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19/12/2002 | LUXEMBOURG | N°15014

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 décembre 2002, 15014


Tribunal administratif N° 15014 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 juin 2002 Audience publique du 19 décembre 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision conjointe prise par les ministres de la Justice et du Travail et de l’Emploi en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15014 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 juin 2002 par Maître Michel KARP, avocat

à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Fu...

Tribunal administratif N° 15014 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 juin 2002 Audience publique du 19 décembre 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision conjointe prise par les ministres de la Justice et du Travail et de l’Emploi en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15014 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 juin 2002 par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Fujian (Chine), de nationalité chinoise, demeurant à L-…, tendant à l’annulation sinon à la réformation d’une décision émanant du ministre de la Justice et du ministre du Travail et de l’Emploi, datant du 24 avril 2002, par laquelle la délivrance d’une autorisation de séjour lui fut refusée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 juillet 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Sevine GUVENCE, en remplacement de Maître Michel KARP, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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A la suite d’une demande afférente présentée en date du 16 juillet 2001 par Monsieur …, les ministres de la Justice et du Travail et de l’Emploi prirent le 24 avril 2002 une décision conjointe, portant refus de lui accorder une autorisation de séjour, au motif qu’il ne disposerait pas de moyens d’existence personnels suffisants légalement acquis lui permettant de supporter ses frais de séjour au Luxembourg, «indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir » et que « [son] dossier tel qu’il a été remis au Service Commun [des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille, de la Solidarité sociale et de la Jeunesse] ne permet pas au Gouvernement de [lui] accorder la faveur d’une autorisation de séjour provisoire ».

Par requête déposée le 12 juin 2002, Monsieur … a introduit un recours tendant à l’annulation sinon à la réformation de la décision ministérielle précitée du 24 avril 2002.

Quant au recours en réformation Encore que le demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Aucune disposition légale ne conférant compétence à la juridiction administrative pour statuer comme juge du fond en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître de la demande subsidiaire en réformation de la décision critiquée.

Quant au recours en annulation Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir que la décision déférée a été prise dans le cadre de la procédure dite de régularisation mise en place par le service commun des trois ministères concernés sur base de critères retenus par le gouvernement et renseignés dans une brochure intitulée « Informations pratiques pour personnes concernées - Régularisation du 15 mai au 13 juillet 2001 de certaines catégories d’étrangers séjournant sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg », de sorte que la motivation à la base de la décision déférée, en ce qu’elle repose sur l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, pour retenir que le demandeur ne disposerait pas de moyens d’existence suffisants légalement acquis lui permettant de supporter ses frais de séjour au Luxembourg indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir, serait fausse, alors que dans le cadre de la campagne de régularisation applicable en l’espèce, les critères d’éligibilité seraient différents de ceux prévus par ladite loi modifiée du 28 mars 1972. Il estime par ailleurs que l’attitude de l’administration consistant à inviter les personnes à présenter une demande en leur indiquant qu’elle sera étudiée sur base des critères de la procédure de régularisation, pour ensuite rejeter leur demande en faisant valoir que la décision est prise sur base des critères fixés par la loi précitée du 28 mars 1972, serait contraire au principe général du droit à la confiance légitime et au principe général de l’égalité des citoyens devant la loi, dont le respect aurait exigé en l’espèce que sa demande soit examinée sur base des critères mis en place pour la procédure de régularisation.

Il fait valoir plus particulièrement qu’il tomberait « indubitablement dans la catégorie A ou B et C » de la procédure de régularisation, dans la mesure où il résiderait au Grand-

Duché de Luxembourg, de manière ininterrompue, depuis début avril 1998 et qu’il aurait conclu un contrat de travail avec le restaurant P. d’A., indiquant comme date d’entrée en service le 1er avril 2002, tout en précisant qu’il aurait travaillé pour cet employeur de manière ininterrompue, sans être affilié à la sécurité sociale luxembourgeoise, depuis 1998. A l’appui de ces affirmations, il fait verser un certain nombre de documents, et notamment des attestations testimoniales qui prouveraient les faits ci-avant exposés.

Le délégué du gouvernement fait valoir que la décision déférée serait basée sur la loi précitée du 28 mars 1972. Comme le demandeur, au moment de la prise de la décision ministérielle, n’aurait pas été en possession d’un permis de travail et n’aurait partant pas été autorisé à occuper un emploi au Luxembourg et à toucher des revenus provenant de cet emploi, ce serait à juste titre que le ministre se serait basé sur l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 pour lui refuser l’autorisation de séjour au Luxembourg à défaut de moyens d’existence personnels suffisants légalement acquis.

L’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : (…) – qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

Au vœu de l’article 2 précité, une autorisation de séjour peut dès lors être refusée notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 2002, V° Etrangers 2. Autorisations de séjour – Expulsions, n° 121 et autres références y citées, p.205).

En l’espèce, force est de constater qu’il ne se dégage ni des éléments du dossier, ni des renseignements qui ont été fournis au tribunal, que le demandeur disposait de moyens personnels propres suffisants et légalement acquis au moment où la décision attaquée fut prise.

Plus particulièrement, eu égard aux considérations ci-avant faites, Monsieur … a tort de soutenir que le contrat de travail, non daté, qu’il a conclu avec le restaurant P. d’A. pour un poste de cuisinier, avec une date d’entrée en service prévue pour le 1er avril 2002, ainsi que le fait d’avoir travaillé depuis 1998 pour le prédit restaurant sans être affilié à la sécurité sociale, établiraient l’existence de moyens personnels suffisants dans son chef, étant donné qu’il reste en défaut d’établir l’existence d’un permis de travail, légalement requis en application de l’article 26 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, qui dispose qu’aucun étranger ne pourra être occupé sur le territoire du Grand-Duché sans permis de travail. En effet, le défaut d’un permis de travail fait obstacle à l’exécution légale et régulière du contrat de travail invoqué à l’appui de la demande en obtention d’une autorisation de séjour, de sorte que la rémunération y fixée ne saurait être considérée, au jour de la prise de la décision litigieuse, comme ayant été légalement acquise par le demandeur.

A défaut pour le demandeur d’avoir rapporté la preuve de l’existence de moyens personnels, le ministre de la Justice a dès lors valablement pu refuser l’autorisation de séjour sollicitée sur base de ce motif.

Au-delà de ces considérations tenant à l’application directe de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972, le demandeur entend tirer argument du fait qu’à travers la brochure intitulée « Régularisation du 15.3 au 13.7. 2001 de certaines catégories d’étrangers séjournant sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg », éditée par le service commun des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille et de la Solidarité sociale et de la Jeunesse, le gouvernement aurait fixé des critères particuliers en vue de l’octroi d’une autorisation de séjour, lesquels seraient inconciliables avec l’exigence de moyens personnels légalement acquis sous le couvert d’un permis de travail valable.

Abstraction faite de la question de savoir si les critères contenus dans la prédite brochure peuvent déroger à la loi précitée du 28 mars 1972, comme le soutient le demandeur, et de celle de la légalité et de l’applicabilité desdits critères, force est de retenir que le demandeur n’a pas établi concrètement qu’il remplirait le cas échéant les conditions édictées par la prédite brochure pour bénéficier de la régularisation. En effet, comme l’a remarqué à juste titre le délégué du gouvernement lors des plaidoiries à l’audience fixée pour la continuation des débats, le demandeur ne tombe dans aucune des 7 catégories énoncées dans la prédite brochure pour pouvoir être régularisé, c’est-à-dire pour obtenir le cas échéant une autorisation de séjour ou un permis de travail. En effet, les catégories A et B exigent en vue de la régularisation du demandeur « par le travail » que ce dernier ait travaillé de manière ininterrompue depuis le 1er janvier 2000, ce qui n’est pas établi en l’espèce, et la catégorie C pose comme condition d’avoir résidé au Grand-Duché de Luxembourg depuis au moins le 1er juillet 1998, condition qui n’est pas non plus remplie.

En effet, il se dégage d’un rapport établi en date du 20 mars 2002 par la police grand-

ducale, service de police judiciaire, que le demandeur, qui a indiqué dans sa demande de régularisation quatre adresses successives où il aurait habité durant son séjour au Luxembourg, s’étalant d’avril 1998 à ce jour, n’a habité à aucune de ces adresses, qu’il fut notamment confronté à ses voisins à l’adresse indiquée comme étant celle de sa dernière résidence, mais qu’aucun des voisins interrogés n’avait pu l’identifier, mais au contraire, qu’ils ont formellement déclaré que Monsieur … n’habitait pas dans leur immeuble. Il ressort à ce sujet du prédit rapport que « … Somit war unserseits klar, dass … besagte Adresse (4 Square Meyer) nicht bewohnte. Sollte die Geschichte stimmen, dass … die vergangene Nacht bei einem Freund verbracht hätte, so müsste er trotzdem im Besitz seines Wohnungsschlüssels sein und nicht dieser dubiose Freund. Die aufgesuchten Nachbarn haben sicherlich keine Ursache abzustreiten, dass … hier wohnhaft sei. Ausserdem konnte man an den erstaunten Gesichtern der Nachbarn absehen, dass … ihnen unbekannt war. Bislang ist somit noch immer unklar wo … tatsächlich wohnhaft ist und welcher Tätigkeit er nachgeht um seinen Lebensaufenthalt zu bestreiten und seine Miete zu zahlen, da das Zimmer noch immer, wie erwähnt, auf seinen Namen vermietet, wahrscheinlich untervermietet, ist ».

Les déclarations du demandeur, ainsi que les attestations testimoniales versées en cause, pour prouver qu’il aurait résidé et poursuivi de manière ininterrompue un travail au Luxembourg depuis l’année 1998, n’établissent pas à suffisance de droit un séjour ininterrompu du demandeur au pays, face plus particulièrement aux informations qui ont été transmises en date du 27 mars 2002 au service de la police judiciaire par les autorités françaises, c’est-à-dire par le service de la police aux frontières de Thionville, dont il se dégage que Monsieur … a résidé en France, à F-…, « où il a bénéficié d’un récépissé de demande de titre de séjour valable du 29 novembre 99 au 28 février 2000. Il a en outre fait l’objet d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, pris par la préfecture de police de Paris le 8 novembre 2000, notifié le 13 novembre 2000 à Paris ».

Force est donc de constater qu’il se dégage des éléments de fait qui précèdent, que le demandeur ne remplit pas les critères énoncés dans la brochure « régularisation », de sorte que le ministre pouvait à juste titre refuser l’octroi d’une autorisation de séjour sans violer les principes de la confiance légitime, ainsi que de l’égalité devant la loi.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 19 décembre 2002, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15014
Date de la décision : 19/12/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-12-19;15014 ?

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