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11/12/2002 | LUXEMBOURG | N°15106

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 décembre 2002, 15106


Tribunal administratif Numéro 15106 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 juillet 2002 Audience publique du 11 décembre 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15106 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 juillet 2002 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … , de nationalité yougoslave, demeurant actuellem

ent à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’un...

Tribunal administratif Numéro 15106 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 juillet 2002 Audience publique du 11 décembre 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15106 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 juillet 2002 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … , de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 30 mai 2002 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée et de celle confirmative, intervenue sur recours gracieux, du 12 juin 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 octobre 2002 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 13 novembre 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Joëlle NEIS, en remplacement de Maître François MOYSE et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 décembre 2002.

Le 16 juin 1999, Monsieur … introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

1 Le 30 novembre 1999, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 2 avril 2002, notifiée le 16 mai 2002, le ministre de la Justice l’informa de ce que sa demande a été refusée comme non fondée au motif qu’il n'invoquerait aucune crainte raisonnable de persécution du fait de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social. Il indique que la crainte d’une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires ne serait pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. Il en serait de même pour l’insoumission. Il ajoute que le régime politique en Yougoslavie venait de changer ce qui rendrait la persécution alléguée de Monsieur … en raison de ses activités politiques au sein du parti SDA peu probable.

Le 30 mai 2002, Monsieur … fit introduire un recours gracieux à l’encontre de cette décision.

Par décision du 12 juin 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision du 2 avril 2002.

Le 10 juillet 2002, Monsieur … a fait déposer au greffe du tribunal administratif un recours principalement en réformation et subsidiairement en annulation contre la décision ministérielle du 2 avril 2002 et celle confirmative du 12 juin 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que seul un recours en réformation a pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours subsidiaire en annulation est par voie de conséquence irrecevable.

Quant au fond, Monsieur …, de nationalité yougoslave et de religion musulmane, fait valoir qu’il aurait été victime de persécutions en raison notamment de ses convictions religieuses et politiques. Il reproche au ministre de la Justice que les deux décisions prises à son encontre manqueraient de motivation.

Il indique qu’il aurait été membre actif du parti politique SDA à partir du 5 mars 1994, qu’il aurait ainsi participé à l’action organisée par le SDA destinée à obtenir les mêmes droits pour les musulmans au Monténégro et en Serbie et qu’il aurait par ailleurs émis des messages de propagande pour le SDA en collant des affiches et en prenant part à des débats organisés. Il affirme qu’en raison de ses activités au sein de ce parti, il aurait été arrêté et interrogé à plusieurs reprises par la police locale. Monsieur … verse un certificat établi par le SDA duquel il résulterait que sa liberté serait en danger. Il ajoute qu’il aurait toujours dû cacher ses opinions politiques pour éviter d’avoir des problèmes, étant donné que les autorités yougoslaves l’auraient menacé, en ce sens que, s’il continuait ses activités au sein du SDA, il irait en prison.

2 Monsieur … ajoute ensuite qu’il risquerait une forte peine de prison, des menaces et des tortures pour avoir déserté de l’armée yougoslave. Il précise qu’il encourrait encore à l’heure actuelle de graves sanctions pour désertion et ce malgré la loi d’amnistie du 26 février 2001. En effet il ne rentrerait pas dans le champ d’application de cette loi, étant donné que l’infraction d’insoumission serait une infraction continuée. Il aurait fallu, pour pouvoir en bénéficier, que l’infraction ait cessé de se continuer après le 7 octobre 2000, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce puisqu’il n’est pas retourné dans son pays avant cette date. Il ajoute que le HCR ne s’y serait d’ailleurs pas trompé en précisant qu’à « ce jour, il n’a pas connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs (n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre) qui n’auraient pu bénéficier de cette loi ». Il conclut que la loi d’amnistie serait complètement inefficace à l’égard des réfugiés qui ne seraient pas retournés au pays avant le 7 octobre 2000 et qui auraient fait l’objet d’une convocation ultérieure.

Monsieur … indique qu’il importerait de prendre conscience que l’instabilité politique, sociale et religieuse serait toujours de rigueur et ce en dépit du jugement qui pourrait être porté sur la situation actuelle en Ex-yougoslavie. Il poursuit qu’il existerait encore un certain désordre qui se manifesterait notamment par des exactions et des règlements de compte à l’encontre de personnes de confession musulmane, ce qui rendrait à l’heure actuelle le retour dans son pays d’origine impossible.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

L’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition du 30 novembre 1999, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, en ce qui concerne le défaut de motivation soulevé par Monsieur …, force est de constater que le ministre de la Justice a suffisamment motivé sa décision. En indiquant que 3le demandeur d'asile reste en défaut de faire valoir des craintes justifiées de persécution au sens de la Convention de Genève, le ministre de la Justice motive suffisamment sa décision pour mettre le demandeur en mesure d'assurer sa défense. Le ministre n'est pas obligé d'énoncer, dans le corps même de la décision, l'ensemble des motifs indiqués et des déclarations faites par le demandeur d'asile au cours de l'instruction de son dossier et en quoi lesdits motifs et déclarations sont insuffisants pour constituer des craintes justifiées de persécution. (cf. TA 12.1.2000, n° 11575 du rôle, Pas. adm. 2002, Etrangers, I. Réfugiés, c.

Convention de Genève, n° 33, p.149).

Concernant les craintes de persécutions en raison de l’appartenance de Monsieur … au parti politique « SDA », il échet de relever que s’il est vrai que les activités dans un parti d’opposition peuvent justifier des craintes de persécution, Monsieur … indique simplement avoir été membre et aide-coursier du parti SDA et reste en défaut de soumettre des faits concrets d’une gravité suffisante pour dénoter l’existence d’une persécution au sens de la Convention de Genève en raison de son engagement politique. Il est vrai qu’il résulte de l’audition du 30 novembre 1999 que Monsieur … a été arrêté 4 fois entre 1995 et 1996, dont une fois pour possession d’armes illégales, délit pénalement condamnable. Il n’a jamais été maltraité par la police, ni mis en détention, ni condamné pour ses activités au sein du SDA.

Les arrestations en tant que telles ne revêtent dès lors pas un caractère de gravité suffisante.

En ce qui concerne sa crainte d’être arrêté à cause de ses activités au sein du parti politique SDA en cas de retour dans son pays, il y a lieu de relever que cette crainte revêt un caractère purement hypothétique. En premier lieu, le régime politique a changé en Yougoslavie depuis le départ du demandeur, ce qui rend par conséquent sa persécution, en raison de ses activités pour le SDA sous l’ancien régime Milosevic, peu probable. En deuxième lieu, il semble bien que Monsieur … ait cessé toute activité au sein du SDA à partir de 1996.

En effet, concernant le motif invoqué de l’insoumission, il convient de rappeler que celle-ci n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié. Le tribunal constate que la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que la paix s’est établie dans la région originaire du demandeur, de sorte qu’il n’est pas établi qu’actuellement Monsieur … risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables. Il convient par ailleurs de relever que Monsieur … n’établit pas à suffisance de droit qu’une condamnation serait encore susceptible d’être prononcée à son encontre de ce chef, voire qu’un jugement déjà prononcé serait encore effectivement exécuté, ceci au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées par le demandeur tenant au fait que l’insoumission constitue une infraction continuée et échapperait de ce fait au champ d’application de la loi d’amnistie. En effet cette interprétation reviendrait à vider la loi d’amnistie en fait de sa substance en ce sens qu’au moment où une demande d’application de ladite loi est présentée aucun déserteur ou insoumis qui s’était éloigné vers l’étranger ne serait susceptible d’en bénéficier. Cette hypothèse est pourtant contredite par une large application que cette loi connaît d’ores et déjà, étant entendu par ailleurs que l’affirmation, que la loi d’amnistie ne serait pas applicable aux insoumis ayant quitté la Yougoslavie, est démentie par le Haut Commissariat pour les réfugiés qui est au contraire d’avis que les termes de cette loi témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et qui n’a pas encore eu connaissance 4de cas d’insoumis ou de déserteurs, n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000, qui n’auraient pu bénéficier de cette loi, de manière à ne pas entrevoir de raisons de penser que celle-ci ne serait pas appliquée aux personnes ayant été à l’étranger après le 7 octobre 2000 et n’ayant pas reçu de nouvel appel après cette date (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13854C du rôle, Pas. adm. 2002, Etrangers, I Réfugiés C. Convention de Genève, n° 50, p.186).

Force est encore de constater que la pièce invoquée par le demandeur pour soutendre ses doutes au sujet de l’application effective de la loi d’amnistie ne saurait être utilement retenue pour invalider la conclusion ci-avant dégagée, étant donné que l’ordonnance en question, à admettre son authenticité, ne permet en tout état de cause pas de situer avec toute la certitude requise l’infraction pénale y visée dans le temps.

En ce qui concerne l’instabilité politique, religieuse et sociale invoquée par Monsieur … il convient cependant de tenir compte de la modification de la situation politique en République Fédérale Yougoslave après les élections démocratiques d’un nouveau Président en automne 2000, de la formation d’un nouveau gouvernement, de l’incarcération de Milosevic et de la ratification en date du 11 mai 2001 d’une Convention-cadre pour la protection des minorités nationales entrée en vigueur le 1er septembre 2001 qui prévoit, entre autre, le respect de la liberté d’association, d’expression et de pensée, ainsi que la liberté de conscience et de religion en groupe ou individuellement pour les personnes appartenant à des minorités nationales et le développement en général des minorités nationales quelles qu’elles soient De tout ce qui précède, il résulte que c’est donc à bon droit que le ministre de la Justice a refusé de faire droit à la demande en obtention du statut de réfugié.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne le demandeur au frais.

Ainsi jugé par et prononcé à l’audience publique du 11 décembre 2002 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, 5Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15106
Date de la décision : 11/12/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-12-11;15106 ?

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