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19/12/2002 | LUXEMBOURG | N°15647

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 décembre 2002, 15647


Numéro 15647 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 novembre 2002 Audience publique du 19 décembre 2002 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15647 du rôle, déposée le 25 novembre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat Ã

  la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, ...

Numéro 15647 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 novembre 2002 Audience publique du 19 décembre 2002 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15647 du rôle, déposée le 25 novembre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, et de son épouse, Madame …, née le …, tous les deux de nationalité yougoslave et nés à Gnjilane (Kosovo/Yougoslavie), demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 25 juin 2002, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 22 octobre 2002, prise sur recours gracieux, les deux déclarant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique manifestement infondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 décembre 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 6 mai 2002, Monsieur … et son épouse, Madame …, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Ils furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, ainsi que sur leur identité.

En date du 15 mai 2002, ils furent en outre entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa les époux …-…, par lettre du 25 juin 2002, leur notifiée par lettre recommandée en date du 1er juillet 2002, que leur demande d’asile avait été rejetée comme étant manifestement infondée, au motif qu’ils auraient commis un recours abusif aux procédures en matière d’asile dans la mesure où ils auraient eu au préalable l’occasion de présenter une demande d’asile et que celle-ci n’a été introduite auprès de l’autorité compétente qu’après qu’ils ont reçu une réponse négative à leur demande tendant à la délivrance d’une autorisation de séjour au Grand-Duché de Luxembourg. Ladite décision précise encore que les craintes exposées par eux, en leur qualité de Serbes, seraient manifestement dénuée de fondement, en ce qui concerne leur situation en Serbie, dans la mesure où ils se seraient bornés à indiquer avoir quitté leur pays d’origine en raison du fait qu’ils y auraient été sans travail et qu’il n’y aurait pas eu de place pour eux auprès des membres de leurs familles auprès desquels ils ont logé en Serbie.

Le recours gracieux formé par le mandataire des parties, suivant courrier du 30 juillet 2002, s’est soldé par une décision confirmative du même ministre du 22 octobre 2002 qui ajoute comme motif se trouvant à la base de la décision du 25 juin 2002 celui tiré de la possibilité de fuite interne dont auraient pu profiter les demandeurs, en ce qu’ils auraient pu séjourner en Serbie pendant plusieurs mois, de sorte à ce qu’ils avaient la possibilité d’y trouver une protection efficace, le ministre de la Justice faisant ainsi référence à l’article 4 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2. d’un régime de protection temporaire.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 25 novembre 2002, Monsieur et Madame …-… ont introduit un recours tendant à l’annulation des décisions ministérielles précitées des 25 juin et 22 octobre 2002.

L’article 10 de la loi précitée du 3 avril 1996 disposant expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives, le tribunal est compétent pour connaître du recours, lequel est également recevable pour avoir par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent être originaires du Kosovo, de confession orthodoxe et appartenir à la minorité ethnique serbe. Ils reprochent au ministre une appréciation erronée des faits en ce qu’il a retenu que les éléments par eux soumis ne seraient pas de nature à fonder dans leur chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution et ils soutiennent qu’une appréciation plus juste des éléments en cause aurait dû amener le ministre à reconnaître dans leur chef l’existence d’un risque de persécution au sens de la Convention de Genève. Ainsi, ils exposent avoir quitté le Kosovo en raison des risques pour leur vie émanant de la communauté albanaise. A ce titre, ils invoquent les violences exercées sur Monsieur … et d’autres membres de leur famille par des habitants des villages albanais entourant leur village habité par des Serbes, et ils soutiennent en conclusion qu’il leur serait impossible de vivre « tranquillement » dans ce village, constituant une enclave serbe à l’intérieur du Kosovo du fait des persécutions qu’y subiraient les habitants serbes.

Ils contestent par ailleurs avoir fait un usage abusif des procédures en matière d’asile, en soutenant que le simple fait d’avoir eu recours à une procédure tendant à la délivrance d’une autorisation de séjour au Grand-Duché de Luxembourg, avant d’introduire leur demande d’asile, ne saurait constituer, en lui-même, la preuve d’une fraude à la loi ou d’un recours abusif aux procédures en matière d’asile.

Le délégué du gouvernement soutient que les décisions en cause seraient basées sur, d’une part, l’article 6 du règlement grand-ducal précité du 22 avril 1996, en ce que les demandeurs auraient « largement » eu l’occasion de présenter une demande d’asile au cours de leur séjour de plus de neuf mois au Grand-Duché de Luxembourg et qu’ils n’ont présenté une demande d’asile qu’au vu d’une mesure d’expulsion qui aurait été imminente, en ce qu’ils auraient pu être refoulés vers le Kosovo « d’une minute à l’autre et sans autre forme de procédure » et, d’autre part, l’article 4 du même règlement grand-ducal, en ce qu’en leur qualité de Serbes, ils auraient pu trouver refuge en Serbie où ils auraient pu s’établir définitivement et où ils auraient d’ailleurs séjourné pendant plusieurs mois auprès de membres de leur famille.

Au cours des plaidoiries, le mandataire des demandeurs a soutenu que la Serbie refuserait l’accès sur son territoire de personnes provenant du Kosovo et plus particulièrement de celles qui sont d’origine ethnique serbe et de confession orthodoxe, de sorte que les demandeurs ne possèderaient aucune possibilité effective de fuite à l’intérieur de leur pays d’origine, à savoir la Yougoslavie, en ayant toutefois admis qu’il existerait une enclave à la frontière de la Serbie avec le Kosovo, sur le territoire de la Serbie, où les ressortissants serbe-

orthodoxes du Kosovo pourraient s’établir, conformément à la réglementation applicable en Serbie.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement (…) ».

Au vœu de l’article 4 du règlement grand-ducal précité du 22 avril 1996, « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur d’asile, invoquant des persécutions qui sont limitées à une zone géographique déterminée, aurait pu trouver une protection efficace dans une autre partie de son propre pays, qui lui était accessible ».

En l’espèce, les demandeurs font essentiellement état de persécutions émanant d’Albanais habitant au Kosovo en raison de leur appartenance à la minorité serbe. Les moyens formulés par les demandeurs quant aux risques encourus en cas de retour visant pareillement le Kosovo, il y a lieu de retenir que les persécutions invoquées en l’espèce se limitent à la zone géographique du Kosovo, sans que les demandeurs ne se prévalent d’une persécution s’étendant sur tout le territoire de la République Fédérale de Yougoslavie.

A partir des éléments ainsi dégagés, il y a lieu de conclure que la situation des demandeurs est en principe susceptible de s’inscrire dans le cas d’ouverture de l’article 4 du règlement grand-ducal précité du 22 avril 1996.

Cette même disposition subordonne néanmoins le rejet d’une demande d’asile comme étant manifestement infondée en raison d’une possibilité de fuite interne au double constat qu’il existe un endroit sur le territoire du même Etat d’origine qui est raisonnablement accessible au demandeur d’asile et que celui-ci pourrait y séjourner tout en bénéficiant d’une protection efficace.

Etant donné que dans le cadre d’un recours en annulation, la mission du juge administratif implique l’examen de l’existence et de l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée et la vérification si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée (Cour adm. 17 juin 1997, n° 9481C, Pas. adm.

1/2002, v° Recours en annulation, n° 8, p. 511 et autres références y citées), le tribunal est amené à vérifier en l’espèce s’il y a lieu d’admettre à partir des éléments du dossier lui soumis que les demandeurs disposaient effectivement d’un accès raisonnable à une autre partie du territoire yougoslave au moment de la prise de la décision déférée et qu’ils y pouvaient bénéficier d’une protection efficace.

Il ressort des éléments du dossier, qu’en date du 10 février 2001, les demandeurs se sont rendus en Serbie où ils ont résidé auprès de la sœur de Monsieur … jusqu’à la date du 16 août 2001, date à laquelle ils ont quitté la Serbie pour se rendre au Grand-Duché de Luxembourg. Il résulte ainsi des propres déclarations des demandeurs qu’ils ont pu trouver refuge auprès d’un membre de leur famille en Serbie à la suite de leur départ du Kosovo.

L’affirmation des demandeurs, par ailleurs non autrement étayée, que les autorités serbes leur refuseraient l’accès en Serbie et les installeraient dans une région constituant une enclave située sur le territoire serbe, à la frontière avec le Kosovo, en raison de leur politique de maintenir les Serbes du Kosovo dans cette région, se trouve ainsi contredite par les faits admis par les demandeurs eux-mêmes qui restent pareillement en défaut de faire état de raisons spécifiques à leur personne qui les empêcheraient d’obtenir un accès en Serbie, alors qu’ils avaient pu y entrer et y séjourner auprès de la famille de Monsieur ….

Dans la mesure où, en outre, il n’a été ni allégué ni, a fortiori, établi que les demandeurs risquent de subir des persécutions en Serbie, un défaut de protection efficace ne ressortant par ailleurs pas des éléments du dossier, il y a lieu de considérer que les demandeurs disposaient effectivement d’un accès raisonnable à la Serbie au moment de la prise des décisions déférées et qu’ils pouvaient y bénéficier d’une protection efficace.

Il s’ensuit que le ministre a valablement pu se fonder sur l’article 4 du règlement grand-ducal précité du 22 avril 1996 pour rejeter la demande d’asile des demandeurs comme étant manifestement infondée, sans qu’il y ait lieu de prendre position par rapport au deuxième motif se trouvant à la base de la décision déférée et ayant trait à un prétendu recours abusif aux procédures en matière d’asile, de manière à ce que le recours sous analyse est à rejeter comme étant non fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge et lu à l’audience publique du 19 décembre 2002 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. LEGILLE s. SCHOCKWEILER 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15647
Date de la décision : 19/12/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-12-19;15647 ?

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