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18/12/2002 | LUXEMBOURG | N°14918

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 décembre 2002, 14918


Tribunal administratif N° 14918 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 mai 2002 Audience publique du 18 décembre 2002

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Recours formé par Madame … et consort, Insenborn contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14918 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 mai 2002 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrit au tabl

eau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le…, ainsi que de son fils, Monsi...

Tribunal administratif N° 14918 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 mai 2002 Audience publique du 18 décembre 2002

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Recours formé par Madame … et consort, Insenborn contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14918 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 mai 2002 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le…, ainsi que de son fils, Monsieur…, né le …, tous les deux de nationalité russe, demeurant actuellement à L-

…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 23 janvier 2002, notifiée en date du 4 mars 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 16 avril 2002 suite à un recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 octobre 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Yvette NGONO YAH et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 novembre 2002.

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En date du 9 juin 1999, Madame …, accompagnée de son fils Monsieur…, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Ils furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grande-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.Ils furent en outre entendus séparément en dates respectivement des 5 janvier 2000 et 29 juin 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 23 janvier 2002, notifiée en date du 4 mars 2002, le ministre de la Justice informa les consorts …-… que leur demande avait été rejetée aux motifs que les craintes de persécution par eux invoquées en raison de leur appartenance à la communauté des témoins de Jehowa laisseraient d’être établies et que par ailleurs il y aurait lieu de mettre en doute la véracité de leurs déclarations, ceci eu égard à certaines contradictions concernant les problèmes invoqués du père de Monsieur …. Le ministre a finalement relevé que même à supposer les faits relatés établis, force serait de constater que les consorts …-… n’auraient pas rapporté la preuve d’avoir entrepris toutes les démarches possibles dans leur pays d’origine afin d’épuiser les voies de recours internes à leur disposition.

Par lettre du 2 avril 2002, les consorts …-… introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 23 janvier 2002.

Par décision du 16 avril 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 16 mai 2002, les consorts …-… ont fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions ministérielles préviseés des 23 janvier et 16 avril 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, qui est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent être de nationalité russe et appartenir, quant à leur confession, à la communauté des témoins de Jehowa, ainsi qu’avoir fuit leur pays d’origine après avoir fait personnellement l’objet de discriminations et de mauvais traitements par les autorités russes et par des bandes organisées et ce uniquement en raison de leur appartenance à la communauté des témoins de Jehowa. Ils font valoir à cet égard que le père de Monsieur … aurait été arrêté à leur domicile en date du 15 mars 1999 et condamné le 20 avril 1999 à trois ans de prison avec sursis et deux ans de travaux forcés sur base de l’article 282, partie II du code pénal de la Fédération de Russie relatif à la propagande de l’intolérance religieuse. Ils signalent que leur départ de leur pays d’origine aurait également été motivé par le fait que Monsieur … aurait été agressé en février 1999 lorsqu’il rentrait dans son immeuble, étant entendu que ces agressions se seraient concrétisées par des coups, des injures, ainsi que des menaces de mort s’il restait en Russie. Les demandeurs font état d’une deuxième agression à l’égard de Monsieur … en date du 15 avril 1999 lorsqu’il se trouvait sur le chemin de l’école, ainsi que du fait que le véhicule de Madame … aurait été incendié en date du 4 mars 1999 et qu’elle-même aurait été victime d’une agression en date du 19 avril 1999 par un groupe de personnes portant l’uniforme nationaliste l’ayant frappée et menacée de mort tout en lui demandant d’arrêter ses activités religieuses et en la traitant de « traître de la nation russe », ainsi que du fait que malgré la plainte par eux déposée auprès des autorités policières russes, aucune suite n’aurait été donnée à celle-ci. Dans la mesure où ils ne se seraient dès lors plus sentis en sécurité dans leur pays et qu’ils n’auraient plus pu y pratiquer leur religion en toute liberté, ils auraient décidé de prendre la fuite afin de ne pas subir le même sort que leur père respectivement époux.

Les demandeurs critiquent les décisions déférées pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits en faisant valoir que l’autorité administrative n’aurait pas tiré les conséquences qui se seraient imposées des persécutions dont ils auraient été victimes en raison du fait notamment de leur appartenance à la communauté des témoins de Jehowa, ceci eu égard à la circonstance notamment qu’il ressortirait clairement de leurs dépositions que la Russie aurait manqué à son devoir de protection de ses ressortissants dans la pratique de leur liberté fondamentale en matière de religion.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts …-…, en se référant plus particulièrement aux termes de la décision ministérielle déférée du 23 janvier 2002 quant à la situation des témoins de Jehowa en Fédération de Russie en général et à Saint-Petersbourg en particulier. Il a souligné dans ce contexte que la Ville de Saint-Petersbourg peut être considérée comme le fief de l’organisation des témoins de Jehowa, abritant même le centre administratif de cette communauté, de même que, contrairement à ce qui se passerait encore actuellement à Moscou, il relève que cette organisation n’aurait pas rencontré d’obstacles lors de son enregistrement à Saint-Petersbourg suite à l’adoption d’une loi du 29 avril 1999 sur la liberté de conscience et les associations religieuses en Russie. Le représentant étatique a en outre attiré l’attention sur les hésitations et contradictions des demandeurs lors de leurs auditions lorsqu’ils étaient questionnés au sujet de l’emprisonnement du père de Monsieur Grigori …, tout en relevant que même à supposer les faits relatés établis, il ne saurait en l’espèce être question d’une carence établie des autorités saisies dans le pays d’origine des demandeurs, ainsi que d’une absence de protection adéquate de leur part, étant donné que les demandeurs resteraient en défaut d’établir qu’ils ont épuisé toutes les voies de recours internes à leur disposition.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des consorts …-….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les consorts …-… lors de leurs auditions respectives en dates des 5 janvier 2000 et 29 juin 2001, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Force est de constater qu’un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.

Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dans l’existence doit être mis suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carier, Qu’est-qu’un réfugié ?, p. 113, n° 73-s).

En l’espèce, s’il ressort certes de la version des faits présentée par les demandeurs - à la supposer établie – que ceux-ci ont fait l’objet d’actes de violence et d’intimidation commis par des particuliers en raison de leur appartenance à la communauté des témoins de Jehowa, ils ne démontrent cependant pas à suffisance que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place en Russie ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de ce pays.

En effet, il se dégage des déclarations mêmes des demandeurs qu’ils ont pu déposer une plainte concernant les agressions physiques commises à l’encontre de Monsieur …. La simple affirmation que cette plainte n’a pas connu de suite ne saurait cependant suffire pour établir que les autorités russes n’entendent pas poursuivre les faits relatés, étant donné que les demandeurs restent en défaut de préciser les démarches concrètement entreprises en vue de faire valoir leurs droits, voire d’alléguer ou a fortiori d’établir que les autorités officielles poursuivent une politique de discrimination des témoins de Jehowa ou qu’elles encouragent ou tolèrent des actions commises par certains groupes de la population à leur encontre.

A cela s’ajoute que les craintes de persécution invoquées en l’espèce se cristallisent exclusivement autour de la situation telle qu’elle existe dans la région d’origine des demandeurs, mais qu’ils restent en défaut d’établir qu’ils ne peuvent trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de leur pays d’origine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 18 décembre 2002 par:

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, M. Spielmann, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 14918
Date de la décision : 18/12/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-12-18;14918 ?

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