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09/12/2002 | LUXEMBOURG | N°15029

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 décembre 2002, 15029


Tribunal administratif N° 15029 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 juin 2002 Audience publique du 9 décembre 2002 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15029 du rôle, déposée le 14 juin 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Radmance (Monténégro

/Yougoslavie), et de son épouse, Madame …, née le … à Dobrodole (Bérane/Monténégro), agissant...

Tribunal administratif N° 15029 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 juin 2002 Audience publique du 9 décembre 2002 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15029 du rôle, déposée le 14 juin 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Radmance (Monténégro/Yougoslavie), et de son épouse, Madame …, née le … à Dobrodole (Bérane/Monténégro), agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-1940 Luxembourg, 162B, Avenue de la Faïencerie, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice prise en date du 14 décembre 2001, notifiée en date du 16 janvier 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision implicite de refus du ministre de la Justice, tirée du silence de plus de 3 mois suite à un recours gracieux introduit le 15 février 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 août 2002;

Vu le mémoire en réplique déposé le 14 octobre 2002 au nom des demandeurs ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Mourad SEBKI, en remplacement de Maître Edmond DAUPHIN, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date des 6 et 9 août 2001, respectivement Madame … et son époux, Monsieur …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux …-… furent entendus en date des mêmes jours par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent en outre entendus séparément en date du 13 août 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa les époux …-… par lettre du 14 décembre 2001, notifiée en date du 16 janvier 2002, que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Monsieur, vous exposez que vous avez fait votre service militaire en Croatie en 1982/1983. Vous n’avez jamais été convoqué à la réserve. Vous expliquez que vous auriez été enseignant au Kosovo, mais que vous ne vous y seriez plus senti en sécurité après les menaces de l’un de vos collègues. Vous auriez alors emmené votre famille au Monténégro. L’école où vous enseigniez étant fermée, il vous serait impossible de revenir au Kosovo. De plus, votre maison serait actuellement occupée par des Albanais. Au Monténégro, où vous étiez inscrit auprès de la Croix-Rouge, vous n’auriez pas pu trouver d’emploi vous permettant de subvenir aux besoins de votre famille et vous auriez dû donc quitter cette région également.

Vous auriez été membre du parti politique SDA avec les fonctions de secrétaire de votre ville, mais vous n’auriez eu aucun problème du fait de ces activités.

Vous, Madame, vous confirmez les dires de votre mari. Vous précisez que vous auriez aussi été membre du SDA, mais sans y occuper de fonction particulière.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je note que vos activités au sein du SDA ne vous ont causé aucun tort car vous n’y étiez ni l’un ni l’autre dans une position particulièrement exposée. Quant aux problèmes que vous invoquez avec votre collègue, Monsieur, ils ne sauraient fonder une persécution au sens de la Convention de Genève.

Force est de constater qu’à la fin du conflit armé au Kosovo, les forces de police dépendant des autorités serbes, à l’origine des répressions et des exactions commises au Kosovo, ont quitté le territoire. Une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo afin de permettre la coexistence pacifique des différentes communautés et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies a été mise en place.

Quant aux autres faits que vous invoquez, comme la difficulté de trouver un emploi ou un logement, ils ne sont pas assez pertinents pour fonder une persécution pouvant entrer dans le cadre de l’article 1er A. 2 de la Convention de Genève.

Il ressort de vos déclarations que vous avez surtout un sentiment général d’insécurité, ce qui ne constitue pas non plus une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

En outre, le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un Président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie a retrouvé sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Je constate enfin que, ayant bénéficié de la possibilité de fuite interne en allant au Monténégro et ayant été inscrit auprès des services de la Croix Rouge, vous auriez pu vous établir définitivement dans cette région.

Vous n’alléguez donc aucune crainte raisonnable de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A, 2 de la Convention de Genève et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays, telle une crainte justifiée de persécution en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par le mandataire des consorts …-… à l’encontre de la décision ministérielle précitée à travers un courrier réceptionné le 15 février 2002 au ministère de la Justice, étant resté sans réponse, les consorts …-… ont fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle prévisée du 14 décembre 2001 ainsi qu’à l’encontre de la décision implicite de rejet du ministre résultant du silence pendant plus de 3 mois suite à l’introduction du recours gracieux, par requête déposée le 14 juin 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.

Le recours est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent qu’ils auraient quitté le Kosovo pour s’installer au Monténégro, région dont ils seraient originaires, au motif que Monsieur …, enseignant au Kosovo, y aurait fait l’objet de menaces de la part de l’un de ses collègues de travail. Ils relèvent encore qu’ils feraient partie de la minorité des « bochniaques » du Kosovo et qu’à ce titre, ils seraient soumis à des persécutions de la part des Albanais qui les considéreraient comme des complices des Serbes. Ils soutiennent que la présence de la MINUK ne serait pas suffisante pour garantir leur sécurité et ils exposent que le frère de Monsieur … aurait été assassiné et que la KFOR aurait été impuissante pour le protéger. Ils font encore valoir que leur maison serait désormais occupée par des Albanais.

Concernant la possibilité d’une fuite interne au Monténégro, ils relèvent que même s’il s’agissait de leur pays natal, ils n’y auraient jamais vécu et qu’il leur serait impossible d’y trouver un emploi et un logement adéquat, que ces difficultés n’entreraient pas dans le champ des difficultés « à caractère consonance économique », mais dans celui des discriminations liées à la race et à la religion.

En substance, ils reprochent au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec les discriminations et persécutions subies au Kosovo, respectivement en rapport avec leur religion musulmane et de leur langue maternelle soit le serbo-croate, ainsi qu’avec la situation générale des musulmans au Kosovo et au Monténégro, qui établiraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Il est constant que les demandeurs ont vécu au Kosovo où sont nés leurs enfants et où ils ont travaillé avant que la guerre n’y éclate. Néanmoins, il y a encore lieu de retenir que les époux …-… sont originaires du Monténégro et qu’ils y ont vécu à nouveau depuis l’année 1998 avant de se rendre au Grand-Duché de Luxembourg en août 2001 pour y solliciter la reconnaissance du statut de réfugié. Le tribunal analysera en premier lieu les moyens des demandeurs par rapport à la situation existant au Kosovo, pour analyser ensuite leurs moyens ayant trait à l’impossibilité d’une fuite interne au Monténégro.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, n°9699, Pas. adm. 2002, V° Recours en réformation, n°9).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

Il appartient aux demandeurs d’asile d’établir avec la précision requise qu’ils remplissent les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (cf. Cour adm., 5 avril 2001, n°12801C du rôle, Pas. adm. 2002, V°Etrangers, C. Convention de Genève, n°35).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux …-… lors de leurs auditions respectives en date du 13 août 2001, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Les demandeurs font état de leur crainte de voir commettre des actes de violence à leur encontre en raison de leur appartenance à la minorité « bochniaque » du Kosovo, tout en concédant que les persécutions par eux invoquées émanent non pas de l’Etat, mais de groupes de la population, en l’espèce surtout de la population albanaise du Kosovo. Ils estiment néanmoins que la crainte afférente pourrait être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique, étant donné que les autorités en place seraient dans l’impossibilité de leur accorder une protection adéquate.

S’il est certes vrai que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, il n’en reste cependant pas moins qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s).

Dans ce contexte, il y a lieu de relever que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités au Kosovo, notamment de celle des « bochniaques » est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres traitements ou discriminations par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires. Une situation de conflit interne violent ou généralisé ne peut en effet, à elle seule, justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié étant donné que la crainte de persécution, outre de devoir toujours être fondée sur l’un des motifs de l’article 1er A de la Convention de Genève, doit également avoir un caractère personnalisé.

Or, en l’espèce, les craintes de persécutions des demandeurs en raison des menaces prononcées à l’époque par un des collègues de travail de Monsieur …, de leur langue maternelle, à savoir le serbo-croate, et de la situation générale tendue au Kosovo constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’ils n’aient établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison intolérable dans leur pays d’origine. Dans ce contexte, il échet de relever que ni le fait que l’école, dans laquelle Monsieur … aurait enseigné, serait fermée, ni le fait que des Albanais occuperaient actuellement leur maison, sans fournir d’autres précisions à cet égard, ne constituent des motifs susceptibles de reconnaître aux demandeurs le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.

A cela s’ajoute que les craintes de persécutions afférentes invoquées se cristallisent autour de la seule situation au Kosovo, et que les demandeurs restent en défaut d’établir qu’ils ne peuvent trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de leur pays d’origine, notamment au Monténégro où ils étaient domiciliés avant de partir pour le Grand-Duché de Luxembourg, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale.

Concernant la situation économique difficile au Monténégro, force est de retenir que la simple affirmation des consorts …-… qu’ils n’auraient pas trouvé et qu’ils ne trouveraient pas d’emplois et pas de logement adéquat au Monténégro en raison de leur appartenance à la minorité des bochniaques, ne saurait suffire pour établir un risque de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé aux demandeurs la reconnaissance du statut de réfugié, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 9 décembre 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 15029
Date de la décision : 09/12/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-12-09;15029 ?

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