Tribunal administratif Numéro 15496 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 octobre 2002 Audience publique du 25 novembre 2002 Recours formé par les époux … et … et consort, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 15496 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 octobre 2002 par Maître Marianne RAU, avocat à la Cour, assistée de Maître Thomas FEIDER, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … , né le… , de son épouse, Madame …, née le… , et de leur fille …, née le… , tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L– …, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 20 septembre 2002, notifiée le 1er octobre 2002 portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme étant manifestement infondée ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 novembre 2002 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Thomas FEIDER et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 18 novembre 2002.
Le 19 août 2002, les époux … et …, ainsi que leur file … introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Le même jour, ils furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Le 11 septembre 2002, ils furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.
Par décision du 20 septembre 2002, notifiée le 1er octobre 2002, le ministre de la Justice les informa de ce que leur demande a été refusée comme étant manifestement infondée au motif qu’elle ne répondrait à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, alors que les problèmes de santé invoqués comme seule et unique raison de leur départ du Monténégro, ne rentreraient pas dans le cadre d’un des motifs de persécution prévus par la Convention de Genève.
Le 25 octobre 2002, les consorts …-… ont fait déposer au greffe du tribunal administratif un recours en réformation sinon en annulation contre la décision ministérielle de refus prévisée du 20 septembre 2002 .
L’article 10 (3) de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives. Il s’ensuit que le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours principal en réformation. Le recours en annulation introduit à titre subsidiaire à l’encontre de la décision ministérielle litigieuse l’ayant été dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent être originaires du Monténégro et appartenir à la minorité musulmane, laquelle ne représenterait que 15 % de la population du Monténégro et serait mal acceptée par la population majoritairement serbe et orthodoxe. Dans la mesure où Monsieur … serait en outre depuis plusieurs années membre du parti politique SDA, ils seraient exposés à des violences tant physiques que psychiques de la part de la population serbe qui, au cours des dernières années, seraient devenues intolérables surtout à l’égard de Monsieur …. Etant donné que des difficultés de santé se seraient ajoutées pour les époux …-… aux persécutions par ailleurs subies en raison de leur confession musulmane, ils auraient dès lors décidé de quitter leur pays d’origine. Ils reprochent à la décision déférée de ne pas avoir apprécié à leur juste valeur les faits par eux invoqués, étant donné que la gravité des persécutions exercées à l’égard des musulmans serait telle qu’il serait actuellement impossible dans les régions de l’ex-Yougoslavie pour un musulman de survivre à la tyrannie serbe, qu’il soit un militant actif pour une cause démocratique ou simplement un non-serbe.
Les demandeurs estiment que dans ces conditions un retour au Monténégro mettrait en péril l’existence matérielle, voire physique des différents membres de leur famille, ceci d’autant plus que les problèmes de santé des époux …-… ne pourraient trouver aucune solution adéquate au Monténégro, mais qu’au contraire une détérioration irrémédiable de leur santé serait à craindre en raison des persécutions continues de la part de la population serbe à leur égard.
Le délégué du Gouvernement estime que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a déclaré la demande des consorts …-… manifestement infondée.
Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New-York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement (…) ».
En vertu de l’article 3 alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».
Il ne suffit pas qu’un demandeur d’asile invoque un ou des motifs tombant sous le champ d’application de la Convention de Genève, il faut encore que les faits invoqués à la base de ces cas d’ouverture ne soient pas manifestement incrédibles ou, eu égard aux pièces et renseignements fournis, que la crainte invoquée ne soit pas manifestement dénuée de fondement. Ainsi, il ne suffit pas d’invoquer une crainte de persécution pour une des raisons prévues par la Convention de Genève, il faut encore que le demandeur d’asile soumette aux autorités compétentes des éléments suffisamment précis permettant à celles-ci d’apprécier la réalité de cette crainte. L’absence de production de tels éléments a pour conséquence que la demande d’asile doit être déclarée manifestement infondée.
Le tribunal doit partant examiner sur base de l’ensemble des pièces du dossier et des renseignements qui lui ont été fournis, si les faits peuvent être qualifiés de manifestement incrédibles ou la crainte de persécution manifestement dénuée de fondement.
En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par les demandeurs à l’appui de leur demande d’asile amène le tribunal à conclure qu’ils n’ont manifestement pas établi, ni même allégué, des raisons personnelles suffisamment précises de nature à établir dans leur chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance.
En effet, lors de son audition du 11 septembre 2002, Monsieur …, interrogé sur les raisons pour lesquelles il a quitté son pays, a indiqué qu’il aurait voulu rester au Monténégro, mais qu’il ne pouvait pas se faire soigner là-bas, étant donné qu’il n’avait plus les moyens pour payer le médecin et les médicaments. Il a déclaré en outre lors de ladite audition qu’au-
delà de quelques insultes il n’aurait personnellement pas eu de problèmes concrets en raison de son adhésion au parti politique SDA.
Madame …, confrontée aux mêmes questions, a déclaré qu’elle et son mari sont venus au Grand-Duché de Luxembourg parce que ce dernier « a eu un accident et parce que sa santé s’aggrave et la mienne aussi. On est venu pour avoir de l’aide pour nous soigner ici ».
Il se dégage de ces déclarations que les demandeurs restent en défaut d’établir, voire d’alléguer en quoi leur situation particulière ait été telle qu’ils pouvaient craindre avec raison de faire l’objet de persécutions au sens de la Convention de Genève dans leur pays d’origine, étant entendu que leur seule appartenance à la communauté musulmane, mise en avant à travers leur recours contentieux, à défaut d’élément concret ayant trait à leur situation personnelle, ne suffit pas pour établir qu’ils tombent dans le champ d’application de la Convention de Genève.
Le ministre de la Justice a dès lors valablement pu déclarer leur demande d’asile manifestement infondée au motif qu’elle ne repose sur aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève.
Il suit des considérations qui précèdent, que le recours est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;
se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;
reçoit le recours en annulation en la forme;
au fond le déclare non justifié et en déboute;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 25 novembre 2002 par:
Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge M. Spielmann, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 4