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02/12/2002 | LUXEMBOURG | N°14851

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 décembre 2002, 14851


Tribunal administratif N° 14851 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 avril 2002 Audience publique du 2 décembre 2002

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Recours formé par Monsieur …, …, et consorts contre un courrier émanant des juges de paix d'Esch-sur-Alzette qualifié d'acte réglementaire

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JUGEMENT

Vu la requête déposée le 30 avril 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Roger NOTHAR, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembo

urg, au nom de :

1. M. …, huissier de justice, 2. M. …, huissier de justice, 3. M. …, huissier de...

Tribunal administratif N° 14851 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 avril 2002 Audience publique du 2 décembre 2002

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Recours formé par Monsieur …, …, et consorts contre un courrier émanant des juges de paix d'Esch-sur-Alzette qualifié d'acte réglementaire

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JUGEMENT

Vu la requête déposée le 30 avril 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Roger NOTHAR, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de :

1. M. …, huissier de justice, 2. M. …, huissier de justice, 3. M. …, huissier de justice, 4. M. …, huissier de justice, 5. Mme …, huissier de justice, 6. M. …, huissier de justice, 7. M. …, huissier de justice, 8. M. …, huissier de justice, 9. Mme …, huissier de justice, 10. M. …, huissier de justice, 11. Mme …, huissier de justice,, 12. M. …, huissier de justice,, 13. M. …, huissier de justice,, 14. M. …, huissier de justice, 15. M. …, huissier de justice, 16. M. …, huissier de justice, 17. M. …, huissier de justice, tendant à l’annulation d’un acte administratif à caractère réglementaire ainsi qualifié du 12 novembre 2001 émanant de la Justice de Paix d'Esch-sur-Alzette fixant les lignes directrices en matière de décomptes à présenter par les huissiers de justice dans le cadre des procédures de saisie-arrêt sur salaire, sommations et mises en demeure, procédures de saisie-exécution, frais d'enlèvement d'objets saisis, frais de transport, frais de garde, signification d'ultimes commandements, procès-verbaux de sursis à saisie et concernant les frais alloués aux huissiers dans lesdites procédures;

Vu les pièces versées et notamment l'acte attaqué;

2 Ouï le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Steve HELMINGER, en remplacement de Maître Roger NOTHAR, pour les demandeurs, en ses plaidoiries.

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Par courrier daté du 12 novembre 2001, signé par les neuf juges de paix composant le tribunal de paix d'Esch-sur-Alzette, ceux-ci portèrent à la connaissance du président de la chambre des huissiers de justice du Grand-Duché de Luxembourg les "lignes directrices en matière de décomptes à présenter dans le cadre des procédures de saisie-arrêt sur salaire", et le prièrent d'en porter le contenu à la connaissance des membres de ladite chambre.

Par requête déposée le 30 avril 2002, inscrite sous le numéro 14851 du rôle, MM. …, , tous huissiers de justice, ont introduit devant le tribunal administratif un recours en annulation contre ce qu'ils qualifient d’acte administratif à caractère réglementaire du 12 novembre 2001 émanant de la Justice de Paix d'Esch-sur-Alzette fixant les lignes directrices en matière de décomptes à présenter par les huissiers de justice dans le cadre des procédures de saisie-arrêt sur salaire, sommations et mises en demeure, procédures de saisie-exécution, frais d'enlèvement d'objets saisis, frais de transport, frais de garde, signification d'ultimes commandements, procès-verbaux de sursis à saisie et concernant les frais alloués aux huissiers dans lesdites procédures.

Ils font exposer qu'aux termes de l'article 16 de la loi du 4 décembre 1990 portant organisation du service des huissiers de justice, les actes des huissiers de justice sont rémunérés soit selon un tarif fixe, soit par vacation, la loi confiant à un règlement grand-ducal le soin d'arrêter le tarif des actes ainsi que la durée et le tarif des vacations et le règlement grand-ducal modifié du 24 janvier 1991, pris en application de ladite loi, fixant ledit tarif. Ils estiment que l'écrit précité du 12 novembre 2001 a pour effet, respectivement de modifier le règlement grand-ducal en question ou d'y ajouter des conditions non prévues par le texte réglementaire.

Ils sont d'avis que le texte attaqué constitue un acte administratif à caractère réglementaire susceptible d'être annulé par le tribunal administratif. Ils reprochent à ce texte d'être contraire à l'article 36 de la Constitution qui réserve au Grand-Duc le pouvoir de faire les règlements et arrêtés nécessaires pour l'exécution des lois. Ils lui reprochent encore, en tant qu'il émane de juges, de violer l'article 5 du code civil qui défend aux juges de se prononcer par voie de dispositions réglementaires sur les causes qui leur sont soumises, ainsi que l'article 237 du code pénal qui rappelle ce principe tout en en faisant des applications particulières.

L'Etat, mis au courant du recours introduit devant le tribunal administratif, a choisi de ne pas présenter son point de vue, mettant ainsi le tribunal dans l'impossibilité de rendre sa décision à la suite d'un débat contradictoire au cours duquel les vues des auteurs de l'acte incriminé auraient pu être discutées.

En vertu de l'article 7 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif, le tribunal administratif statue sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre les actes administratifs à caractère réglementaire, quelle que soit l'autorité dont ils émanent.

En l'espèce, s'il est vrai que, pour partie, la lettre signée par les juges de paix d'Esch-

sur-Alzette ne fait que rappeler aux huissiers de justice certaines dispositions légales, elle 3 contient par ailleurs des règles formulées de manière abstraite, destinées à s'appliquer à l'avenir à un nombre indéterminé de personnes et de situations de fait. C'est ainsi qu'elle détermine notamment:

- qu'un huissier de justice est en droit de toucher un montant de 2.017,- francs (50 € à partir du 1er janvier 2002) pour toute requête en matière d'ordonnance de paiement et de saisie-arrêt sur salaire (le montant de 50 € se dégageant du règlement grand-ducal du 14 mai 2001 ayant modifié le règlement grand-ducal du 24 janvier 1991 portant fixation du tarif des huissiers de justice, qui a porté tant le droit fixe que le montant de la vacation à 50 €);

- qu'en matière de saisie-arrêt sur salaire, la procédure comprend la requête en vue d'obtenir l'autorisation de solliciter la communication de l'identité de l'employeur, la transmission de l'ordonnance au centre d'affiliation et la requête tendant à voir autoriser la saisie-arrêt à proprement parler, de sorte que le montant de 2.017,- francs n'est dû qu'une seule fois pour l'ensemble de ces actes;

- que si le débiteur change d'employeur le prédit montant revient encore une fois à l'huissier s'il engage une nouvelle procédure;

- que le montant de 2.017,- francs s'entend T.V.A. comprise;

- que tous les autres droits et frais dont question au règlement grand-ducal précité du 24 janvier 1991 sont traités de la même manière;

- que les sommations et les mises en demeure sont à faire par lettre recommandée et ne donnent lieu qu'à restitution des frais de port; qu'elles ne sont justifiées que si elles ne précèdent pas immédiatement l'introduction d'une demande en justice;

- que le recours à une procédure de saisie-exécution est à éviter si le principal à recouvrer est inférieur à 30.000,- francs, tout en prévoyant des exceptions à ce principe;

- que les frais engendrés par une saisie-exécution en vue du recouvrement d'une créance supérieure à 30.000,- francs ne peuvent en principe être réclamés que si elle se termine par une vente, des exceptions à ce principe étant prévues;

- qu'une vente une fois fixée ne peut être remise qu'une seule fois;

- que dans le cadre d'une saisie-exécution, les frais de transport ne peuvent être réclamés que s'ils ne sont pas démesurés par rapport au produit de la vente;

- que les frais de garde ne sont dus que si un gardien effectif (résidant dans la commune dans laquelle la saisie est pratiquée) est établi et qu'ils ne se justifient que durant le laps de temps nécessaire pour pouvoir procéder à la vente des objets saisis;

- que la signification d'ultimes commandements et de procès-verbaux de sursis à saisie, actes non prévus par les dispositions légales régissant la matière, est à proscrire.

Elle répond ainsi aux critères d'un acte administratif à caractère réglementaire, alors même qu'elle émane d'une autorité judiciaire.

4 Les demandeurs ont un intérêt à agir contre l'acte en question, étant donné que celui-ci fixe et tarife les prestations que ceux-ci sont en droit de faire entrer en taxe et affecte ainsi directement leur situation financière.

Le recours répondant par ailleurs aux conditions de forme et de délai, il est recevable.

En vertu de l'article 36 de la Constitution, c'est le Grand-Duc qui fait les règlements et arrêtés nécessaires pour l'exécution des lois.

En l'espèce, la lettre du 12 novembre 2001 fixe, dans une partie de ses énonciations, de manière générale et abstraite les sommes que les huissiers de justice sont en droit de faire entrer en taxe, pouvoir que l'article 16 de la loi du 4 décembre 1990 portant organisation du service des huissiers de justice réserve à un règlement grand-ducal.

Le contenu de la lettre du 12 novembre 2001 est partant contraire à l'article 36 de la Constitution et à l'article 16 de la loi du 4 décembre 1990, précitée.

D'autre part, l'article 5 du code civil défend aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises et s'oppose à ce que les juges lient leur liberté d'appréciation et se paralysent d'avance en présence de ce que chacun des cas qui leur seront soumis, pourra présenter de propre (cf. Cass. 2 mars 1995, n° 13/95). A fortiori, un tribunal ne peut s'arroger le pouvoir de créer de toutes pièces des règles de procédure et de fonctionnement qui lieraient les parties et les auxiliaires de justice (v.

Juris-Classeur civil, sub art. 5, n° 21).

Par certaines des "lignes directrices" formulées dans la lettre du 12 novembre 2001, les juges de paix d'Esch-sur-Alzette ont encore, en interprétant d'autorité la loi, lié à l'avance leur pouvoir d'appréciation concernant des litiges susceptibles d'être portés devant leur juridiction pour y faire l'objet d'un débat contradictoire.

Finalement, l'article 16, alinéa 3 de la loi modifiée du 4 décembre 1990, précitée, dispose que le tribunal d'arrondissement, chambre civile, statue sur la taxation des frais et dépens, en cas de contestation. Il s'agit d'une compétence exclusive du tribunal d'arrondissement telle que prévue par l'article 21 du nouveau code de procédure civile.

Il s'ensuit qu'en cas de contestation des frais et dépens réclamés par un huissier de justice, le juge de paix n'est pas compétent pour en déterminer le montant, mais il doit, le cas échéant, surseoir à statuer en attendant que le tribunal d'arrondissement vide l'incident moyennant taxation des frais et dépens dus à l'huissier.

A fortiori un juge de paix ne saurait-il se prononcer, de manière générale et abstraite, sur les sommes que les huissiers sont en droit de mettre en compte à titre de frais et dépens.

Il est vrai que le tribunal se prononce d'office sur la question de l'incidence de l'article 16, alinéa 3 de la loi modifiée du 4 décembre 1990. Une rupture du délibéré pour permettre aux parties de prendre position se révèle cependant sans utilité en l'espèce, étant donné que la partie au détriment de laquelle opère l'application de la disposition en question, n'est pas représentée à l'instance.

5 Il suit des considérations qui précèdent que l'acte réglementaire constitué par la lettre du 12 novembre 2001, signée par les juges de paix d'Esch-sur-Alzette viole à la fois la Constitution et la loi.

Il encourt partant l'annulation.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant par défaut à l'égard de l'Etat;

reçoit le recours en la forme, au fond le déclare justifié, partant annule l'acte administratif à caractère réglementaire émanant des juges de paix d'Esch-sur-Alzette matérialisé par une lettre du 12 novembre 2001 adressé au président de la chambre des huissiers de justice du Grand-Duché de Luxembourg contenant des "lignes directrices en matière de décomptes à présenter dans le cadre des procédures de saisie-arrêt sur salaire", condamne l'Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 2 décembre 2002 par:

M. Ravarani, président, M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 14851
Date de la décision : 02/12/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-12-02;14851 ?

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