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18/12/2002 | LUXEMBOURG | N°14911

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 décembre 2002, 14911


Tribunal administratif N° 14911 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 mai 2002 Audience publique du 18 décembre 2002 Recours formé par la société anonyme … S.A., Luxembourg contre une décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement en matière d’autorisation d’établissement

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14911 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 16 mai 2002 par Maître Christian-Charles LAUER, avo

cat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la sociét...

Tribunal administratif N° 14911 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 mai 2002 Audience publique du 18 décembre 2002 Recours formé par la société anonyme … S.A., Luxembourg contre une décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement en matière d’autorisation d’établissement

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14911 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 16 mai 2002 par Maître Christian-Charles LAUER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme …, établie et ayant son siège social à L-…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation de la décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement du 25 février 2002 conditionnant la délivrance de l’autorisation d’établissement par elle sollicitée par la production d’un contrat de louage de service en due forme concernant l’administrateur-

délégué de la société ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 15 octobre 2002 ;

Vu le mémoire en réplique intitulé « mémoire en réponse » déposé au greffe du tribunal administratif en date du 12 novembre 2002 par Maître Christian-Charles LAUER, au nom de la société anonyme … ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment la décision déférée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Christian-Charles LAUER et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 16 décembre 2002.

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Considérant que suite à la demande en autorisation de la société anonyme …, préqualifiée, visant la profession de gestionnaire d’un organisme de formation professionnelle continue et sur avis négatif de la ministre de l’Education nationale, de la Formation professionnelle et des Sports exprimé par l’organe du directeur à la formation professionnelle, le ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement, désigné ci-après par « le ministre », a en date du 19 juin 2001 retenu que Monsieur …, administratreur-délégué de la société anonyme …, remplissait la condition légale de qualification professionnelle requise pour l’activité concernée et, avant de pouvoir réserver une suite à la demande d’autorisation, demandé la production d’une copie de la décision dûment enregistrée de l’organe directeur compétent de la société attribuant la fonction d’administrateur-délégué avec droit de cosignature obligatoire au précité, ainsi qu’une copie de son contrat d’emploi, sollicitée sur base des dispositions de l’article 5 de la loi modifiée du 28 décembre 1988 réglementant l’accès aux professions d’artisans, de commerçants, d’industriels, ainsi qu’à certaines professions libérales, désignée ci-après par « la loi d’établissement » ;

Que sur prise de position du mandataire de la société …, le ministre s’est adressé à lui suivant courrier du 25 février 2002 en ces termes :

« Maître, Par la présente, j’ai l’honneur de me référer à votre demande sous rubrique, qui a fait entre-temps l’objet d’une nouvelle instruction administrative prévue à l’article 2 de la loi d’établissement du 28 décembre 1988, modifiée le 4 novembre 1997.

Il en résulte que Monsieur … remplit la condition légale de qualification professionnelle requise pour l’activité de gestionnaire d’un organisme de formation professionnelle continue.

Avant de prendre une décision définitive, je vous prie de me faire parvenir une copie du contrat d’emploi du sieur précité, conformément aux dispositions de l’article 5 de la loi du 28 décembre 1988 ; ce texte stipule que l’engagement d’un gérant est à prouver par la production d’un contrat de louage de services en due forme ; déterminant les droits et obligations du gérant, la durée hebdomadaire de travail, ainsi que sa rémunération au moins égale au salaire social minimum d’un employé qualifié.

A la même occasion, il y a lieu de joindre une copie de la décision dûment enregistrée de l’organe directeur compétent de la société attribuant la fonction d’administrateur délégué avec cosignature obligatoire à la personne précitée.

La présente décision peut faire l’objet d’un recours par voie d’avocat avoué endéans trois mois auprès du tribunal administratif.

Veuillez agréer, Maître, .… » ;

Considérant que par requête déposée en date du 16 mai 2002, la société anonyme … a fait introduire un recours en annulation, sinon en réformation dirigé contre le courrier ministériel du 25 février 2002 prévisé ;

Considérant que la partie demanderesse conteste la qualification de décision dans le chef du courrier ministériel déféré dans la mesure où celui-ci énonce en son troisième alinéa statuer avant de prendre une décision définitive, tout en énonçant in fine une indication des voies de recours, entraînant une impossibilité pour le justiciable de savoir s’il s’agit d’une décision susceptible de recours ou non, question à toiser par la négative dans le doute subsistant ;

Considérant que le délégué du Gouvernement fait valoir que dans la mesure où le courrier déféré retient que Monsieur …, dirigeant de la demanderesse, remplit les conditions légales de qualification et d’honorabilité professionnelle requises et que, d’autre part, toute décision définitive d’octroi proprement dite est subordonnée à la production d’un contrat d’emploi, de même qu’il a été assorti d’une indication des voies de recours, il s’analyserait en une décision attaquable ;

Considérant que dans la mesure où la non-production du contrat d’emploi par la demanderesse équivaudrait à une décision définitive de refus, compte tenu des considérations énoncées ci-avant par le délégué du Gouvernement, le tribunal arrive à la conclusion que le courrier ministériel déféré du 25 février 2002 répond aux qualificatifs d’une décision administrative individuelle faisant grief ;

Considérant que le représentant étatique conclut à l’incompétence du tribunal pour connaître du recours en réformation ;

Considérant qu’encore qu’un demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision ;

Considérant que l’alinéa 6 de l’article 2 de la loi d’établissement du 28 décembre 1988, telle que modifiée par la loi du 4 novembre 1997, prévoyant expressément un recours en annulation en la matière, le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre subsidiaire ;

Considérant que le recours en annulation, introduit suivant les formes et délai prévus par la loi, est recevable ;

Considérant qu’au fond la demanderesse de soutenir qu’à travers la loi d’établissement et plus particulièrement son article 5, le législateur aurait porté l’exigence d’un contrat de louage de services en due forme à l’encontre du seul gérant d’une société à responsabilité limitée à l’exclusion d’un administrateur-délégué d’une société anonyme, pour lequel dernier n’existerait pas de lien de subordination par rapport à l’entité sociale dont il est appelé à assurer la gestion journalière ;

Que dès lors l’exigence formulée à travers la décision déférée tenant à la production d’un contrat de louage de services dans le chef de Monsieur …, administrateur-délégué, se situerait en dehors de toute base légale, de sorte à constituer un abus de pouvoir emportant l’annulation de la décision ministérielle déférée ;

Que le délégué du Gouvernement d’étayer l’argumentaire à la base de la décision déférée en s’appuyant sur les dispositions de l’article 2 de la loi d’établissement, dont celles invoquées de l’article 5 ne constitueraient que le corollaire, étant donné que la personne désignée à l’article 2 en tant que dirigeant d’une société devrait obligatoirement remplir les conditions de qualification professionnelle et garantir l’effectivité et la permanence de l’activité envisagée en vue desquelles le contrat d’emploi exigé constituerait un instrument retenu par le législateur pour parvenir à cette fin ;

Que la demanderesse a amplifié son argumentaire à travers son mémoire en réplique en soutenant qu’il serait irrelevant en l’espèce que Monsieur … remplisse déjà les conditions légales pour le cas de quatre autres sociétés, alors que pareil cas de figure se retrouverait de manière fréquente au niveau même de grandes sociétés du droit luxembourgeois ;

Que ce qui importerait serait le fait que le dirigeant remplit au quotidien sa fonction de gestionnaire de la société en la qualité de mandataire et non point de salarié, ainsi que cette situation légale se dégagerait des dispositions de l’article 60 de la loi modifiée du 12 août 1915 concernant les sociétés commerciales ;

Considérant que l’article 5 de la loi d’établissement porte que « l’autorisation d’établissement est strictement personnelle.

Nul ne peut exercer une des activités ou professions visées par la présente loi sous le couvert d’une autre personne ou servir de personne interposée dans le but d’éluder les dispositions de la présente loi.

L’engagement par une société d’un gérant qualifié doit être prouvé par la production d’un contrat de louage de service en due forme, définissant les droits et obligations du gérant, son horaire de travail, ainsi que sa rémunération qui doit être au moins égale au salaire social minimum d’un employé qualifié » ;

Considérant que dans la mesure où en son alinéa troisième l’article 5 prérelaté emploie le terme de « gérant » en relation avec la mention impersonnelle de « société », alors que strictement parlant tous les dirigeants de société ne répondent pas à ce qualificatif et que, toujours de façon générale, en relation avec le qualificatif de gérant, employé par le texte sous analyse l’exigence de l’existence d’un contrat d’emploi en bonne et due forme est portée de façon indistincte, quel que soit le statut – salarié ou non – du dirigeant en question, force est de retenir que le texte légal en question n’est point clair et précis, entraînant qu’il est sujet à interprétation ;

Considérant que l’alinéa 3 de l’article 5 en question ne figurait pas originairement au texte du projet de loi n° 3142 ayant abouti à la loi d’établissement du 28 décembre 1988 ;

Que ce texte est issu d’un amendement gouvernemental du 26 avril 1988 répondant au souci exprimé comme suit : « dans ce nouvel alinéa sont prévues les preuves à rapporter par chaque gérant d’une société dans le souci d’éviter tout abus par un prête-nom » ( doc. parl.

31422, commentaire des amendements, p. 4, sub. art.6, al. suppl.) ;

Considérant qu’à travers son avis du 21 juin 1988, le Conseil d’Etat a demandé « que l’alinéa 3 nouveau proposé par l’amendement soit biffé. Nombreux sont en effet les gérant-

associés dans les s. à r l. et les administrateurs-délégués des sociétés anonymes qui ne sont pas liés à la société par un contrat d’emploi » ;

Considérant que l’article 5 actuel de la loi d’établissement a été adopté suivant la proposition faite en ce sens par la commission de l’Economie et des Classes moyennes de la Chambre des Députés en son avis du 24 novembre 1988 conçu en ces termes : « la version gouvernementale de cet article stipule que l’engagement par une société d’un gérant qualifié doit être prouvé par la production d’un contrat d’emploi en due forme, alors que le Conseil d’Etat laisse tomber cette précision.

Le Gouvernement argumente qu’un tel contrat d’emploi constitue bel et bien, dans de nombreux cas, une garantie non négligeable pour la personne concernée.

La commission suit l’argumentation du Gouvernement et adopte les 2 premiers alinéas du texte du Conseil d’Etat et le 3ième alinéa du texte gouvernemental » ;

Considérant que force est de retenir au tribunal à partir des travaux préparatoires ayant abouti à la version promulguée de l’article 5 alinéa 3 de la loi d’établissement prérelatée que bien que n’adoptant pas le point de vue du Conseil d’Etat, le législateur, en suivant en cela le Gouvernement, a agi en connaissance de cause de l’existence de cas de dirigeants de sociétés non salariés pour lesquels l’exigence d’un contrat en bonne et due forme correspond dès lors à une condition impossible, partant nulle par essence ;

Considérant qu’il résulte des éléments du dossier que suivant résolution du conseil d’administration réuni à la suite de la constitution de la société … S.A. le 12 janvier 1999, Monsieur …, prénommé, a été désigné administrateur-délégué ;

Qu’il résulte des indications non contestées de la demanderesse que Monsieur … est mandataire, sans avoir la qualité de salarié de la société … dont il assume la gestion journalière en tant qu’administrateur-délégué ;

Considérant qu’il suit des développements qui précèdent que l’exigence portée à travers la décision déférée tenant à la production d’un contrat d’emploi en bonne et due forme équivaut à poser dans le chef de la demanderesse une condition impossible, partant nulle, emportant l’annulation de la décision déférée dans cette mesure ;

Considérant que l’annulation ainsi intervenue ne porte pas préjudice à l’exigence légale soutenue à juste titre par le représentant étatique en ce que des conditions sont susceptibles d’être posées à l’encontre de la personne physique assurant la gestion journalière de la société anonyme dont s’agit, en dehors de l’exigence inadaptée en l’espèce de la production d’un contrat d’emploi, compte tenu notamment des spécificités résultant de l’objet de l’activité pour laquelle l’autorisation est sollicitée, à savoir la profession de gestionnaire d’un organisme de formation professionnelle continue ;

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

déclare le recours en annulation recevable ;

au fond le dit justifié ;

partant annule la décision ministérielle déférée dans la mesure de l’exigence de la production d’un contrat d’emploi en bonne et due forme y contenue ;

renvoie l’affaire devant le ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement en prosécution de cause ;

condamne l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 18 décembre 2002 par :

M. Delaporte, premier vice-président, Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Delaporte 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 14911
Date de la décision : 18/12/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-12-18;14911 ?

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