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11/12/2002 | LUXEMBOURG | N°15082

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 décembre 2002, 15082


Tribunal administratif N° 15082 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 juillet 2002 Audience publique du 11 décembre 2002

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Recours formé par Monsieur et Madame … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15082 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 juillet 2002 par Maître Christian GAILLOT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avoc

ats à Luxembourg, au nom de Monsieur … , né le … , et de son épouse, Mme …, née le …, agissant pour eu...

Tribunal administratif N° 15082 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 juillet 2002 Audience publique du 11 décembre 2002

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Recours formé par Monsieur et Madame … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 15082 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 juillet 2002 par Maître Christian GAILLOT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … , né le … , et de son épouse, Mme …, née le …, agissant pour eux-mêmes, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs…, … et …, tous de nationalité macédonienne, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 15 mai 2002, notifiée en date du 5 juin 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 octobre 2002;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision ministérielle entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Christian GAILLOT et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRÜCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 décembre 2002.

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En date du 15 novembre 1999, Monsieur … et son épouse, Madame … …, agissant pour eux-mêmes, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux … furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent en outre entendus séparément en date du 21 décembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 15 mai 2002, notifiée le 5 juin 2002, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allègueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays d’origine, étant donné que la situation en Macédoine se serait améliorée depuis l’accord de paix signé au mois d’août 2001 en vertu duquel les rebelles albanophones ont accepté de se désarmer et de se dissoudre en échange de nouveaux droits politiques pour leur communauté, parmi lesquels figureraient la reconnaissance partielle de l’albanais comme langue officielle et une représentation accrue de la communauté albanaise au sein des forces de police. Le ministre a relevé en outre qu’une loi d’amnistie couvrant les crimes commis pendant le conflit par les insurgés albanophones a été votée par le Parlement macédonien en mars 2002, de sorte que Monsieur … ne risquerait plus d’être emprisonné en raison des délits pour lesquels il a été condamné.

Par requête déposée en date du 4 juillet 2002, les consorts … ont fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation de la décision du ministre de la Justice du 15 mai 2002.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, les demandeurs reprochent au ministre de la Justice de ne pas avoir apprécié à ses justes proportions leur situation individuelle ainsi que d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève en omettant d’examiner tant la situation actuelle en Macédoine que leur situation personnelle.

Ils soutiennent que, contrairement aux affirmations des autorités internationales, les habitants de Macédoine et plus particulièrement les minorités ethniques telles que les Albanais ne seraient nullement en sécurité, qu’au contraire la situation y serait complètement instable, étant donné que des affrontements auraient lieu entre les militaires et les membres de l’UCK, que des émeutes auraient lieu au cours desquelles des assassinats seraient perpétrés, qu’une mosquée aurait été incendiée par la foule, que des civils auraient été enlevés par des bandes armées et que l’ambiance serait anarchique, alors que ni l’armée ni la police n’arriveraient à garantir aux habitants une totale sécurité.

Ils font valoir en outre que les autorités en place pratiqueraient la préférence ethnique en privilégeant l’accès à l’école, aux administrations ainsi qu’aux aides nationales ou internationales au profit des seuls macédoniens non-albanophone et que le but de cette approche serait de terroriser ces derniers de manière à ce qu’ils quittent volontairement le pays.

Monsieur …, ayant été condamné à une peine d’emprisonnement de sept ans et demi pour trafic d’armes destinées à la minorité albanaise de Macédoine, aurait profité du fait d’avoir été en liberté sous caution pour s’enfuir avec sa famille, étant donné que cette dernière se serait également trouvée en danger du fait de la condamnation encourue par lui, alors qu’aux yeux de la population macédonienne il serait passé pour un traître. Les demandeurs estiment finalement présenter toutes les qualités requises pour s’intégrer parfaitement au Luxembourg.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts … et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n° 9, p. 519).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur et Madame … lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le principal motif de persécution dont les demandeurs font état à travers leur recours contentieux, à savoir leurs craintes à l’égard de la communauté non-

albanaise, il convient de rappeler qu’un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.

Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Or, en l’espèce les craintes exprimées par les demandeurs en raison de la prétendue hostilité non-albanaise à leur égard, ainsi que de la situation générale tendue dans leur pays d’origine, s’analysent en substance en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé en audience publique du 11 décembre 2002 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15082
Date de la décision : 11/12/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-12-11;15082 ?

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