La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/12/2002 | LUXEMBOURG | N°15030

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 décembre 2002, 15030


Tribunal administratif N° 15030 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 juin 2002 Audience publique du 18 décembre 2002

============================

Recours formé par Monsieur …, … contre une décision conjointe prise par le ministre de la Justice et le ministre du Travail et de l’Emploi en matière d’autorisation de séjour

--------------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15030 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 juin 2002 par Maîtr

e Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de ...

Tribunal administratif N° 15030 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 juin 2002 Audience publique du 18 décembre 2002

============================

Recours formé par Monsieur …, … contre une décision conjointe prise par le ministre de la Justice et le ministre du Travail et de l’Emploi en matière d’autorisation de séjour

--------------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15030 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 juin 2002 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision conjointe prise par le ministre de la Justice et le ministre du Travail et de l’Emploi le 5 mars 2002, portant refus d’une autorisation de séjour dans son chef ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 juin 2002 ;

Vu l’ordonnance du vice-président du tribunal administratif du 20 juin 2002 déclarant les demandes en sursis à exécution et en institution d’une mesure de sauvegarde du demandeur non-justifiées ;

Vu l’avis de rupture du délibéré du tribunal administratif du 13 novembre 2002 ;

Vu le mémoire complémentaire de Maître Edmond DAUPHIN pour compte du demandeur déposé au greffe du tribunal administratif le 6 décembre 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Edmond DAUPHIN et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 novembre 2002, ainsi que Maître Edmond DAUPHIN et Monsieur le Délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 9 décembre 2002.

Monsieur …, après s’être vu refuser l’octroi du statut de réfugié au Grand-

Duché de Luxembourg, déposa en date du 10 juillet 2001 une demande en obtention d’une autorisation de séjour auprès du service commun des ministères du Travail et de l’Emploi, de la Justice et de la Famille, établi dans la zone d’activité « Cloche d’Or », 5, rue G.Kroll, L-2149 Luxembourg, ci-après dénommé le « service commun ».

Cette demande fut formulée sur base du formulaire ayant circulé dans le cadre de la procédure dite de « régularisation », ci-après dénommée « la brochure », le demandeur déclarant appartenir à la « catégorie C » qui vise les personnes « résidant de façon ininterrompue au Grand-Duché de Luxembourg depuis le 1er juillet 1998 au moins ».

Suivant décision du 5 mars 2002, signée par le ministre de la Justice d’une part et le ministre du Travail et de l’Emploi d’autre part, le demandeur s’est vu refuser sa demande en obtention d’une autorisation de séjour aux motifs que « selon l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, la délivrance d’une autorisation de séjour est subordonnée à la possession de moyens d’existence personnels suffisants légalement acquis permettant à l’étranger de supporter ses frais de séjour au Luxembourg, indépendamment de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à lui faire parvenir.

Comme vous ne remplissez pas cette condition, une autorisation de séjour ne saurait vous être délivrée. (…) ».

Par la même décision, il fut invité à quitter le Luxembourg endéans un délai d’un mois.

Monsieur … a fait introduire un recours en annulation à l’encontre de la décision prévisée du 5 mars 2002 par requête déposée le 14 juin 2002.

Dans la mesure où ni la loi prévisée du 28 mars 1972, ni aucune autre disposition légale, n’instaure un recours au fond en matière de refus d’autorisation de séjour, le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Au fond, le demandeur soutient qu’il aurait travaillé en qualité d’aide-boucher du 12 avril au 15 juin 2000, date à laquelle son permis de travail antérieurement délivré n’aurait pas été renouvelé, qu’il suivrait actuellement une formation de garçon-boucher, de sorte qu’il remplirait les conditions posées par l’article 4.2) du règlement grand-ducal du 28 mars 1972 relatif aux formalités à remplir par les étrangers séjournant au pays, étant donné qu’il justifierait de la possibilité d’acquérir de manière légale de moyens d’existence personnels. Dans ce contexte, il soutient encore que l’interprétation donnée par le ministre de la Justice de la disposition réglementaire précitée aurait pour conséquence de faire une discrimination illégale entre les personnes possédant une fortune personnelle importante et ceux, qui aux fins de subvenir à leur besoin, devraient aller travailler et solliciteraient de ce fait la délivrance d’un permis de travail, dont l’émission serait subordonnée à l’existence d’un permis de séjour antérieurement délivré, ce qui les mettraient dans un « cercle vicieux ». Le demandeur estime encore qu’il lui est incompréhensible que l’exécutif ne lui accorderait pas le bénéfice d’un permis de travail, alors qu’il aurait déjà démontré de par le passé qu’il serait parfaitement en mesure de subvenir à ses besoins, à condition de lui donner la possibilité de travailler, telle que ce fut le cas pour la période durant laquelle un permis de travail antérieur lui avait été délivré. En conclusion, il estime remplir la condition posée par la prédite loi du 28 mars 1972 relative aux moyens personnels suffisants dans la mesure où devraient être pris en considération les revenus disponibles ou, à défaut, « tout autre revenu pouvant être légalement perçu », et qu’au moment de l’introduction de sa demande il aurait été en mesure d’être employé par différentes personnes physiques ou morales.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du Gouvernement fait valoir qu’au moment de la prise de décision ministérielle, le demandeur n’était pas en possession d’un permis de travail, et que ce serait partant à juste titre que le ministre s’est basé sur l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 pour refuser l’autorisation de séjour à défaut de moyens d’existence personnels suffisants légalement acquis dans le chef du demandeur.

Dans son mémoire complémentaire du 6 décembre 2002, suite à la rupture de délibéré du 13 novembre 2002, Monsieur … estime que le ministre de la Justice n’aurait aucune compétence liée en la matière, mais bénéficierait d’un pouvoir discrétionnaire pour apprécier dans chaque cas d’espèce si la condition de disposer de moyens personnels suffisants serait remplie. Sur ce, il estime que le Ministre ne se serait pas conformé à la loi en refusant d’examiner concrètement dans son chef s’il remplirait le critère de moyens d’existence personnels suffisants. Le demandeur estime encore que le ministre aurait dû déroger à l’exigence posée sub. A) de la brochure, qui impose le critère du travail ininterrompu au Luxembourg depuis le 1er janvier 2000, eu égard au fait que cette interruption lui aurait été imposée par l’« Exécutif » en vertu de l’interdiction dans son chef de « conclure un contrat de travail » et qu’il serait inéquitable sinon « franchement hypocrite » de lui reprocher de ne pas avoir travaillé et de le priver de sorte d’un avantage accordé à d’autres personnes qui ne se sont pas conformées à l’interdiction légale de conclure un contrat de travail. Partant Monsieur … estime avoir rapporté la preuve qu’il serait en mesure de gagner sa vie, de sorte à pouvoir bénéficier de l’octroi d’une autorisation de séjour.

En termes de plaidoiries, le représentant étatique a d’abord précisé qu’il ressortirait du dossier que le demandeur n’aurait pas résidé de façon interrompue au Luxembourg depuis le 1er juillet 1998, de sorte qu’il ne pourrait pas bénéficier du critère de régularisation visant les personnes déclarant appartenir à la « catégorie C » de la brochure. Pour le surplus, il ressortirait du texte de deux motions de la Chambre des députés des 14 et 22 mars 2001 que l’intention du Gouvernement aurait été d’accorder, d’un côté, une autorisation de séjour aux demandeurs d’asile entrés sur le territoire du Luxembourg avant le 1er juillet 1998, aux demandeurs d’asile faisant partie d’une minorité ethnique en provenance du Kosovo entrés sur le territoire national avant le 1er janvier 2000 et aux personnes particulièrement vulnérables, et d’un autre côté, de régulariser les personnes en situation administrative irrégulière, également dénommées les « sans papiers », remplissant certains critères qui témoignent de leur intégration durable au Luxembourg, à savoir ceux ayant résidé au Luxembourg depuis le 1er juillet 1998 et ayant trouvé un emploi à durée indéterminée endéans un bref délai après l’acceptation du principe de la demande de régularisation, ceux qui ont un emploi à durée indéterminée depuis le 1er janvier 2000, ceux qui sont âgés de plus de 65 ans et/ou atteints d’une maladie grave et ceux pouvant bénéficier d’un regroupement familial en tant qu’ascendant ou descendant du 1er degré. Il s’ensuivrait que Monsieur … ne pourrait bénéficier d’une autorisation de séjour, étant donné qu’il ne tomberait dans aucune des ces catégories.

Il y a lieu de constater que la décision attaquée indique que l’autorisation de séjour a été refusée à Monsieur … au motif qu’il ne remplirait par la condition de la possession de moyens d’existence personnels suffisants légalement acquis au Grand-

Duché de Luxembourg et que le ministre a appliqué l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 pour refuser l’autorisation de séjour sollicitée. La prédite décision précise encore que « le dossier tel qu’il a été remis au service commun des ministères de la Justice, du Travail et de l’Emploi, et de la Famille ne permet pas au Gouvernement de [lui] accorder la faveur d’une autorisation de séjour provisoire ».

L’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée, dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : – qui est dépourvu de papiers de légitimation prescrits, et de visa si celui-ci est requis, – qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

Au vœu de l’article 2 précité, une autorisation de séjour peut dès lors être refusée notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 2002, V° Etrangers 2. Autorisations de séjour – Expulsions, n° 121 et autres références y citées).

La légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait existant au jour où elle a été prise, de même qu’il appartient au juge de vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels se fonde l’administration, sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute, sans qu’il ne puisse se livrer, dans le cadre d’un recours en annulation, à une appréciation de l’opportunité de la décision litigieuse.

Or, en l’espèce, force est de constater qu’il ne se dégage ni des éléments du dossier, ni des renseignements qui ont été fournis au tribunal, que le demandeur disposait de moyens personnels propres suffisants au moment de l’introduction de sa demande en date du 10 juillet 2001 et a fortiori au moment de la prise de décision attaquée du 5 mars 2002, le permis de travail en qualité d’aide-boucher pour la période du 12 avril au 15 juin 2000 auprès de la société d’exploitation des produits de viande … s.à r.l., étant expiré depuis plus d’un an et n’ayant plus été renouvelé par la suite.

Il en est de même de la déclaration de prise en charge de Madame …, adressée à Maître Edmond DAUPHIN en date du 26 mars 2002, qui n’établit pas non plus l’existence de pareils moyens personnels suffisants, une prise en charge signée par un tiers n’étant pas suffisante pour être considérée comme preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour dans le chef de Monsieur … (voir trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 2002, V° Etrangers, n° 121 et autres références y citées).

Concernant l’argumentation du demandeur basée sur l’article 4.2) du prédit règlement grand-ducal du 18 mars 1972 ayant trait à la possibilité d’obtenir de manière légale des moyens d’existence personnels au vu des perspectives d’embauche dont il disposerait, il convient de retenir que l’étranger qui, au moment de la prise de décision ministérielle n’est pas en possession d’un permis de travail ne justifie pas de la possibilité légale de toucher à l’avenir de pareils moyens d’existence personnels, la délivrance d’un permis de travail étant fonction notamment de considérations tirées des impératifs dérivant du marché de l’emploi du point de vue notamment de sa situation, de son évolution et de son organisation et ceci en vue de la protection sociale aussi bien des travailleurs désirant occuper un emploi au Luxembourg que des travailleurs déjà occupés au pays (cf. trib. adm. 14 octobre 1998, n° 10572 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Travail, n° 20 et autres références y citées).

A cela s’ajoute que la décision sous analyse du 5 mars 2002 porte exclusivement rejet d’une demande formulée par Monsieur … tendant à la délivrance d’une autorisation de séjour et il ne ressort d’aucun élément contenu dans ladite décision ministérielle que celle-ci avait également pour objet de refuser la délivrance d’un permis de travail, de sorte que le tribunal n’est pas amené à se prononcer sur les motifs d’une éventuelle interdiction de travail dont le demandeur se prétend victime.

Concernant ensuite la possibilité pour le demandeur de se voir régulariser par le biais des critères de régularisation de la brochure, force est de constater qu’au-delà de toute question pouvant se poser quant la compatibilité de ces critères par rapport aux règles légales existantes en matière d’autorisation de séjour et de permis de travail, et abstraction faite de ce que la décision attaquée ne résulte manifestement pas d’un examen du dossier au regard des critères tel qu’énoncés à la brochure, le demandeur ne remplit en tout état de cause pas la condition d’une résidence ininterrompue au Luxembourg depuis le 1er juillet 1998 telle qu’inscrite au point C) de la brochure. En effet, le demandeur, en date du 10 juillet 2001, au moment de la remise de son formulaire auprès du service commun a déclaré lui même être arrivé au Luxembourg seulement en date du 26 octobre 1998, fait d’ailleurs confirmé par son mandataire à l’audience publique du 9 décembre 2002.

Pour le surplus, il ne fait pas de doute, au vu des pièces annexées à la demande du 10 juillet 2001 et notamment de la déclaration d’engagement de Monsieur …, que le demandeur a cherché à obtenir une autorisation de séjour par le travail, même s’il a uniquement coché la case sub. C) de la brochure.

Comme toute autorité administrative est tenue d’appliquer d’office le droit applicable à l’affaire dont elle est saisie et comme il appartient à l’administration de dégager les règles applicables et de faire bénéficier l’administré de la règle la plus favorable (cf. trib. adm. 13 décembre 2000, n° 12093 du rôle, Pas. adm. 2002, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 10), il convient encore d’examiner si Monsieur … remplit les conditions d’une régularisation par le travail telles qu’inscrites aux point A) et B) de la brochure, à savoir une résidence et un travail ininterrompus au Grand-Duché de Luxembourg depuis le 1er janvier 2000 avec respectivement sans affiliation à la sécurité sociale luxembourgeoise.

Or, il ressort des pièces du dossier que le demandeur n’a pas travaillé antérieurement au 25 février 2000 et ne travaille plus, à défaut de permis de travail, depuis le 15 juin 2000. Il s’ensuit que Monsieur … ne remplit pas ab initio la condition d’éligibilité d’un travail ininterrompu depuis le 1er janvier 2000 en vue de pouvoir bénéficier d’une régularisation en vertu des deux catégories A et B visées à la brochure, de sorte qu’il est encore superfétatoire d’examiner l’argumentation du demandeur basée sur l’impossibilité légale dans son chef de travailler au-delà du 15 juin 2000 et sur l’inéquité de cette situation par rapport à des personnes qui ne se seraient pas conformées à l’interdiction légale de travailler en l’absence d’un permis de travail.

Dès lors Monsieur … ne saurait en tout état de cause pas non plus prospérer dans sa demande en obtention d’une autorisation de séjour par le biais de la procédure dite de « régularisation ».

Il suit des considérations qui précèdent que le demandeur doit être débouté de son recours.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 18 décembre 2002 par:

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, M. Spielmann, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15030
Date de la décision : 18/12/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-12-18;15030 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award