de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée, se dégage d’un texte réglementaire et ne saurait dès lors plus être sujet à discussion.

En effet, dans la mesure où il n’est pas contesté que le demandeur est en situation irrégulière et qu’il subit une mesure de rétention administrative sur base dudit article 15 en vue de son éloignement du territoire luxembourgeois, il rentre directement dans les prévisions de la définition des « retenus » telle que consacrée à l’article 2 du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 précité, de sorte que toute discussion sur l’existence d’un risque de porter atteinte à l’ordre public et d’un risque de fuite dans son chef s’avère désormais non pertinente en la matière, étant donné que la mise en place d’un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière repose précisément sur la prémisse qu’au-delà de toute considération tenant à une dangerosité éventuelle des personnes concernées, celles-ci, eu égard au seul fait de l’irrégularité de leur séjour et de l’imminence de l’exécution d’une mesure d’éloignement dans leur chef, présentent par essence un risque de fuite, fût-il minime, justifiant leur rétention dans un centre de séjour spécial afin d’éviter que l’exécution de la mesure prévue ne soit compromise.

Au vu de ce qui précède les reproches tirés du prétendu caractère disproportionné de la mesure de placement litigieuse sont également à rejeter comme étant non pertinents.

Conformément aux dispositions de l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée, le placement d’un étranger est prévu sous les conditions suivantes : « (1) Lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre de la Justice, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois », de sorte que le tribunal est amené à vérifier si les autorités administratives ont entrepris les démarches nécessaires et utiles pour assurer un éloignement de la personne placée dans les meilleurs délais, c’est-à-dire de façon à écourter au maximum sa privation de liberté.

En l’espèce, il échet d’abord de constater, sur base des pièces versées en cause, que Monsieur … fut refoulé vers le Luxembourg par les autorités allemandes, étant donné qu’il avait franchi la frontière entre le Grand-Duché de Luxembourg et l’Allemagne par train moyennant un billet acheté au Luxembourg en date du 27 novembre 2002, de sorte que les autorités luxembourgeoises étaient obligées de reprendre le demandeur.

Aucun élément tangible permettant de dégager une possibilité de refoulement du demandeur vers un pays autre que son pays d’origine n’étant établi en cause, c’est encore à juste titre que le ministre de la Justice expose que des démarches nécessaires ont dû être entreprises en vue du rapatriement de Monsieur … vers son pays d’origine. Dans la mesure où il ressort du dossier administratif qu’en date du 29 novembre 2002, soit le lendemain de la mesure de placement, le ministre de la Justice a saisi le service de police judiciaire en vue d’enquêter sur le demandeur en vue de son éloignement, ceci afin de déterminer notamment son identité, le demandeur étant dépourvu des papiers d’identité valables, le reproche formulé à l’égard des autorités luxembourgeoises de ne pas avoir entrepris des démarches suffisantes en vue de l’éloignement du demandeur laisse d’être fondé.

Dans la mesure où c’est dès lors précisément dans l’attente de la mise en oeuvre des formalités préalables à son éloignement que le demandeur est maintenu en placement, la décision déférée ne saurait encourir le reproche de ne pas s’inscrire dans les prévisions légales et réglementaires en la matière.

Cette conclusion ne saurait être énervée par la pièce versée au dossier en date du 19 décembre 2002 par le demandeur, soit postérieurement au débat oral ayant eu lieu en date du 18 décembre 2002, tendant à établir que Monsieur … aurait introduit une demande d’asile au sens de la Convention de Genève auprès des autorités luxembourgeoises en date du 17 décembre 2002, étant donné d’abord que cette pièce ne s’inscrit pas dans le cadre des moyens invoqués à l’appui du recours sous examen, le demandeur n’ayant à aucun moment invoqué, voire allégué ni par écrit, ni oralement lors des plaidoiries de l’affaire en date du 18 décembre 2002, soit postérieurement à la prétendue demande d’asile du 17 décembre 2002, avoir introduit une demande d’asile en date du 17 décembre 2002, et que par ailleurs cette pièce ne saurait à ce stade être considérée comme un élément nouveau justifiant la réouverture des débats étant donné que le simple fait d’avoir rédigé une demande d’asile après avoir séjourné au moins déjà pendant près de trois semaines au pays n’est pas suffisant pour valoir à son auteur la qualité de demandeur d’asile tant qu’il n’est pas établi que cette demande fut introduite auprès de l’autorité compétente telle que définie par la loi, en l’occurrence le ministre de la Justice.

Il se dégage des considérations qui précèdent que la pièce versée par le demandeur en cours de délibéré en date du 19 décembre 2002 est à écarter des débats.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours laisse d’être fondé.

Par ces motifs ;

le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 20 décembre 2002 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15712
Date de la décision : 20/12/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-12-20;15712 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award