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18/12/2002 | LUXEMBOURG | N°15111

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 décembre 2002, 15111


Tribunal administratif N° 15111 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 juillet 2002 Audience publique du 18 décembre 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Classes Moyennes, du Tourisme et du Logement en matière d'autorisation de faire le commerce

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JUGEMENT

Vu la requête déposée le 11 juillet 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Victor GILLEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à L

uxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du minist...

Tribunal administratif N° 15111 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 juillet 2002 Audience publique du 18 décembre 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Classes Moyennes, du Tourisme et du Logement en matière d'autorisation de faire le commerce

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JUGEMENT

Vu la requête déposée le 11 juillet 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Victor GILLEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement du 29 novembre 2001 par laquelle celui-ci a refusé de lui accorder l'autorisation d'établissement pour le métier de « confectionneur de chapes, entrepreneur d’asphaltage et de bitumage, entrepreneur d’isolation thermique, acoustique et d’étanchéité, transformation et rénovation de bâtiments » ainsi que d’une décision confirmative rendue sur recours gracieux par le même ministre en date du 16 avril 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 août 2002;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 30 septembre 2002 au nom du demandeur;

Vu les pièces versées et notamment les décisions attaquées;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Victor GILLEN et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 14 juin 2001, Monsieur … sollicita du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement l'autorisation d'exercer l'activité suivante: « Confectionneur de chapes, entrepreneur d’asphaltage et de bitumage, entrepreneur d’isolation thermique, acoustique et d’étanchéité, transformation et rénovation de bâtiments ».

Sur base d’un avis défavorable afférent de la commission prévue par l’article 2 de la loi modifiée du 28 décembre 1988 réglementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’industriel, ainsi qu’à certaines professions libérales, ci-après désignées respectivement « la commission » et « la loi d’établissement », le ministre, par courrier du 29 2 novembre 2001, sous la signature de Monsieur Albert FRANK, inspecteur principal 1er en rang, informa Monsieur …, qu’il refusait de faire droit à cette demande au motif que :

« Le résultat [de l’instruction administrative] m’amène à vous informer que la commission y prévue a estimé à l’unanimité que Monsieur … ne remplit plus les garanties requises d’honorabilité professionnelle en raison de son implication en qualité de dirigeant dans la faillite de la société … S.A., se ralliant ainsi dans ses conclusions aux renseignements défavorables fournis par les Parquets.

Comme je fais miennes ces prises de position, je suis au regret de ne pouvoir faire droit à votre requête dans l’état actuel du dossier en me basant sur l’article 3, alinéa 1er et 4 de la loi susmentionnée ».

Par un courrier daté du 16 avril 2002, le ministre répondit au recours gracieux introduit par le mandataire de Monsieur … le 28 février 2002, de ce qu’à la suite d’un réexamen du dossier de Monsieur … par la commission et, en l’absence de tout élément probant nouveau, il maintenait sa décision initiale du 29 novembre 2001.

Par requête déposée le 11 juillet 2002, Monsieur … a introduit un recours tendant à l’annulation des décisions ministérielles précitées des 29 novembre 2001 et 16 avril 2002.

L’article 2 (6) de la loi d’établissement, tel que modifié par la loi du 4 novembre 1997 portant modification des articles 2, 12, 22 et 26 de la loi d’établissement, prévoit expressément que le tribunal administratif statue comme juge d’annulation en matière d’autorisations d’établissement, de sorte que le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit suivant les formes et délai de la loi.

Le demandeur fait en premier lieu valoir que la décision attaquée du 29 novembre 2001 « pêche par défaut de précision et de pertinence, voire absence de motivation » et devrait encourir l’annulation de ce chef.

Le délégué du gouvernement rétorque que ce moyen d’annulation serait dénué de tout fondement, étant donné que la motivation fournie par le ministre serait suffisamment complète pour mettre le demandeur en mesure d’assurer la défense de ses intérêts.

L’article 2 alinéa 2 de la loi d’établissement dispose que « lorsque l’autorisation est refusée, la décision ministérielle doit être dûment motivée ».

En l’espèce, il se dégage des décisions ministérielles déférées que le refus d’autorisation est basé sur l’implication du demandeur dans la faillite de la société … S.A. en tant que dirigeant de cette dernière, ainsi que sur des rapports du parquet et du curateur et sur l’avis unanime défavorable de la commission. Cette motivation est suffisamment précise tant en droit qu’en fait et elle a mis le demandeur en mesure d’assurer utilement la défense de ses intérêts.

Il s’ensuit que le moyen tiré du défaut de motivation suffisante des décisions déférées doit être rejeté. Par ailleurs, en ce qui concerne la pertinence de la motivation avancée par le ministre, celle-ci sera examinée ci-après.

3 Ensuite, le demandeur reproche au ministre d’avoir fait une appréciation erronée de sa situation, et notamment de son rôle joué au sein de la société …, dans la mesure où il n’aurait jamais été le gérant administratif, mais uniquement le gérant technique de cette société et que dans le cadre de cette fonction, il ne se serait pas occupé du volet administratif mais uniquement de l’organisation technique des chantiers. Il fait valoir que lors de l’introduction de son recours gracieux, il aurait expliqué cet état de chose au ministre, mais que ce dernier ne se serait pas « soucié de ces explications », étant donné qu’il aurait tout simplement rejeté son recours à défaut d’éléments probants nouveaux.

Le demandeur estime encore que les rapports fournis par le parquet et le curateur de la société … seraient « plus que laconiques » et contiendraient tout au plus des suppositions et des suggestions quant aux raisons ayant conduit à la faillite de la société …. Il estime que les prédits rapports seraient de toute manière trop vagues et qu’il n’y serait pas indiqué comment et en quoi il aurait personnellement été impliqué dans la prédite faillite, de sorte que le refus du ministre devrait encourir l’annulation.

Il souligne finalement que l'implication dans une faillite n'entraînerait pas nécessairement et péremptoirement le défaut d'honorabilité professionnelle. Il estime dans ce contexte qu'il n'existerait aucun acte personnel de sa part qui permettrait de conclure à une absence d'honorabilité dans son chef. Au contraire, les administrateurs de la société … S.A.

auraient tout mis en œuvre pour sauver la société en y mettant des moyens personnels, mais qu’en raison « d’autres faillites », « de procès qui traînaient » et de « l’indulgence de l’administration de l’enregistrement et des domaines » qui aurait refusé d’accorder « certains délais », la société n’aurait pas pu s’en sortir. Il conclut qu’il faudrait non seulement considérer le « résultat, mais aussi les raisons ainsi que tous les tenants et aboutissements avant de prendre une décision de refus ».

Le délégué du gouvernement rétorque que pour obtenir l’autorisation d’établissement, le postulant doit disposer de l’honorabilité professionnelle, conformément aux dispositions de l’article 3, alinéa 1er de la loi d’établissement et que cette honorabilité serait évaluée sur base des antécédents judiciaires du postulant, ainsi que de tous les éléments fournis par l’enquête administrative. Il se réfère plus particulièrement aux rapports fournis par le curateur de la faillite de la société … S.A. et le parquet, desquels il se dégagerait que Monsieur … aurait été un des administrateurs de cette société, qu’à ce titre, il aurait participé dans le processus décisionnel et qu’une des causes de la faillite serait que la gestion de la société aurait été caractérisée par une série d’erreurs, que le substitut du parquet qualifie de « mauvaise gestion ».

Le délégué du gouvernement relève par ailleurs que l’article 2 alinéa 4 de la loi d’établissement prévoit une cause spécifique de refus ou de retrait de l’autorisation, laquelle se suffirait à elle-même, tout en relevant également de l’honorabilité professionnelle, en disposant qu’au cas « où l’intéressé violerait ses obligations professionnelles légales ou se soustrairait aux charges sociales et fiscales que lui impose sa profession, l’autorisation peut être refusée ou révoquée ». Estimant que cette hypothèse serait vérifiée en l’espèce, ceci au regard notamment du non-paiement des charges sociales et fiscales s’élevant à un montant de 2,8 millions de LUF auprès du Centre Commun de la sécurité sociale au jour du prononcé de la faillite et de 1.880.014 LUF auprès de l’administration des contributions ainsi que du non-

paiement de la TVA, s’élevant à plus de 22 millions de LUF au titre des années 1998-2000, il fait valoir que les décisions ministérielles déférées seraient justifiées à ce titre.

4 Il soutient finalement que le fait de maintenir le crédit de la société en accumulant des dettes auprès des organismes publics et auprès des fournisseurs, de ne pas faire l’aveu de la cessation de paiement ou de faire celui-ci tardivement, ne concorderait pas avec les agissements honnêtes de la profession.

En vertu des dispositions de l’alinéa 1er de l’article 3 de la loi d’établissement « l’autorisation ne peut être accordée à une personne physique que si celle-ci présente les garanties nécessaires d’honorabilité et de qualification professionnelles ». Au voeu de l’alinéa final du même article 3, « l’honorabilité s’apprécie sur base des antécédents judiciaires du postulant et de tous les éléments fournis par l’enquête administrative ». Ainsi, toutes les circonstances révélées par l’enquête administrative et pouvant avoir une incidence sur la manière de l’exercice de la profession faisant l’objet de la demande d’autorisation, doivent être prises en compte par le ministre compétent pour admettre ou récuser l’honorabilité dans le chef du demandeur d’une autorisation.

Si le seul fait d’avoir été impliqué dans une faillite n’entraîne pas nécessairement et péremptoirement le défaut d’honorabilité professionnelle dans le chef d’un demandeur d’une autorisation d’établissement, toujours est-il que des faits permettant de conclure dans le chef du gérant ou de l’administrateur délégué à l’existence d’actes personnels portant atteinte à l’honorabilité professionnelle, constituent des indices suffisants pour refuser l’autorisation sollicitée (trib. adm. 5 mars 1997, n° 9196 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Autorisations d’établissement, n° 71 et autres références y citées).

En l'espèce, il se dégage des pièces versées que la société … S.A., dont Monsieur … était un des administrateurs, ensemble avec son père, Monsieur Paul … et son frère, Monsieur Paul-Henri CIERNAK, fut déclarée en état de faillite par jugement du tribunal d’arrondissement du 31 mai 2001.

Force est de constater en premier lieu qu’au-delà des faits reprochés dans les décisions ministérielles déférées ayant trait à l’honorabilité professionnelle du demandeur au sens de l’article 3 alinéa 1er de la loi d’établissement précitée, le délégué du gouvernement a encore complété les motifs à la base des décisions déférées à travers son mémoire en réponse en insistant sur les dispositions expresses de l’article 2 alinéa 4 de la loi d’établissement.

Le tribunal étant appelé à examiner au-delà des motifs invoqués à l’appui d’une décision lui déférée également ceux avancés dans le cadre de la procédure contentieuse par l’autorité ayant pris la décision via son mandataire (cf. trib. adm. 15 avril 1997, n° 9510 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 44 et autres références y citées), il y a dès lors lieu de constater que la motivation de la décision de refus litigieuse ne repose pas exclusivement sur le défaut d’honorabilité professionnelle dans le chef du demandeur, mais que l’incapacité de gérer une entreprise mise en avant pour justifier les décisions s’analyse également en un motif de refus pour défaut des garanties nécessaires de qualification professionnelle au sens de la loi d’établissement.

Il se dégage à ce sujet des pièces versées au dossier et plus particulièrement du rapport établi le 26 septembre 2001 par le 1er substitut du procureur d’Etat que le total des dettes de la faillite … S.A. s’élevait à 74.445.401.- LUF pour un actif de 2.112.647.- LUF, de sorte qu’il se dégage de ces chiffres que c’est à bon droit que le ministre a mis en doute les capacités du demandeur à mener à bien la gestion d’une petite entreprise. Cette conclusion ne saurait être énervée par le fait qu’il « n’était que le gérant technique », dans la mesure où, comme l’a 5 affirmé à bon droit le délégué du gouvernement, le père et ses deux fils sont pareillement responsables de la faillite de la société … S.A. et que la fonction administrative ou technique qu’ils exerçaient au sein de la société familiale ne saurait les délier de leur responsabilité, dans la mesure où, en tant qu’administrateurs et actionnaires de la société … S.A., ils étaient censé connaître l’évolution des affaires de la société.

Cette incapacité du demandeur de mener à bien une entreprise, mise à jour à travers les différents rapports établis dans le cadre de la faillite, ne peut pas rester sans conséquence au niveau de l’instruction d’une nouvelle demande en autorisation pour l’exercice d’un métier rentrant dans l’objet de la société faillie … S.A., demande ayant été introduite seulement quinze jours après le jugement déclarant la société … S.A. en état de faillite, étant donné que la finalité de la procédure d’autorisation préalable consiste précisément à garantir la sécurité de la profession et d’éviter l’échec de futures activités, ceci afin d’assurer la protection de futurs clients ou consommateurs.

Par ailleurs, le fait de ne pas avoir respecté ses obligations professionnelles par le non-

paiement des charges sociales et fiscales obligatoires et le fait de maintenir le crédit de la société en accumulant les dettes auprès des organismes publics et auprès des fournisseurs et instituts de crédits, ainsi que d’avoir fait l’aveu de la cessation de paiement que tardivement, de manière à compromettre l’existence même des co-contractants, ne concordent pas avec les agissements honnêtes de la profession, de sorte que les décisions déférées ne sauraient encourir le reproche de reposer sur une erreur manifeste d’appréciation des faits. Le recours en annulation sous examen laisse partant d’être fondé.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours est à déclarer non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en annulation en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 18 décembre 2002, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

6 s. Legille s. Schockweiler


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15111
Date de la décision : 18/12/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-12-18;15111 ?

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