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09/12/2002 | LUXEMBOURG | N°15070

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 décembre 2002, 15070


Tribunal administratif N° 15070 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 juin 2002 Audience publique du 9 décembre 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15070 du rôle, déposée le 28 juin 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Rausic/Pec (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant

actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du ...

Tribunal administratif N° 15070 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 juin 2002 Audience publique du 9 décembre 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15070 du rôle, déposée le 28 juin 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Rausic/Pec (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 12 avril 2002, lui notifiée en date du 22 avril 2002, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative prise sur recours gracieux par ledit ministre en date du 30 mai 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 octobre 2002;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Barbara ROUSSEAU, en remplacement de Maître Pascale PETOUD, et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 28 août 1998, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en date des 3 février 1999 et 11 février 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice l’informa, par lettre du 12 avril 2002, notifiée en date du 22 avril 2002, que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Vous exposez avoir pris la fuite en raison du conflit armé au Kosovo ainsi qu’en raison de la situation économique désastreuse. Vous précisez ne pas avoir eu de travail.

Vous expliquez que votre famille aurait possédé deux maisons et qu’elles auraient brûlé toutes les deux.

Vous auriez peur des Albanais du Kosovo. Vos voisins albanais auraient dit à votre père, qui aurait essayé de retourner fin 1999, qu’il ne pourrait pas rester au Kosovo.

Force est de constater que l’armée fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes, à l’origine des répressions et exactions commises au Kosovo, ont quitté ce territoire. Une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo afin de permettre la coexistence pacifique des différentes communautés et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies a été mise en place.

Par ailleurs, des centaines de milliers de personnes, qui avaient quitté le Kosovo pour se réfugier en Albanie et dans l’Ancienne République yougoslave de Macédoine, ont réintégré leurs foyers après l’entrée des forces internationales sur le territoire.

De même, la situation des minorités ethniques du Kosovo s’est améliorée par rapport à l’année 1999. Les partis extrémistes sont actuellement en perte de vitesse. Ainsi, une persécution systématique de minorités ethniques est actuellement à exclure.

En outre, les Albanais du Kosovo ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, vous avez déclaré que vos parents se seraient réfugiés au Monténégro. Il ne ressort pas de votre dossier en quoi vous seriez persécuté au Monténégro et ce qui vous aurait empêché de profiter de cette possibilité de fuite interne.

Dans ces circonstances, vous ne pouvez pas faire état d’un risque actuel de persécution pour des motifs tenant à votre race, à vos opinions politiques, à votre religion, à votre nationalité ou à votre appartenance à un groupe social, que vous courriez si vous deviez retourner dans votre territoire d’origine.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 21 mai 2002, Monsieur … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 12 avril 2002.

Par décision du 30 mai 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 28 juin 2002, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 12 avril et 30 mai 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation de sa situation de fait, étant donné que sa situation spécifique serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte légitime de persécution dans son pays d’origine au sens de la Convention de Genève.

Il fait exposer qu’il serait originaire de la ville de Pec située au Kosovo, de confession musulmane et qu’il aurait quitté son pays en raison du fait qu’il aurait été appelé à la réserve de l’armée yougoslave, qu’il aurait craint d’être envoyé sur le « front » et de devoir tuer des Slaves ou d’autres musulmans, de sorte qu’il se serait d’abord enfui au Monténégro, où il serait resté pendant 5 mois, pour se réfugier ensuite au Grand-Duché de Luxembourg.

Il soutient qu’à ce jour, la situation des « slaves musulmans » du Kosovo serait très instable, étant donné qu’ils subiraient tant de la part des Serbes que des Albanais des discriminations et des persécutions telles que des assassinats et la destruction de leurs maisons, rendant ainsi leur vie intolérable dans leur pays d’origine, sans que les forces internationales mises en place seraient capables de les protéger.

En substance, il reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec les discriminations et persécutions subies au Kosovo, respectivement en rapport avec sa religion musulmane et de sa langue maternelle, le serbo-

croate, ainsi qu’avec la situation générale des musulmans au Kosovo, qui établiraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, n°9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n°9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (cf. Cour adm. 5 avril 2001, n°12801C du rôle, Pas. adm.

2002, V° Etrangers, C. Convention de Genève, n°35).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de ses auditions en date des 3 février 1999 et 11 février 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Le demandeur fait état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre en raison de son appartenance à la minorité « bochniaque » du Kosovo, tout en concédant que les persécutions par lui invoquées émanent non pas de l’Etat, mais de groupes de la population, en l’espèce surtout de la population albanaise du Kosovo. Il estime néanmoins que la crainte afférente pourrait être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique, étant donné que les autorités en place seraient dans l’impossibilité de lui accorder une protection adéquate.

A ce titre, il convient de rappeler qu’un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.

Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Ainsi, s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités au Kosovo, notamment de celle des « bochniaques » est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres traitements ou discriminations par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires. Une situation de conflit interne violent ou généralisé ne peut en effet, à elle seule, justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié étant donné que la crainte de persécution, outre de devoir toujours être fondée sur l’un des motifs de l’article 1er A de la Convention de Genève, doit également avoir un caractère personnalisé.

Or, en l’espèce, les craintes de persécutions du demandeur en raison de la situation générale tendue au Kosovo constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’il n’ait établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

A cela s’ajoute que les craintes de persécutions invoquées se cristallisent autour de la seule situation au Kosovo, et que le demandeur reste en défaut d’établir qu’il ne peut trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de son pays d’origine, notamment au Monténégro, où il était domicilié pendant quelques mois avant de partir pour le Grand-Duché de Luxembourg et où sa famille réside actuellement, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale. – Ceci étant, il convient d’ajouter relativement au motif fondé sur l’insoumission du demandeur, particulièrement dans l’optique d’une possibilité de fuite interne, qui implique l’obligation pour le demandeur de se replacer sous l’autorité des organes fédéraux yougoslaves, que l’insoumission ou la désertion ne sont pas, en elles-mêmes, des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elles ne sauraient, à elles seules, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur … risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement en raison de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et entrée en vigueur le 3 mars 2001, visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave et incluant expressément l’hypothèse de ceux ayant quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 9 décembre 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15070
Date de la décision : 09/12/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-12-09;15070 ?

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