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18/12/2002 | LUXEMBOURG | N°14870

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 décembre 2002, 14870


Tribunal administratif N° 14870 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 mai 2002 Audience publique du 18 décembre 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14870 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 mai 2002 par Maître Jean-Paul WILTZIUS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom

de Monsieur …, né le … à Kaliningrad (Russie), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation,...

Tribunal administratif N° 14870 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 mai 2002 Audience publique du 18 décembre 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14870 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 mai 2002 par Maître Jean-Paul WILTZIUS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le … à Kaliningrad (Russie), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation, d’une décision du ministre de la Justice du 23 janvier 2002, lui notifiée le 5 mars 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 16 avril 2002 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 septembre 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en ses plaidoiries.

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Le 28 décembre 2000, M. … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

M. … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en date des 9, 16 et 22 janvier, 28 juin et 10 juillet 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 23 janvier 2002, notifiée le 5 mars 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants : « Il résulte de vos déclarations faites à l’agent de la Police judiciaire, qu’en date du 26 décembre 2000 vous avez quitté votre domicile à Kaliningrad. Vous avez fait le trajet jusqu’au Luxembourg à l’arrière d’un camion. Pour cette raison vous ne savez pas donner de détails sur le chemin emprunté. Vous êtes arrivé au Luxembourg tôt le matin du 28 décembre 2000.

Vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié le jour de votre arrivée.

Vous exposez que vous êtes de nationalité juive du côté paternel. Vous versez à votre dossier un acte de naissance duquel il résulte que votre père est juif. Votre grand-père, qui s’appelait Plitman, aurait pris le nom de son épouse au moment du mariage. Vous dites que malgré le fait qu’il ne portait plus de nom juif, il aurait été mis en prison sous Staline en raison de sa nationalité juive, ceci d’après les dires de votre grand-mère. Vous soulignez que votre père, dont vous ignorez le lieu de résidence actuel, n’aurait pas eu de problèmes, du moins pas le temps qu’il vivait avec vous.

Vous exposez que vos ennuis en raison de vos origines juives auraient commencé le 20 avril 2000. Ce jour-là, alors que vous vous promeniez dans la rue avec un ami d’enfance, celui-ci vous aurait appelé par le surnom qu’on vous aurait donné à l’école, à savoir « le petit juif ». Vous dites que deux personnes, appartenant à l’organisation RNE (Unité Nationale Russe) d’après leur comportement vestimentaire, portant notamment des brassards rouges avec une sorte de croix gammée dessus, en passant près de vous, auraient entendu cette exclamation. Ils se seraient approchés de vous et auraient commencé à vous questionner sur votre nationalité et à vous injurier. Vous auriez reçu un coup sur la tête, suivi d’autres coups.

Vous dites avoir perdu connaissance. Vous seriez revenu à vous peu de temps après, alors que des médecins se trouvaient près de vous. Alors que lors de votre audition vous avez souligné que vous vous trouviez encore dans la rue, vous dites dans votre déposition écrite que vous êtes revenu à vous dans l’ambulance. Une enquête pénale n’aurait pas été mise en mouvement et l’affaire aurait été classée sans suite au motif que des témoins auraient affirmé que vous seriez tombé en trébuchant et que vous vous seriez cogné sur le trottoir. L’acte d’expertise médico-légale, établi en décembre 2000, soi-disant parce que celui établi en avril 2000 après l’incident se trouverait dans le dossier de la milice, évoque, outre des blessures, une odeur d’alcool.

Le prochain incident que vous relatez aurait eu lieu le 5 août 2000. Ce jour-là, les gens du RNE auraient tenu un séminaire sur le thème « la Russie aux Russes » dans une salle de conférence à votre lieu de travail, séminaire auquel vous auriez été obligé de participer.

L’orateur, qui se trouve être un de vos agresseurs du mois d’avril, vous aurait reconnu assis au 3e ou 4e rang. Il se serait exclamé en s’adressant à vos collègues : jusqu’à quand allez-

vous tolérer sa présence parmi vous ! et il vous aurait traité de tête du youpin. A partir de cet instant, une ambiance malsaine se serait installée à votre lieu de travail. Bien que sachant le nom de votre agresseur, vous auriez renoncé à le divulguer à la milice de peur de vous faire traiter d’imbécile.

Le 12 août 2000, alors que vous rentriez en fin de journée en tramway, en compagnie de plusieurs collègues de travail, une discussion se serait engagée au sujet des conflits ethniques, qui se serait finalement focalisée sur votre nationalité juive. Lors de l’audition par l’agent du ministère de la Justice, vous affirmez qu’à un arrêt du tramway, vous auriez été poussé par un collègue de travail, un nommé Serguei Serounov, et vous seriez tombé sur le trottoir, vous cassant une jambe. Serounov aurait appelé l’ambulance et il se serait sauvé.

Dans votre déposition écrite, par contre, vous dites, bien que vous l’ayez rayé par la suite, que c’est en sautillant que vous auriez regagné une cabine téléphonique pour appeler une ambulance. Toujours est-il qu’après votre rétablissement, vous vous seriez adressé à la milice pour porter plainte. Vos déclarations étant en contradiction avec celles de Serounov, l’affaire aurait été classée sans suite.

Une semaine après avoir repris le travail, le directeur des ressources humaines vous aurait convoqué et il vous aurait proposé de rédiger une lettre de démission, ce que vous n’auriez cependant pas fait.

Le 5 novembre 2000 vers 6.30 heures du soir, à la sortie du travail, vous vous seriez fait rouer de coups par des membres du RNE, qui, tout en vous menaçant de vous tuer, vous auraient conjuré de vous rendre dans « votre » Israël. Vous en déduisez que vous auriez été agressé en raison de votre nationalité. A votre sortie d’hôpital, vous auriez décidé avec votre mère de porter plainte. Vous vous seriez adressé au bureau de milice du quartier Leningradski, où le responsable du département des affaires intérieures vous aurait fait savoir que votre affaire n’allait pas être instruite, sans pour autant motiver sa décision. Vous affirmez, et qui plus est, qu’il vous aurait conseillé, dans le but de faire cesser ces incidents, de suivre les conseils de vos agresseurs. Vous allez même jusqu’à prétendre que les mêmes conseils vous auraient été donnés par l’adjoint du procureur. Vous insinuez par ailleurs, vu que la milice patrouille dans la rue ensemble avec des membres du RNE, qu’il existe des liens étroits entre eux, sans pour autant savoir de quels liens il s’agit. Toujours est-il que, d’après vous, les membres du RNE auraient fait l’offre à la milice de se charger du maintien de l’ordre public.

L’incident qui vous aurait finalement convaincu de quitter Kaliningrad est la tentative, la nuit du 17 décembre 2000, par des membres du RNE, de mettre le feu à l’appartement que vous partagiez avec votre mère. Vous dites que bien qu’il ne soit pas agi d’un incendie énorme, vous auriez dû quitter l’appartement, se trouvant au 3e étage alors qu’il y a encore une mansarde habitée par une autre famille au-dessus, par l’échelle des pompiers. Je note que dans votre déposition écrite vous avez dit que, comme vous habitiez au dernier étage, vous êtes sorties par le toit pour passer chez des voisins. Votre comportement à la suite de cette tentative d’incendie mérite d’être qualifié d’étrange. Ainsi vous n’auriez pas pris le temps de discuter avec les miliciens qui seraient venus le soir même. D’après vous, vous seriez allé tout de suite chez votre grand-mère, prétendant ne pas savoir si une enquête a été ouverte.

Le 19 décembre 2000, votre mère aurait reçu un appel téléphonique anonyme à son bureau, lui annonçant qu’on allait vous tuer si vous ne partiez pas. Elle aurait alors organisé avec un ami biélorusse, selon votre déposition écrite, un cousin, selon votre déclaration lors de l’audition par l’agent du ministère de la Justice et un oncle, selon vos dires à l’agent de la Police Judiciaire, votre voyage pour le Luxembourg.

Comme la majorité des personnes originaires de la Fédération de Russie qui ont déposé une demande d’asile ici au Luxembourg, vous avez écrit une sorte d’autobiographie lors de votre voyage jusqu’au Luxembourg. Une partie de votre récit se trouve être écrit, non pas à l’imparfait, mais au présent, comme s’il s’agissait, non pas d’évènements vécus, mais plutôt de notes que vous auriez pris pour bien présenter une demande d’asile crédible. Dans le même contexte, je dois souligner qu’on a trouvé sur vous, à votre arrivée, un aide-mémoire faisant inventaire de certains documents et précisant ce qu’ils doivent mentionner. Votre explication, que vous auriez écrit ce document à l’attention de votre mère qui devait se procurer ces documents dans les archives de la milice et des hôpitaux, est cousue de fil blanc.

Il s’agit effectivement de documents que vous n’aviez pas sur vous à votre arrivée et qui ont été établis après que vous aviez quitté Kaliningrad. Vous avez versé ces documents à votre dossier en date du 28 juin 2001. Cela me permet de mettre d’emblée en doute l’authenticité de ces documents, car si ces documents avaient réellement existé dans les archives de la milice et des hôpitaux il aurait suffi à votre mère de les requérir, simplement, sans qu’elle ait à vérifier le contenu. De même, l’expertise médico-légale que vous aviez sur vous à votre arrivée, établie en décembre et se rapportant à un incident ayant eu lieu en avril, par un médecin qui n’était même pas le médecin traitant à l’époque, ne peut pas être considérée comme crédible.

Je conclu que vous vous êtes adressé à ce médecin au moment où vous aviez déjà décidé de partir, ceci afin d’étayer votre récit relatif à l’agression du mois d’avril. Le médecin a alors rédigé le certificat conformément aux informations que vous lui avez données. On peut se demander d’ailleurs comment le médecin peut parler d’une odeur d’alcool sept mois après les faits.

Finalement, je me dois de constater en ce qui concerne les documents versés par vous pour étayer vos récits, qu’ils ressemblent, quant à leur contenu et leur présentation, aux documents produits par d’autres demandeurs d’asile, ressortissants de la Fédération de Russie et qui se disent d’origine juive et qui relatent les mêmes faits en suivant la même chronologie.

Quant à la situation particulière des ressortissants russes d’origine juive, je signale que la reconnaissance du statut de réfugié politique n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais également et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il y a lieu de présenter dans une première phase la situation générale des Juifs en Fédération de Russie, et dans une seconde phase, il faut analyser votre situation particulière en examinant les différents incidents quant à leur crédibilité.

Concernant la situation générale des Juifs en Fédération de Russie, je signale que la loi du 19 septembre 1997 sur la liberté de conscience et les associations religieuses parle du judaïsme, parmi d’autres religions, comme d’une religion traditionnelle, digne du « respect de l’Etat ». Le RNE (Unité nationale russe), sous la direction de Barkachov, connu pour ses actions antisémites, est actuellement en perte de vitesse et d’aucuns affirment que les gens qui composent ce mouvement sont des guignols en uniforme et de mauvais soldats. Ledit parti, qui s’était présenté aux élections législatives russes du 19 décembre 1999 au sein de l’association électorale SPAS, dont la liste électorale a été enregistrée par la commission électorale centrale le 2 novembre 1999, a finalement été écarté de la participation desdites élections. En effet, le Ministère de la Justice de la Fédération de Russie avait introduit une requête contre la décision de la Commission électorale centrale et il a eu gain de cause. Ceci démontre à suffisance que les autorités russes ne sont pas prêtes à tolérer sur leur territoire des mouvements fascisants et antisémites. Il ne faut pas non plus perdre de vue que lors des récentes manifestations communistes à l’occasion de la fête du 1er mai le président russe a été accusé de s’être entouré de conseillers dont quelques-uns sont d’origine juive. On ne peut donc pas parler d’une purification ethnique systématique de la Russie avec l’accord tacite des autorités publiques, ou encore affirmer que dans la Fédération de la Russie s’applique une politique étatique contre les Juifs.

Concernant votre situation particulière en tant que ressortissant russe de nationalité juive habitant à Kaliningrad, il est un fait que des mouvements fascisants à l’instar du RNE existent, aussi bien en Fédération de Russie que dans d’autres pays. Comme dans tous les pays où de tels mouvements existent, les autorités se trouvent confrontées à des actions antisémites isolées qu’elles combattent avec plus ou moins de véhémence. Il y a lieu de voir, en l’espèce, si d’une part vous avez réellement été victime de telles actions, et si c’était le cas, si les autorités n’ont pas voulu ou non pas pu assurer votre protection.

Je dois tout d’abord rappeler, sans y revenir en détails, les nombreuses incohérences et contradictions relevées au cours de vos déclarations et dépositions. Cet état des choses jette d’emblée des doutes sur la crédibilité de l’ensemble de votre récit. Ainsi déjà la façon dont les membres du RNE auraient pris connaissance de votre nationalité juive est totalement improbable.

Ce serait de nouveau le hasard qui aurait mis en face de vous, quelques mois plus tard, un de vos agresseurs, orateur lors d’un séminaire du RNE qui se serait tenu à votre lieu de travail. Si vous dites que vous avez porté plainte en avril, et que cette plainte se serait soldée, à votre regret, par un non-lieu, il aurait été tout à fait logique que, maintenant que vous aviez appris le nom de votre agresseur, vous l’auriez dénoncé à la milice. Le fait que vous ne l’ayez pas fait permet de me laisser douter s’il y avait vraiment une personne à dénoncer. A l’heure actuelle, il me semble en outre peu crédible que les autorités tolèrent, dans des firmes dont l’Etat est l’actionnaire majoritaire, que le RNE tienne des meetings de propagande antisémite alors que des voix s’élèvent pour accuser le Président de la Fédération de Russie de s’entourer de conseillers d’origine juive.

Vous conviendrez avec moi que par vos contradictions dans vos récits relatifs à l’incident du tramway en août 2000, vous avez rendu celui-ci totalement incrédible. En tout cas, à supposer qu’il s’est effectivement produit, je suis enclin de parler d’un accident. Je me sens confronté dans cette affirmation par la version de l’incident que vous avez donnée lors de l’audition, à savoir que la personne qui vous aurait poussé aurait également fait appel à l’ambulance.

Concernant votre agression par les gens du RNE le soir du 5 novembre 2000, vous concédez vous-même que le certificat médical, établi après votre départ de Kaliningrad, l’a été par le médecin en présence de votre mère, je cite « qui devait bien contrôler ce que le médecin allait mettre dans son certificat. Pas qu’il mette n’importe quoi parce qu’il n’a pas le temps. Cela peut arriver lorsque quelqu’un vient voir le médecin et lui demande un certificat ayant trait à un événement qui s’est produit deux mois auparavant ». Permettez-moi de conclure que le médecin, qui ne peut en aucun cas se souvenir de chaque patient qui passe par son service d’urgence, et qui, d’après ce que j’ai pu comprendre, semble peu se soucier de ce qu’il met par écrit, a établi le certificat sous la dictée de votre mère suivant vos instructions. En outre, je dois constater que ce document est anti-daté, portant la date du 15 novembre 2000, alors que selon vos dires il a été établi après votre départ. Un tel certificat ne saurait être utilisé pour prouver que vous avez fait l’objet d’une agression tombant sous le champ d’application de la Convention de Genève.

Finalement, et en apogée de votre histoire, et qui constitue par ailleurs l’apogée de tous les récits présentés par les demandeurs d’asile russes qui se disent être d’origine juive, est la tentative de mettre le feu à votre appartement. Sans revenir sur votre comportement bizarre après cet incendie, il y a lieu d’insister sur vos contradictions dont j’ai déjà (…) fait état auparavant et qui rendent votre récit totalement incrédible.

L’appel téléphonique, anonyme, que votre mère aurait reçu en date du 19 décembre 2000, reste, quant à lui, à l’état de pure allégation.

A supposer tous les faits établis, il y a lieu de retenir qu’à aucun moment vous n’avez envisagé de faire usage de la possibilité de fuite interne, c’est-à-dire de la possibilité de vous installer dans une autre partie de la Fédération de Russie. Au contraire, vous avez dit, ce qui est difficilement acceptable vu votre âge, que vous ne saviez pas où on allait vous emmener, ayant laissé à votre mère toute liberté de choisir le lieu de destination.

En conclusion, je peux retenir que vous n’êtes pas arrivé à prouver de façon crédible que toutes les mésaventures dont vous auriez été victime, à supposer que ce soit réellement le cas, seraient dues au fait que vous êtes de nationalité juive. L’article 1er A § 2 de la Convention de Genève n’est pas d’application pour des incidents qui, ou bien sont qualifiés d’accident, ou bien relèvent du domaine des crimes de droit commun. Cette conviction que les incidents ne rentrent pas dans le champ d’application de la Convention de Genève ne se trouve pas ébranlée par le contenu des différents documents que vous avez produits, à supposer que ces document soient authentiques. Un défaut de protection de la part des autorités en place ne peut pas non plus être avancé parce que vous ne semblez pas avoir été en mesure de leur donner une version crédible de ce qui vous serait arrivé, ou, et c’est à souligner, que la seule fois où apparemment vous connaissiez le nom de votre agresseur, vous avez renoncé à le dénoncer.

Par conséquent, une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

A l’encontre de la décision prévisée du 23 janvier 2002, M. … fit introduire un recours gracieux par courrier de son mandataire du 19 mars 2002. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 16 avril 2002, il a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation, sinon à l’annulation des deux décisions ministérielles prévisées des 23 janvier et 16 avril 2002 par requête déposée en date du 6 mai 2002.

La procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, le fait que l’avocat constitué pour un demandeur n’est ni présent, ni représenté à l’audience de plaidoiries, est indifférent. Comme le demandeur a pris position par écrit par le fait de déposer sa requête introductive d’instance, le jugement est réputé contradictoire entre parties.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées. Le recours en réformation formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Au fond, le demandeur conclut à la réformation des décisions ministérielles déférées au motif que le ministre de la Justice aurait à tort estimé que les problèmes qu’il aurait rencontré en raison de ses origines juives n’étaient pas de nature à justifier la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève dans son chef.

A titre subsidiaire, il sollicite l’octroi d’une autorisation de séjour pour des considérations strictement humanitaires sinon médicales.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, v° Recours en réformation, n° 9).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient en premier lieu de relever que c’est à juste titre et de façon exhaustive que le ministre de la Justice a relevé dans sa décision initiale un certain nombre de contradictions dans les déclarations faites par le demandeur et les pièces produites par lui, contradictions qui affectent sensiblement la crédibilité de ses déclarations et récits.

Ceci étant, il échet encore de retenir que le demandeur fait essentiellement état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre de la part des membres d’un groupement antisémite ou de sympathisants dudit groupe, mais il reste en défaut de démontrer concrètement que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place en Russie tolèrent voire encouragent des agressions notamment à l’encontre des personnes qui ont des croyances ou des origines juives ou qu’elles ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de la Russie, notamment de ceux appartenant à la communauté juive, étant entendu qu’il n’a pas établi un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place.

Pour le surplus, les risques allégués par le demandeur se limitent à la ville de Kaliningrad et le demandeur reste en défaut d’établir qu’il ne peut pas trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de la Russie, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm.

2002, V° Etrangers, n° 40 et autres références y citées).

Il résulte des développements qui précèdent que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé sous ce rapport.

Enfin, concernant le volet subsidiaire du recours contentieux en ce que le demandeur sollicite l’octroi d’un permis de séjour, force est de constater que les décisions critiquées se limitent à la demande d’asile du demandeur et que le ministre de la Justice n’a pas encore statué par rapport à pareille demande, de sorte que cette demande, qui est hors propos dans le cadre du recours sous examen, doit être déclarée irrecevable.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

déclare la demande tendant à l’obtention d’un permis de séjour irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 18 décembre 2002, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 9


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 14870
Date de la décision : 18/12/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-12-18;14870 ?

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